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Rock Iconic Items - ep1 : "Le Blue Jean"


Daniel, le 08/02/2025

Comme toutes les religions à dimension prosélyte, le Rock a ses objets sacrés, ses accessoires emblématiques auxquels rêve le petit rocker en écoutant ses titres préférés. Emblématiques ou même anecdotiques, récurrents ou passagers, les objets du Rock ont tous leur petite histoire qui se présente généralement sous la forme d’un inextricable écheveau de vérités et de mensonges.

Episode #1 – Le Blue Jean Levi’s 501 red tap arcuate

1. Introduction


Biff Byford a dit : "Denim and Leather / Brought us all together / It was you that set the spirit free..."


Docteur Hook a dit : "L’obscurité envahit la ville et la fille en devine le rythme. Les oiseaux de nuit la regardent marcher. Elle ne dit rien de rien. Son blue jean parle pour elle."


Lemmy Kilmister a dit : "Je ne change jamais de jean. Quand celui que je porte est mort, je me gratte la peau et j’en enfile un autre par-dessus."


Yves Saint Laurent a dit : "J’aurais aimé inventer le blue jean. La mode s’estompe, le denim est éternel."


Rien que des déclarations enflammées.


 


 


Mais, est-ce que les petits rockers savent qu’en confiant ce qu’ils ont de plus précieux à un blue jean vintage (trop chaud en été et trop froid en hiver), ils perpétuent (sans même y penser) :


- une tradition textile péruvienne vieille de plus de six mille ans,une géniale corporation nîmoise du XVIème siècle,
- un concept visionnaire vampirisé par un avisé commerçant de San Francisco au mitan du XIXème siècle,
- un signal de liberté interdit au mitan du XXème siècle par un sénateur américain psychopathe ?


Ca nous fait un sacré chemin à parcourir (qui n’est pas dépourvu d’obstacles)...


 

2. Les Origines


L’iconique Levi’s 501 est né (sans que personne ne le sache encore) en 1557 à Nîmes (France). Pour répondre à la demande d’un tissu costaud et rapiéçable, les artisans locaux conçoivent une solide toile en laine cévenole, tissée en oblique selon le procédé dit "armure de sergé".


A vrai dire, cette armure de sergé était copiée sur la méthode utilisée à Gêne, en Italie, pour fabriquer des voiles. Les fils de trame sont naturels (blancs) et les fils de chaîne soit teintés en indigo, si fait qu’un côté de la toile est bleu tandis que l’autre reste clair. L’indigotine (extraite de l’Indigofera tinctoria, un arbuste plutôt quelconque) est la plus ancienne des teintures connues ; elle était déjà utilisée au Pérou il y a plus de 6.000 ans. Au XVIème siècle, les manufactures génoises mettent au point un procédé qui permet d’en "industrialiser" l’usage. C’est la raison pour laquelle on appelle alors l’indigo Bleu de Gêne ("Blu di Genova"). 


En résumé, au XVIème siècle, le monde connaît déjà deux expressions magiques : toile "de Nîmes" (Denim) et  "Blue di Genova" (Bleu de Gênes puis Blue Jean).


C’est aux USA que la version actuelle du fameux Blue Jean est conçue. Dès 1849, des milliers de chercheurs d’or partent à l’aventure. Installé sur la côte Ouest, un certain Levi Strauss importe de la toile de Nîmes pour fabriquer des tentes. Pour mieux équiper les forty-niners, le commerçant s’associe avec un couturier, Jacob Davis, qui a l’idée géniale de créer un pantalon de travail en "toile de Nîmes" teinte en "bleu de Gênes".


Aux yeux des gens de bien, le vêtement de Strauss & Davis est proprement horrible. Mais il est adapté au travail de force et est réputé indestructible ; tous ses points potentiellement faibles sont renforcés par des rivets cuivrés. Essentiellement "pratique", le Levi’s se caractérise par une martingale, des boutons à bretelles ; il ne comporte alors qu’une seule poche arrière. Les surpiqûres sont réalisées en fil orangé pour répondre à la couleur des rivets. Couturier dans l’âme, Jacob Davis concède un seul point à l’élégance : il ajoute une petite poche à gousset (qui, aujourd’hui, ne sert plus à rien du tout puisque tout le monde porte une montre bracelet).


Délaissant les salopettes qu’ils jugent fragiles et malcommodes, les forty-niners adoptent en masse le blue jean denim.


Le plus costaud des modèles Levi Strauss & Co comporte une seconde poche arrière et est baptisé 501. Les archives de la compagnie ont été détruites en 1906 lors du tremblement de terre de San Francisco(1) ; par conséquent, plus personne ne se souvient de l’origine du 501. Il pourrait s’agir du numéro de lot de toile dans lequel a été découpé le premier modèle. Mais c’est une simple conjecture. Mystère rock.


Année après année, le 501 va perdre son usage utilitaire pour entrer dans le domaine public. Considéré comme "vulgaire" par les adultes en costume, il devient populaire chez les étudiants. Il envahit rapidement les campus avec sa petite étiquette rouge cousue à gauche de la poche arrière droite (red tap) ses surpiqûres en arc de cercle (arcuate) sur les deux poches fessières et son étiquette en cuir sur laquelle deux chevaux puissants tentent vainement de déchirer le pantalon...


Dès 1943, il traverse l’Atlantique avec les marines américains (dont c’était l’uniforme officiel de permission) pour (re)conquérir le vieux continent où son tissu et sa couleur étaient nées.


La folie Levi’s gagne alors toute l’Europe (et le monde). Le 501 "cinq poches" (réalisé en toile 9 onces, soit 255 grammes) perd ses boutons de bretelles mais adopte alors un indigo plus foncé.


Aux Etats-Unis, le sénateur McCarthy, le très fameux psychopathe, considère le 501 comme un objet de débauche. Le blue jean est interdit dans les écoles… pour être aussitôt adopté par le monde de la contre-culture. Et c’est là que le 501 et le rock se rencontrent, 400 ans après la création de la toile "de Nîmes".


 


Imitant Clark Gable, Marlon Brando ou James Dean, Elvis Presley l’enfile avec une élégance inouïe(2) et lance un nouveau raz de marée. Le blue jean devient alors le marqueur majeur de la contre-culture. Même JFK le portera  volontiers (mais uniquement dans des contextes non-officiels). 


 

3. Et voilà le rock bien culotté...


Le plus prompt à sauter dans l’express en marche est Gene Vincent. Son premier album (sorti sur le label Capitol le 13 août 1956) s’appelle Blue Jean Bop et la plage titulaire marie à merveille la toile indigo et l’excitation sexuelle.


"Eh, chérie en blue jean, quand je danse avec toi
Mon cœur se met à bondir comme un kangourou
Mes pieds font des choses qu'ils n'ont jamais faites avant
Chérie en blue jean, donne-m'en plus, plus, plus"


Le vêtement retiendra également l’attention de David Bowie ("Blue Jean")(3), Stevie Nicks ("Blue Denim"), Kings Of Leon ("Taper Jean Girl"), Neil Diamond ("Forever In Blue Jeans"), Jimmy Clanton ("Venus In Blue Jean"), Fatboy Slim ("That Old Pair Of Jeans"), Dr Hook ("Baby Makes Her Blue Jeans Talk"), …


Et, bien entendu, le blue jean a aussi influencé l’artwork d’une multitude de pochettes emblématiques.


Sur Abbey Road (1969), Beatle George est le seul a faire assaut d’élégance en complet indigo.


Le blue jean est le seul vêtement que porte (4) la sublime Jane Birkin sur la pochette d’histoire de melody nelson (1971).


Toujours en avance d’une mode, Andy Warhol célèbre le pantalon iconique sur la pochette scandaleuse de Sticky Fingers (1971).


Tout est en jean dans le packaging de Madman Across The River (1971) d’Elton John.


Status Quo est tout bleu sur les pochettes de, par exemple, On The Level (1975) et Blue For You (1976)


 


Le metal fait du blue jean son étendard lorsque Saxon habille le brillant Denim And Leather (1981) d’une magnifique armure de sergé indigo.


L’artwork de Born In The USA (1984) dévoile Bruce Springsteen qui, tout en prêtant allégeance au drapeau de son pays tendu devant lui, montre ostensiblement son cul à l’Amérique réactionnaire. C’est une pure merveille, même si, avouons-le, les sonorités synthétiques de l’album sont devenues peu fréquentables. 


Des comme ça, on en compte des mille et des cents.


Par conséquent et par souci d’orthodoxie et d’élégance, le petit rocker adoptera un 501 coupe slim avec taille haute pour allonger ses jambes et structurer sa silhouette. Les intégristes choisiront évidemment la coupe "feu de plancher", c’est à dire avec le bas du pantalon raccourci(5) pour mettre en valeur un autre accessoire indispensable : les boots en cuir noir qualité Ambassador.


Pour éviter l’excommunication (c’est à dire une tehon sacrée), toute autre fantaisie pantalonnière est à proscrire absolument : pattes d’éléphant, short , pantacourt ou corsaire, décolorations diverses, couleurs alternatives, déchirures, patches ajoutés, foulards aux genoux, …


 

4. Pas de cailloux dans le tambour !


En ce bas-monde vestimentaire, il n’y a rien de plus beau qu’un Levi’s 501 qui vieillit lentement en adoptant une patine exclusive (et ces notes de fond parfaites, parfumées à la sueur et aux relents de houblon), liée aux meilleurs souvenirs rock de son propriétaire.


Par conséquent, le "stone washing" figure parmi les rares infections qui sont plus cruelles que la peste bubonique. Le procédé débile consiste à balancer votre précieuse seconde peau dans un tambour bourré de pierres ponces. Le pantalon en ressort logiquement assoupli (toutes ses fibres sont déstructurées) mais aussi vieilli avant l’âge et complètement détruit.


Pire encore, pour gagner du temps dans ce carnage, l’industrie recourt aujourd’hui à des procédés chimiques pourris qui donnent le même résultat en polluant notre petit monde et en agressant notre précieux derme.


Boycott absolu !


S’il est taraudé par la curiosité, le petit rocker peut bien entendu essayer un  "stone washing" privé (avec un pantalon piqué à un proche). Mais il doit savoir que le tambour du lave-linge familial n’y résistera pas. Il vaut mieux se rendre dans un salon-lavoir (où l’on n’est pas trop connu) pour tenter cette expérience contre nature. Et courir très vite après avoir détruit le matériel...


 

5. Mais, que porter sous son Levi’s Blue Jean Denim 501 red tap arcuate ?


Même si certaines célébrités comme Joan Baez ont choisi d’exhiber leurs pieds nus, le petit rocker portera des chaussettes.


Les chaussettes ont justement fait polémique en France lorsque la firme roubaisienne Stemm a imposé le port contractuel de soquettes noires au très fameux groupe qu’elle sponsorisait. Conduits par Eddy Micthell, les Cinq Rocks (le premier gang de rock’n’roll hexagonal) ont été rebaptisés "Chaussettes Noires" et ont été contraints de porter des bas sombres, un choix lamentable qui a très justement épouvanté Eddy Mitchell lequel appréciait l’élégance rock.


En effet , sous un blue jean, les chaussettes mi-mollet sont obligatoirement blanches et, idéalement, dépourvues de fioritures(6). Après, on s’étonne que Roubaix soit aujourd’hui plus connue pour ses pavés que pour son élégances vestimentaire...


Pour sa part, le seul sous-vêtement acceptable est – sans discussion possible – le boxer short. Pour les fauchés, Levi’s en propose à des prix "raisonnables". Mais le sommet himalayen reste le caleçon Sunspel blanc en popeline (coupe traditionnelle). Ça coûte évidemment une blinde mais c’est dessiné dans une manufacture anglaise basée près de Nottingham qui est active dans les habits de grand luxe depuis 1860. Et les coutures sont spécialement étudiées pour ne jamais irriter nos précieuses petites fesses. Difficile de faire mieux. D’autant plus que le tissu se montre assez discret pour préserver la pudeur mais assez futile pour dévoiler l’esquisse des tatouages. Le grand luxe, disais-je...


Une référence imparable ? Nick Kamen portait un sous-vêtement blanc cultissime dans la célèbre publicité Levi’s de 1986 (celle avec "I Heard It Through The Grapevine" en fond sonore) qui a fait chavirer le cœur de Madonna en personne.


Le tissu immaculé impose évidemment une hygiène attentive pour éviter de disgracieuses auréoles (avant comme arrière), bien embarrassantes en cas de déshabillage empressé après un coup de foudre rock inopiné(7).


Levi’s & Sunspell : il est impossible de rêver mieux que ce mariage du chic britannique et d’une toile américaine. Un peu de douceur immaculée sous le blindage d’un tissu rugueux mais indestructible.


 

6. Quelques rares alternatives et une version française


Le prix extravagant du 501 a toujours été un frein pour les petits rockers dont l’argent de poche est souvent limité. Par conséquent (et pour autant que l’on considère que le vol à l’étalage n’est jamais une option), il faut se rabattre soit sur des imitations (l’américain Wrangler en coupe "Texas Cow-Boy", l’italien Rifle en coupe "Super Rifle" ou l’allemand Mustang en coupe "Tramper") soit sur des contrefaçons (souvent très mal coupées et fort moches).


A titre personnel, j’ai traversé cinq années d’université avec seulement deux jeans belges Salik "Terrific"(8) très basiques (forcément de plus en plus élimés) en expliquant à mes rencontres occasionnelles d’un soir que mes Levi’s étaient au lavoir.


Les irréductibles franchouillards privilégieront, pour leur authenticité hexagonale, les très coûteux (et très beaux) jeans Alphonse Brut Bio de l’Atelier Tuffery de Florac dans les Cévennes (depuis 1892 et quatre générations). Par souci de complétude, il faut alors choisir des chaussettes blanches "Happywool" (Phildar) et un boxer blanc Le Slip Français (modèle "Redoutable"). C’est moins authentiquement "rock" mais, porté avec un pull Saint-James "Matelot" (avec trois boutons d’épaule sur quatre ouverts), ça peut le faire(9) si un bon concert hivernal d’un groupe du Nord est programmé sur Dunkerque.


A suivre...


 


 


 


(1) Cet épisode douloureux est relaté – en grande pompe – sur "48 Seconds" (2019), le second effort solo de l’excellent Phil Lanzon (Uriah Heep).


(2) Il était encore trop tôt pour parler de "clip" mais l’extrait du film "Jailhouse Rock" (1957) où Elvis The Pelvis danse la chanson titulaire (vêtu d’un jean Levi’s teint en noir et portant son nom) reste définitivement iconique. C’est d’autant plus ironique que le King détestait les jeans qui évoquaient chez lui le monde ouvrier et la pauvreté de ses jeunes années fauchées. Pour sa part, l’entreprise Levi Strauss & Co cherchait précisément à renouveler l’attrait de son produit-phare, trop intimement lié selon elle à l’imagerie des forty-niners de l’Ouest ou des rednecks du Sud…


(3) Mais – ne mélangeons pas culottes et littérature ! – pas "The Jean Genie" (1972) dont le titre est dédié au Français Jean Genet que David Bowie appréciait pour sa liberté de ton au sujet des considérations érotiques et de l’homosexualité. Relisons, par exemple, Querelle de Brest (1947).


(4) Sur la photo de Tony Frank, Jane porte aussi Charlotte Gainsbourg, raison pour laquelle son jean (guère orthodoxe) est ouvert tandis qu’un petit ventre rond est dissimulé sous un très laid machin en peluche que la belle traînait partout avec elle. La légende raconte que la peluche aurait accompagné le beau Serge jusque dans sa tombe.


(5) N’hésitez pas à menacer la couturière des derniers outrages si, pour raccourcir les jambes du pantalon, elle n’utilise pas un fil à coudre de marque Gütermann du même coloris orange 350 que celui d’origine.


(6) A titre personnel, mes préférées sont issues de la collection "The Beatles" et portent une discrète petite étiquette jaune avec l’impression "Love Me Do". C’est ma seule fantaisie "ordinaire". Ceci dit, j’ai aussi une fantaisie secrète et "extra-ordinaire" : durant la période d’Halloween, il m’arrive de porter des chaussettes noires portant le logo "Kiss" (modèle 2022). Mais j’admets que c’est d’un parfait mauvais goût.


(7) Que ce soit sous une tente Quechua MH 100 (déployée en deux secondes) en bordure d’un festival ou dans la suite privée d’un palace, selon les moyens financiers des un.e.s et des autres.


(8) Pierre Salik avait réussi un coup de maître en obtenant de l’entourage de Hergé l’autorisation d’utiliser le personnage de Tintin (en blue jean, pour l’occasion) dans ses publicités

Commentaires
DanielAR, le 10/02/2025 à 18:07
Et les classieux caleçons Sunspell sont désormais fabriqués au Portugal. Tout fout décidément le camp... Mais merci beaucoup pour le commentaire fort judicieux.
CitronPourpre, le 10/02/2025 à 16:48
Sujet original. Malheureusement Levis a perdu en qualité, et a abandonné ses anciennes machines jugées trop lentes. Ce sont les Japonais qui les ont rachetées, et sont devenus les maîtres du jean, selvedge (Levis en fait dans sa gamme vintage, mais le prix est douloureux). Ca recoupe l'article, car en jazz ou rock aussi, on a vu que quand les Japonais essayaient de s'approprier ce qui se faisait en Europe et aux Etats-Unis, c'était parfois intéressant et possiblement très technique