La Poison

Il y a 10 ans, La Femme s’imposait dès son premier album parmi les groupes de rock français qui comptent. Il faut dire que leur idée de mélanger des genres aussi antinomiques que la new wave, le surf rock et le psychédélisme marchait étonnamment bien. Une formule efficace aussitôt délaissée, puisque chaque disque de La Femme est différent du précédent. Si cette démarche de renouvellement permanent est tout à leur honneur, on se dit qu’il y avait encore plein de choses sympa à faire avec un tel cocktail d’influences. Heureusement pour nous, on n’est apparemment pas seuls à penser ça, puisqu’il y a dans Décadanse générale un lien de parenté évident avec Psycho Tropical Berlin.

La Poison est un trio constitué de vétérans, puisqu’on y retrouve Daniel Jamet (guitariste de la Mano Negra sous le pseudo Roger Cageot), Moon au chant et David Menard aux claviers, à la programmation et à la batterie (tous deux issus du groupe Le Maximum Kouette). Pour être honnête avec vous, on n’avait pas écouté leur premier album sorti en 2019. A l’époque, Moon chantait en anglais et un survol rapide nous fait décréter que La Poison est un de ces rares groupes de rock à qui la langue française va beaucoup mieux que l’anglais ! Si une écoute survolée peut laisser imaginer des textes un peu crétin où le sens de la formule et le fun prédominent, en vérité c’est tout l’inverse qu’arrive à faire Moon. Un peu à la manière de Stromae, en parallèle d’une musique entrainante et festive, ce sont des sujets lourds qui sont abordés, parfait reflet de notre société et des problématiques actuelles. En cela, le titre de l’album Décadanse est parfaitement trouvé. Le single "Le Monde va mal" qui a pas mal tourné sur France Inter en est la quintessence. Nous sommes tellement submergés de mauvaises nouvelles que les raisons de s’inquiéter en deviennent une liste sans fin ! Parmi les autres sujets abordés, on retrouve notamment l’addiction aux écrans, le burn out, la mort. Le disque se termine par deux morceaux exutoires. "Humain, humain, redevient humain", nous incite d’abord Moon entre des couplets qui listent tous les travers qui nous mènent droit dans le mur. "Je danse pour toi", finit-elle par dire à toutes les victimes d’injustices et de maltraitance à travers le monde.

Musicalement, c’est un mélange de rockabilly, de rock garage et d’électro que nous propose La Poison. Dombrance est à la production et on serait curieux de savoir à quel point il a contribué aux sonorités électro de l’album tellement celles-ci rappellent ce qu’on pouvait entendre dans son projet DBFC. En tout cas la formule est sacrément efficace. L’univers de La Poison est pensé dans les moindres détails, jusqu’au nom du groupe qui se veut un antidote au poison et un concept qui mélange pop culture et préoccupations collapsologiques : Moon, Lars Sonik et Fugu Shima arrivent du futur pour dire au monde qu’en 2169 c’est l’horreur et qu’il faut changer les choses aujourd’hui pour éviter un futur très sombre. Les musiciens ont la peau peinte en vert, tandis que chanteuse, en noir et blanc, arbore un maquillage façon Kiss. Les concerts semblent visuellement très travaillés tout comme les pochettes de disque (1) . Que dire de plus ? La Poison a tout réussi : textes, musique, storytelling, univers visuel, show scénique. Dans un monde idéal, ce groupe devrait être énorme. Malheureusement… "le monde va mal, ma-ma-ma-mal" !

(1) Celle du premier EP nous évoque à la fois les Cramps et Klaus Nomi.