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Creedence Clearwater Revival


Collectif, le 18/09/2017

Willy and the Poor Boys

2 Novembre 1969


Willy And The Poor Boys débarque dans les bacs fournis d'une année 1969 à laquelle on attribuera tous les qualificatifs, d'érotique à lunaire en passant par rock, évidemment. Et pour ce dernier cas - celui qui nous intéresse - Woodstock est majoritairement évoqué comme l'argument ultime pour justifier du caractère "rock" de cette cuvée miracle, ce millésime incontesté - aujourd'hui encore - qui traverse les générations comme la référence définitive de rattachement au style musical susnommé: "Quoi ? T'aimes le rock mais t'as jamais vu/entendu Woodstock ? Ça craint...". Alors oui, ça craint. Mais pas tant que ça.


Déjà car le festival américain, comme tout moment-clé de l'histoire moderne, jouit d'une popularité glorifiée par l'oubli de certains faits divers peu avantageux (quelques menus soucis d'hygiène, de sécurité, de traf(f)ic, de décès, brefs des broutilles) et les louanges fantaisistes rattachées à des concerts médiocres en lieu et place de ceux qui comptent vraiment. L'histoire retient de Woodstock le "Star Spangled Banner" inaudible d'un Hendrix pathétique, hagard, certainement ailleurs, jouant avec un groupe brinquebalant (Gypsy Sun & Rainbows) devant un parterre vidé de la moitié de sa substance au petit matin du lundi 18 août 1969, délivrant peut-être là l'un de ses plus mauvais concerts, lui qui a pourtant éclaboussé de son immense talent le Royal Albert Hall en marge d'une prestation souveraine quelques six mois plus tôt dans son fief londonien, sa ville (et sa patrie) de coeur. Quand on écoute aujourd'hui la qualité des concerts exhumés des archives hendrixiennes par sa soeur adoptive Janie (Winterland, Atlanta Pop, Monterey, Stockholm), il est encore plus incroyable de constater la réputation intacte du fiasco américain. Idem pour Cocker, adulé pour un "With A Little Help From My Friends" qu'il n'a même pas écrit (merci Ringo) et dont l'intéressé déclarera des années plus tard "ne même pas se souvenir". C'est le paradoxe de Woodstock et des contes et légendes s'y rapportant: immortaliser les uns et omettre injustement les autres. Autres dont font partie les Creedence Clearwater Revival.


Le quatuor de Berkeley est au firmament de sa popularité au moment de fouler la scène du plus grand rassemblement musical jamais vu jusqu'alors. Les deux derniers albums du groupe - Green River et Bayou Country, sorti cette même année 1969 - sont des succès populaires remarquables en dépit d'une concurrence rude et d'une qualité à couper le souffle, jugez-plutôt: le premier Led Zep', l'éponyme du Velvet, le Beck-Ola de Jeff Beck, Neil Young et son superbe Everybody Knows This Is Nowhere, ses potes du CSN et leur premier album, le Pretties For You d'Alice Cooper, le comeback légendaire du King Elvis Presley avec From Elvis In Memphis, le premier Deep Purple ou encore l'éponyme des Stooges, paru quelques jours avant le festival. Tout ça en huit mois de temps. Un palmarès rêveur auquel les deux productions du quatuor californien participent allègrement, cela va sans dire. Il est quasiment minuit et demi quand John Fogerty et sa bande entonne un "Born On The Bayou" improbable, une ode à la terre boueuse des bords du Mississippi et à sa musique charnelle aux antipodes des trips cosmiques imbitables du Grateful Dead de Jerry Garcia, qui vient juste de précéder CCR. Le contraste, terrible, fascine. Il n'est pourtant rien d'autre qu'un criant exemple du courant alternatif sur lequel les Etats-Unis sont branchés depuis ce célèbre Summer Of Love 1967, cette contreculture acharnée guidée par une jeunesse orpheline, abandonnée par une société qu'elle juge en totale opposition aux principes du monde libre. Bien loin des considérations métaphysiques de ses acolytes progressistes (Jefferson Airplane, Canned Heat et autres), le CCR recentre un débat éclaté en déballant pendant un set parfait tous les codes et les valeurs de cette Amérique profonde, cette Amérique blessée, cette Amérique oubliée. De la "Green River" sulfureuse à un démentiel "Susie Q" rallongé de 10 minutes, Creedence raconte l'Amérique, vit l'Amérique, chante l'Amérique au gré d'une prose fine, subtile, pas prosélyte pour un sou, narrant ce mal américain que personne, durant les quatre jours de festivités campagnardes de Bethel, n'a peut-être aussi bien évoqué que Creedence Clearwater Revival.



Au sommet de sa gloire, CCR aurait pu en rester là pour l'an grâce 1969 et n'augurer un retour qu'à l'aube de la nouvelle décennie approchante. Mais c'est mal connaître ce bucheur acharné de John Fogerty qui renvoie manu-militari tout le monde en studio dès l'automne pour préparer rien de moins qu'un troisième album dans une même année calendaire, une bagatelle intitulée Willy And The Poor Boys. Et quel album, mes aïeux.


Comme à son habitude, le quatuor balance en ouverture du dernier volet de son épique "triptyque '69" un 45 tours en bonne et due forme: Face A - "Down On The Corner" / Face B "Fortunate Son". Deux tubes - les deux titres toperont chacun la troisième place du Billboard avant la fin de l'année - doublés d'une complémentarité étonnante à tel point que c'est bien la deuxième face que le 21ème siècle a choisi de retenir comme étendard du répertoire de CCR. Ce maxi d'une qualité rare fait hurler les trois comparses de Fogerty, de plus en plus isolé à mesure que son autorité (qui a dit égo ?) s'étend et croit. Obsédé par les charts au point de croire le groupe prêt à passer aux oubliettes au moindre faux-pas, le leader insiste auprès de sa troupe pour blinder le 45 tours avec deux titres imparables. Ils ne sont pas d'accord. Fogerty le fait quand même. Le batteur Doug Clifford évoque même "un gâchis. Nous avons brûlé des chansons deux fois trop vite. Si nous avions été plus patients, on n'aurait pas sorti trois albums en un an". Ce à quoi l'ami John répond farouchement: "Tout le monde m'a dit qu'il ne fallait pas faire ça, ne pas gâcher des hits potentiels. Mais regardez les Beatles. Regardez Elvis". Argument imparable, il faut bien l'admettre.


Voilà donc Willy et ses Pauvres Gars déballant leurs arguments les plus avantageux d'entrée de jeu: un "Down On The Corner" aguicheur, sautillant gospel d'une virilité retenue dont la légende attribue l'enregistrement a un appareil portatif en pleine rue, et un "Fortunate Son" sérieux, le cri du coeur de Fogerty contre Nixon et sa politique globale. D'abord cantonné à un registre anti-militaire à l'instar de tout un florilège de "protest-songs" de l'époque ("Give Peace A Chance" de Lennon et du Pastic Ono Band, ou encore "The Fiddle And The Drum" de Joni Mitchell), l'hymne de l'enfant gâté est pourtant le résultat d'une plume légère (mais tranchante), fustigeant avec une retenue exemplaire les classes aisées du pays de l'Oncle Sam, soutiens premiers du président en exercice, profitant d'un système duquel seule la classe populaire sort perdante. Car ce sont les pécores chers à CCR qui sont envoyés au front d'un conflit diligenté par le vote de ces bourgeois dont les enfants, cloitrés dans les grandes universités du pays, ne se risquent pas à entendre les balles siffler, les bombes détonner et les hommes pleurer leurs camarades massacrés de l'autre côté du Pacifique. Bien plus qu'une simple charge à blanc contre une administration au bord du gouffre, "Fortunate Son" se pose en intelligente réflexion sociétale, en discours révolté mais pas révolutionnaire, en subtil miroir du ressenti de l'Amérique profonde, celle du Bayou chanté avec hargne par CCR. Une critique pas forcément explicite de prime-abord bien que plutôt simple à contextualiser. Bien plus que la B.O. de Forrest Gump en somme...


Mais plus que par sa remarquable rhétorique, "Fortunate Son" - morceau d'ouverture de la face B, quand même - brille par une mise en musique explosive et un riff de guitare immédiat, courte descente harmonique de huit petites notes ciselées découpant une ligne de basse colossale. Maîtrisant à merveille son timbre bitumé et rageur tout le long des dix titres de Willy And The Poor Boys, Fogerty répond à ses couplets grinçants par des assauts de guitare virils et expéditifs ("It Came Out Of The Sky"), charnels et passionnés ("Feelin' Blue"), galant jeu de questions-réponses typiques des pionniers du rock 'n roll qu'il admire, Little Richard et Bo Diddley en tête. Continuant de puiser sa matière brute dans le répertoire historique national, CCR se fend de deux reprises de Leadbelly en bonne et due forme: un "Cotton Fields" aux harmonies splendides, éloquentes et efficientes, et un "Midnight Special" totalement habité, d'une force vocale remarquable et doté d'arrangements instrumentaux acides, de guitares virevoltant au dessus d'une mêlée chamanique incantant avec ferveur des "Shine A Light On Me" soul à souhait.


Toujours seul aux manettes, Fogerty entonne un "It Came Out Of The Sky" au style très rock 'n roll et à la guitare très "Chuck Berry", autant qu'il se recueille avec émoi dans un "Dont Look Now" engagé, soutenant ouvertement une fois encore le sort de ses compatriotes les plus démunis. Bien que les membres du groupes soient représenter sur la pochette de Willly And The Poor Boys - un groupe imaginaire à l'instar du Sgt Pepper des Beatles - cet avant-dernier album majeur du CCR n'est le fruit que de son imagination et c'est peut-être là qu'on aperçoit les premières limites du CCR. Une année, trois albums essentiels, un train de vie éreintant, un succès fulgurant: tout est réuni pour que le dislocation commence. Et le caractère impétueux du leader Fogerty y contribue largement. Avec Willy And The Poor Boys, Creedence prend doucement le chemin d'une sortie qu'il magnifiera au gré d'un dernier effort sublime, Cosmo's Factory, car le resserrement sur la seule personne de Fogerty y est particulièrement palpable. Mais finalement, n'est pas là encore, la story américaine parfaite ? Un groupe au sommet de son art, un leader tyrannique, une chute abrupte (mais pas tragique) et un héritage que nul ne saurait contester ? Après avoir brillamment conter l'histoire de l'Amérique dans ses chansons, Creedence Clearwater Revival l'intègre grâce à son superbe Willy And The Poor Boys.


Une ultime question persiste encore: si l'on ne devait retenir qu'un seul album de cette trilogie '69, lequel serait-ce ? Difficile, voire impossible et chacun exposera des arguments pour défendre son protégé qu'il soit Willy, Green River ou Bayou Country. Toujours est-il qu'avec un tel palmarès, le fan de Creedence - et de rock, par extension - est fort bien loti.


Etienne

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