Queens of the Stone Age
Villains
Produit par Mark Ronson
1- Feet Don't Fail Me / 2- The Way You Used To Do / 3- Domesticated Animals / 4- Fortress / 5- Head Like A Haunted House / 6- Un-Reborn Again / 7- Hideaway / 8- The Evil Has Landed / 9- Villains of Circumstance
Tada ! Josh Homme nous a livré l’album qu’il nous avait exactement promis. Souvenons-nous… Dans la foulée de la sortie de …Like Clockwork, il révélait en interview être fasciné par le diptyque The Idiot/Lust for Life, ces deux disques qu’Iggy Pop avait enregistré à Berlin sous la houlette de David Bowie et publié coup sur coup en 1977. L’ex Stooges y passait imperturbablement de l’introspection sourde à la bacchanale proto-punk. Ce grand saut de cabri stylistique ne pouvait qu’inspirer notre Ginger Elvis, cet adepte du contre-pied permanent, hanté à l’idée de ressasser des formules du passé. D’où ce compagnonnage consommé sur Post Pop Depression et qui ne pouvait que laisser des traces, tant ses Queens of the Stone Age ont toujours fait office de gigantesque catalyseur. Sur ses premiers albums, il recarénait les plus belles pépites issues des Desert Sessions et on retrouve, sur ses derniers efforts, des effluves de ses projets parallèles, Eagles of Death Metal, Them Crooked Vultures et autres Arctic Monkeys. Sans surprise, ce septième opus porte les stigmates de sa fructueuse collaboration avec l’iguane : l’entame "Feet Don’t Fail Me" provient directement de ces sessions (le titre n’avait pas été finalisé à l’époque) et Homme a avoué récemment avoir longtemps résisté à l’envie de se garder "Sunday" sous le coude pour la réserver à ses Queens. Dans le fond comme dans la forme, …Like Clockwork/Villains rejoue ainsi la schizophrénie de son modèle berlinois. Le premier se révélait sombre et hanté par la mort que le frontman avait fait plus que frôler, son successeur sera lumineux, décomplexé, immédiat. Dont acte.
"I just want to dance !" "Let’s dance !" "This is a song to make the girls dance !" Tous ceux qui ont assisté à un concert des QOTSA ces dix dernières années le savent : Baby Duck n’a que ce genre d’invective à la bouche dès qu’il monte sur scène. C’est à nouveau sans surprise qu’on le voit aujourd’hui s’acoquiner avec Mark Ronson et c’est à peine si on lève un sourcil quand on apprend qu’il est allé chercher le géniteur du single "Uptown Funk" – resucée funkoïde pour galerie d’hypermarché – davantage que le producteur de Back to Black ou d’Arabia Mountain. Avec une marge d’action non extensive (Homme est un producteur émérite et veille au grain), le poster boy pour GQ accomplit les aménagements nécessaires. Avec un line-up stable et éprouvé pendant plusieurs tournées et aucun invité pour faire diversion (une première dans la discographie du gang), les Queens sonnent ici comme un véritable groupe : très mise à l’avantage dans le mix, la basse de Michael Shuman torgnole et ronronne, Dean Fertita exhume de ses claviers de baveuses nappes carpenterriennes, les guitares, en retrait sur le disque précédent, sont de retour et cisaillent en fanfare – on est loin des grondements orgiaques desert rock d’antan cela dit, mais on s’est résigné à faire une croix dessus. Seule la batterie n’a subi aucun lifting visible, enclûmant ses tempos de façon lourde et machinique comme à l’accoutumée, et l’on peine à distinguer le jeu de Jon Theodore de celui de feu Joey Castillo. Les dégâts sont donc assez limités : pas de travestissement mainstream à déplorer, juste un petit recalibrage des turbines pour lubrifier ce qui se prétend être une imparable machine à déhancher.
Justement : Villains est-il cette fusion improbable entre Black Sabbath et Kool & The Gang que les premières critiques extatiques s’étaient dépêchées de vanter ? Evidemment non. Si la publication en avant-première du single "The Way You Used To Do", avec son rythme enlevé, ses handclaps et son refrain nonchalant pouvait pointer vers cette direction, dès la (trop) longue intro de "Feet Don’t Fail Me", on a compris qu’Homme n’adopterait pas la frontalité mais nous ferait le coup habituel de l’album long en bouche, gavé de chausse-trappes, de faux départs, de zig zags et de vertigineuses pièces à tiroir. L’art d’un "Lust For Life", du parfait morceau rock pour danser, exige une science de l’efficace, du vol direct, du gimmick un peu pute et on doutait que le Californien oserait – ou aurait encore la capacité – de s’abaisser à ce genre d’exercice qui réclame de lâcher prise ; une gageure pour un musicien aguerri qui prend désormais davantage son plaisir à arpenter les chemins sinueux que dévaler les pentes en ligne droite. Ou bien il faut entendre cette note d’intention comme on imaginerait un remake de Flashdance réalisé par Nicolas Winding Refn : de lents travelings sur des jeunes gens décoratifs aussi expressifs que des zombies, dansant dans un couloir sombre sous une pluie de néons stroboscopiques, avec un Josh Homme sanglé de cuir jouant la meneuse de revue virile.
En lieu et place du manifeste rock pour dancefloor auquel nous n’avons de toute façon jamais cru (on n’est pas chez LCD Soundsystem, ni même chez Death From Above ici), l’ex Kyuss se complait à affiner ce qu’il esquissait autrefois sur "Tangled Up In Plaid", "Battery Acid" ou hier sur "Smooth Sailing" : l’alliance du boogie rock rustique des premiers ZZ Top avec les refrains sucrés du glam, une fusion casse-gueule sur le papier mais qu’il avait toujours exécuté avec aisance, mains de charretier et voix d’ange. Il affine le polish sur cette réalisation en apportant aux meilleurs pistes de l’album ("Feet Don’t Fail Me", "The Way You Used To Do", "The Evil Has Landed") un délicieux lustre pop, labourant de mini débauches soniques où Humble Pie et Slade ripaillent de concert, tandis que Led Zeppelin sodomise Bowie dans une orgie glitter sur fond de Marshall gueulantes. Dommage que cet esprit ne perdure que par intermittence. Après avoir enclenché le groove synthétique de "Feet Don’t Fail Me" et expédié son single pailleté, le taulier siffle la fin de la récré, ralentit la cadence et tamise les lumières de l’arrière salle. Nous revoilà enserrés dans les rets de la "noirceur joyeuse", cette expression inventée par le géant rouquin pour décrire la couleur générale du mal aimé Era Vulgaris, et qui demeure la marque de fabrique de ses productions depuis lors, tel un leitmotiv obsédant.
C’est là où la comparaison avec les deux premiers disques solos de sa majesté Pop s’arrête, tant Villains se démarque finalement peu de son prédécesseur. La cavalcade ténébreuse "Un-Reborn Again" évoque "If I Had A Tail", tandis que le final "Villains of Circumstance" arpente le sillon tracé par la ballade lancinante "The Vampyre of Time and Memory" pour la muer en une marche grandiloquente qui semble appelée à reboucler sur "Keep Your Eyes Peeled". A l’inverse, le funk pachydermique suffocant de "Smooth Sailing" n’aurait pas dépareillé sur cette nouvelle livraison, comme s’ils provenaient des mêmes sessions. On pourrait d’ailleurs dire la même chose des textes qui, même s’ils sont moins directement autobiographiques que sur …Like Clockwork, brassent des thématiques voisines : regard ironique sur les mœurs contemporaines, rédemption, réversibilité du bien et du mal, difficulté et/ou nécessité de rester soi-même… on navigue dans des eaux similaires. Si bien qu’au fil des écoutes, on a la sensation étrange de découvrir, avec plusieurs années d’écart, le second disque d’un double album, tant Villains prône davantage le pas de côté, l’exploration d’une autre facette que la rupture franche. Le visuel de la galette, à nouveau confié aux mains expertes de Boneface, renforce ce sentiment d’unité et on a l’impression d’assister à la réunion de deux jumeaux séparés à la naissance, l’un se révélant juste un peu plus extraverti que l’autre.
Pour un frontman qui se gargarise en interview de la prise de risque, de la mise en danger, de la mutation permanente, on ne peut pas dire que l’on sente souffler le vent de la révolution sur cette septième réalisation. Car voilà 10 ans que Josh Homme (on pourrait même remonter à la seconde moitié de Lullabies To Paralyze, que même ses laudateurs les plus zélés n’évoquent jamais) commet plus ou moins le même disque. L’humeur générale, les thématiques, l’approche sonore et le traitement des guitares évoluent, mais le fond reste inchangé, soit un rock qui aime les contrastes, peaufine ses climats, accumule avec jubilation les breaks aventureux, se complaît à changer de pied au moment où l’on pense que le morceau nous a tout dit, confectionne avec gourmandise des mille-feuilles de riffs vrillés qui ne révèlent leur véritable saveur qu’au jeu des écoutes répétées. Comme ses aînés, on savoure ainsi Villains au casque avec un certain bonheur, un brin de perplexité, et parfois, une pointe d’ennui poli, notamment le long de ces ballades dispensables que même le chant enjôleur et assuré de Josh Homme ne parvient pas à transcender ("Fortress", "Hideway"). On apprécie les guitares martiales et tordues de "Feet Don’t Fail Me", le rodéo ramonesque "Head Like A Haunted House" que Homme dégobille façon Lux Interior gavé aux amphétamines, on goûte les barbelés électriques vaporisés dans un écho lugubre qui scandent "Domesticated Animals" tout en trouvant le titre un peu trop mécanique quand il aurait été hier délicieusement robotique. On regrette ces réverbs crades qui envahissent l’espace, ces mediums amples et nébuleux qui écrasent le plexus, ces lignes acides qui nous retournent le cerveau et qui nous faisaient réécouter "You Would Know", "Monster in the Parasol" ou "God Is In The Radio" jusqu’à l’obsession.
Mais avouer cela revient sans doute à commettre une erreur, tant le géant rouquin a toujours refusé la nostalgie et le retour en arrière. On nous répétera que le groupe gagne en profondeur ce qu’il perd en percussion. Soit. Sorti 15 ans presque jour pour jour après Songs For The Deaf, Villains pose les Queens of the Stone Age exactement là où son capitaine voulait les conduire : ni au-dessus, ni en-dessous de son chef d’œuvre indépassable mais ailleurs, loin de son ombre écrasante, empêchant toute comparaison. Avec plus de 25 ans d’activisme et après avoir – excusez du peu – créé un genre avec son premier groupe culte et publié deux des plus grands disques rock des années 2000, Josh Homme a payé son tribu au dieu païen du rock’n’roll et peut désormais se faire plaisir. Son pied, il le prend désormais à confectionner un "Evil Has Landed" supersonique, la pièce maîtresse de cet album, le "Song For The Dead" du QOTSA 2010 : un pur tour de force électrique constellé de duels de guitares jouissifs, de riffs crunchy en diable, d’un basse vrombissante qui lamine les reins, de lignes mélodiques entêtantes, de ponts en forme de gouffres abyssaux, avant de tout fracasser avec ivresse dans le mur du son. Ce titre, qui annonce de véritables boucheries en live, condense à lui seul l’idéal de composition et de maîtrise de son art dont fait aujourd’hui preuve Josh Homme et justifierait presque à lui seul d’aller se perdre dans les méandres de son Villains. Le bonhomme confirme à nouveau son statut de ponte du rock US et peut tranquillement se tirer la bourre avec son pote Dave Grohl, sur le point de débouler avec son neuvième Foo Fighters. Charge à la jeune garde, armée d’hymnes inédits et d’une énergie nouvelle, d’aller menacer un règne que l’on subit avec délice mais qui commence aussi à s’enliser dans une relative redondance. On continuera à se prosterner devant la maestria et la puissance de feu des reines de l’âge de pierre, tout en souhaitant ardemment un régicide.