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Creedence Clearwater Revival


Collectif, le 18/09/2017

Creedence Clearwater Revival, le livre de Steven Jezo-Vannier


Creedence Clearwater Revival
Steven Jezo-Vannier
Ed. Le Mot et le Reste
2015, 257 p.

 

Il aura donc fallu attendre 2015 pour que sorte le premier livre en français intégralement consacré à Creedence Clearwater Revival. Loué soit Steven Jezo-Vannier, ancien collaborateur d’albumrock, d’avoir comblé cette impardonnable lacune. On pourrait d’ailleurs s’étonner que ce spécialiste de la contre-culture et du rock psychédélique 60’s/70’s se consacre à un groupe si résolument roots, si délibérément ancré dans l’orthodoxie rock’n’roll la plus rigoriste. C’est oublier que la fratrie Forgety est originaire de Californie, et non de la Louisianne primitive qu’elle a tant vanté (ou fantasmé, c’est selon) dans ses chansons, et que le groupe fut pleinement partie prenante de la fameuse Third Generation of San Franciso Sound, aux côtés du Grateful Dead et autres Jefferson Airplaine, même s’il était loin de partager les codes esthétiques de ses congénères. Jezo-Vannier ne fait ainsi que poursuivre son exploration du son West Coast de la grande époque, abordant ici un versant peut-être plus obscur et moins explicite, mais qui ne fait qu’affiner le vaste panorama qu’il dresse de livres en livres depuis maintenant presque dix ans.

Se pencher sur le cas de Creedence Clearwater Revival était une entreprise de salut public, surtout pour le public français, puisque le groupe cartonna dans l’Hexagone dès les sixties. Fouillez les greniers de la génération baby boomeurs, il est fort probable que vous finirez par trouver un exemplaire poussiéreux de Willy & The Poor Boys ou une copie écornée de Cosmo’s Factory au milieu des piles de Johnny Hallyday, autant d’albums qui caracolèrent en tête des hits parade (on n’utilisait pas le terme charts à l’époque) dès leur publication. Pour autant, le CCR reste un sujet casse-tête pour tout rock critic avide d’anecdotes croustillantes à partager avec des lecteurs amateurs de stupre : pas de déclarations tonitruantes à relater, pas de scandale à remémorer, pas de groupies cravachées à faire témoigner, pas de suicide ou de mort mystérieuse pour faire frissonner… peu de sexe, peu de drogues, du rock’n’roll, oui, mais surtout du boulot, du boulot, et encore du boulot. Que l’on soit prévenu d’entrée de jeu, on tient là l’antithèse d’une biographie des Stooges ou des Doors (l’auteur a récemment publié un livre sur le groupe de Jim Morrison, toujours chez le même éditeur, et il est deux fois plus épais). Pour résumer la trajectoire CCR, c’est dix ans de galères sous différentes appellations (The Blue Velvets, The Golliwogs), cinq ans de succès immédiat et planétaire sous son nom définitif, un contrat inique signé avec la maison de disques Fantasy (les contraignant à une productivité folle), la brouille définitive de deux frangins (l’aîné, Tom, ne supportant que le cadet, John, prenne les rennes de la formation, la portant vers le triomphe mais freinant les velléités artistiques de ses compères) et l’explosion du groupe au faîte de sa gloire.

Ce trajet, tout aussi fulgurant qu’il fut long et douloureux, est raconté avec force et concision, l’auteur restituant bien le contexte qui a vu le quatuor de Berkeley naître et évoluer, sa place d’abord marginale au sein de la scène californienne, puis la conquête progressive de tous les milieux, des hillbillies aux hippies, le groupe parvenant à se faire adopter aussi bien par le grand public que les adeptes du flower power et les thuriféraires du psychédélisme flamboyant. En effet, on a peut-être oublié que Creedence avait bel et bien participé au mythique festival de Woodstock, sans doute parce que John Forgety avait refusé que des extraits de leur prestation figure dans le film (programmé après un set marathon du Grateful Dead, la formation s’est produite à trois heures du matin devant un demi-million de spectateurs endormis). Citations d’extraits de chanson à l’appui, SJV explique la place tout à fait centrale que tient le groupe dans une époque où la guerre du Vietnam déchire le pays. En décortiquant les textes de "Who’ll Stop The Rain", "Run Through The Jungle" ou "Fortunate Son", il démontre avec efficacité l’art du songwriting de John Forgerty, qui plutôt que d’attaquer bille en tête avec un brûlot militant, préfère trousser des textes aux thématiques plus larges (il n’y est jamais fait explicitement référence au conflit), adoptant la posture de l’homme de la rue, de l’average man, se posant des questions sur ce que devient son pays, sans verser dans le conservatisme nauséabond ni le réquisitoire sans nuance. Ceci explique sans doute la postérité de ces vraies/fausses vietnam songs, quand bien même le CCR n’a jamais été une figure de proue du mouvement contestataire.

Si le récit est assez instructif pour un groupe dont la biographie est finalement peu connue, plusieurs mystères restent insolubles. Pourquoi, par exemple, cette fascination pour le bayou, région qui servit de décor à tant de pièces maîtresses du répertoire du Creed et que John ne visitera véritablement que dans les années 90 ? Aussi, plus on progresse dans la connaissance du groupe, plus on mesure les obstacles qu’il a dû franchir, les relations houleuses qu’il a entretenues avec son label notamment (et qui plombèrent également les carrières solos de ses membres, qui occupent le derniers tiers du livre), plus le tableau final reste pointilliste, tant sa trajectoire dévie de celle de ses congénères. CCR apparaît comme une formation surgie de nulle part, jouant une musique qui semblait être l’exact opposé de ce qui marchait à l’époque et qui a pourtant cartonné, revendiquait la pureté originelle du rock tout en sacrifiant aux codes de la modernité, particulièrement son goût pour les jams à rallonge (le répertoire de Creedence compte quelques généreuses échauffourées instrumentales, telle leur reprise de "I Heard It Through The Grapevine" dépassant la barre des 11 minutes et qui est presque aussi populaire que la version de Marvin Gaye), un groupe qui avait tout pour paraître ringard et démodé et qui traverse le temps avec une fringance insolente, continuant de trôner en bonne place dans la culture populaire contemporaine (ses morceaux figurent au générique des blockbusters récents : Kong: Skull Island, Suicide Quad, Green Room…). Le quatuor a tellement épousé l’âme de son pays qu’il fait aujourd’hui figure de monument, au même titre que le mont Rushmore ou le Golden Gate Bridge. Il fait tellement partie du décor qu’on ne le remarquerait presque plus.

Se dresse également le portrait de John Forgety, une forte tête, humble et bosseur, mais têtu comme une mule, préférant se brouiller à vie avec son frère et saborder in fine son groupe plutôt que de partager son rôle de songwriter en chef avec ses camarades. Car Forgerty était finalement un grand ambitieux qui ne rêvait que d’une chose : supplanter les Beatles. Il atteindra son objectif furtivement au début des années 70, alors que les Fab Four se séparent, et son groupe connaîtra rapidement le même destin que celui de ses modèles : se dissoudre après avoir atteint le sommet, ouvrant le champ à des carrières solos qui ne retrouveront jamais, même dans leurs meilleurs moments, le niveau qualitatif de la formation d’origine. Autre point commun : Creedence ne se reformera jamais officiellement (du moins, pas avec le line-up originel), contrairement à 90% de ses congénères, même par hologramme, alors que les offres juteuses n’ont cessé de pleuvoir depuis le milieu des seventies, ce qui en dit long sur la probité du bonhomme, autant que sur sa rancune, qu’il a tenace.

Au final, on pourrait regretter que l’auteur ne mette pas en perspective la postérité du groupe en fin d’ouvrage (c’est une idée autour de laquelle nous n’avons cessé de tourner en préparant ce dossier). A sa décharge, on a du mal à distinguer une descendance claire, des héritiers revendiqués, un style particulier qui se verrait dupliqué (on parle de swamp rock à leur sujet, mais l’expression s’est très rarement généralisée à d’autres formations). Mais la raison en est peut-être donnée dès le quatrième de couverture, qui cite un extrait du discours de Bruce Springsteen lors de l’introduction des Forgety & co. au Rock’n’Roll Hall of Fame : "Creedence n’a jamais eu le respect qu’il méritait. (…) Ils ont eu le tort d’être populaires quand il fallait être branché. Ils ont joué sans fioritures une musique américaine qui s’adressait à tous. Dans les années 60 et au début des années 70, ils ne formaient pas le groupe le plus branché, mais simplement le meilleur". Au fond c’est peut-être tout simplement ça Creedence Clearwater Revival : une musique ontologiquement américaine, simple, directe, et qui refuse tout le décorum propre au rock system. Il n’est pas anodin que ce soit Springsteen qui trousse ce panégyrique, tant il semble se poser en héritier direct, s’alignant davantage sur une forme d’éthique, une ligne de conduite, qu’une quelconque formule musicale.  Une attitude, une certaine idée du rock, une palanquée de morceaux merveilleux écrits à la force du poignet malgré les haines recuites, c’est ce qu’on retient de l’histoire des petits gars de Berkeley. Qui méritait ce livre pour être racontée.

Maxime

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