Linkin Park
One More Light
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Leur précédent disque The Hunting Party laissait espérer à un retour en grâce progressif de Linkin Park. Mais c’était sans compter sur la volonté farouche du groupe californien de sans cesse se saborder. Avec One More Light, Linkin Park n’est peut-être jamais tombé aussi bas.
La relation entre Linkin Park et un enfant des années 90 peut tenir du fantasme que l’on entretient avec cette petite copine blonde que l’on apercevait dans le bus en se rendant à l’école primaire. Qu’elle était jolie dans sa robe à fleurs. Que ses cheveux sentaient bon. Son sourire faisait se lever le soleil les jours de pluie. Combien de fois la maîtresse nous a-t-elle prise à tenter de lui envoyer un petit bout de papier pour lui proposer de se retrouver au fond du préau pour la convaincre à la récré de nous laisser lui voler un simple petit bisou, caché derrière un muret pour éviter les moqueries des copains ? Elle était belle et les souvenirs lui rendront toujours grâce. 10 ans plus tard, le hasard fait se croiser nos chemins à nouveau. "Coucou toi ! Je suis en vacance dans le coin, ça te dirait de boire un verre ?". Comment dire non ? Une douche, une petite chemise, un peu de parfum, 20 minutes d’avance au rendez-vous et elle est déjà là. Nous sommes si différents aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Mais elle aussi. Depuis l’école primaire, la jeune fille est entrée en école de commerce, est devenue pédante, adore la télé-réalité et vote Laurent Wauquiez. Une demi-heure de déception plus tard, c’est le retour à la maison, seul mais soulagé de l’être.
Rien ne gomme pourtant la douceur d’un souvenir. Et comme le sourire de la jeune fille, les riffs de Linkin Park n’ont jamais perdu de leur charme. En 2003, Meteora fut le printemps musical de toute une génération. Etrange, très froid dans ses rythmiques qui portent paradoxalement une voix si réconfortante. Personne n’est seul quand Chester Bennington commence à chanter dans ses oreilles. Que font ces touches de hip-hop au milieu de ces riffs tranchants ? On s’en fou. C’est absolument dingue. Et on en veut encore.
Linkin Park n’a pas eu envie d’en donner encore. A la production, Don Gilmore (Hybrid Theory et Meteora), qui avait donné naissance au son Linkin Park que l’on continue d’espérer en 2017, laisse place au duo Rick Rubin/Mike Shinoda. Débute alors un massacre progressif et précis de tout ce que Linkin Park avait pu construire. Le son du groupe devient de plus en plus électronique, les voix claires et chantées prennent une place parfois démesurée et les guitares disparaissent petit à petit des compositions du groupe.
The Hunting Party fut en 2014 un soulagement. Le retour des guitares, des parties criées, dans un disque un brin bordélique, encore un peu timide, mais bien produit et qui se tenait de bout en bout. Trois ans plus tard, le premier single tiré de One More Light douche à nouveau tout espoir. Comme "The Catalyst" avant la sortie de A Thousand Suns, "Heavy" est effrayant dans ce qu’il montre de l’album à venir. Plus que pop, le titre ne comporte ni partie à la guitare, ni partie rappée, et se rapproche d’un R&B très électro et lisse, à l’image de tout ce One More Light.
Dans leur nouvel album Linkin Park ils ont vendu leur âme
— Clémence ???????? (@clemence11008) 30 mai 2017
Ce n’est pas la première fois que Linkin Park dilue ses riffs dans des mélodies pop, voire dance. Mais jamais le groupe n’avait renié à ce point son identité et son esthétique. A Thousand Suns, très électro, reste un disque à l’atmosphère aride, sombre, assez cohérente avec ce qu’on peut attendre de Linkin Park. Bien qu’il ait été le point de rupture entre de nombreux fans de la première heure et le groupe. One More Light n’a lui rien de tout cela. En dehors du doux décalage entre les paroles pesantes et la légèreté qui se dégage du chant de Bennington que l’on peut trouver dans "Heavy", One More Light est truffé d’effets et d’arrangements navrants, déjà usés dans la musique pop. Dès le premier titre "Nobody Can Save Me", Linkin Park s’approprie les voix pitchées de DJ Snake et les noie dans un mix dubstep immonde qui n’est en aucun cas compatible avec ce genre d’effets vocaux.
Des années que j'attends le nouvel album de #LinkinPark mais je suis un peu déçue je ne les reconnais pas dans One more light..
— Johanna Zazoun (@JohannaZazoun) 22 mai 2017
Les relents de dubstep s’estompent, mais les voix pitchées refont par moment leur apparition ("Battle Symphony", "Sorry for Now"). Disque relativement court, seulement 35 minutes, One More Light s’emballe avec le presque rock "Talking To Myself", et frôle le chill de début d’après-midi estival avec "Sorry For Now". Avant de s’éteindre sur "Sharp Edges", titre taillé tant pour la plage que pour la playlist de Virgin Radio.
Rien ne condamne dans l’absolu Linkin Park à faire crier ses guitares pendant 30 ans en enchaînant refrains rappés et couplets chantés d’une voix fragile. En interview, Mike Shinoda n’a pas peur de le dire : One More Light est un disque radicalement différent dont le but est pour le groupe d’aller chercher une audience plus large. La prise de risque fait de partie de ce que l’on apprécie chez un artiste. Et si la reconversion totale se fait parfois dans la douleur, déstabilisant les fans et les médias, elle n’a rien d’impossible. L’exemple récent de Paramore et de son nouvel album After Laughter montre qu’un groupe de rock peut sortir un disque de pop estival, et le faire bien.
Mais même pour un disque du genre, One More Light n’est pas un bon disque. Le featuring de Kiiara, anecdotique, cache difficilement la misère qu’a été l’écriture de certaines chansons pour lesquelles Mike Shinoda a fait appel à de nombreux paroliers. Musicalement, Linkin Park n’a pris aucun risque et se contente de poncifs de l’électropop de club de plage sans jamais rendre ses compositions personnelles. Toutes les tentatives qui sortent un peu de ces carcans, comme le mélange dubstep/voix pitchées de "Nobody Can Save Me", sont un échec.
Linkin park elles sont passées où vos guitares dans votre nouvel album? Où est passé le bon rock auquel vous nous avez habitué ?
— bang bang ?? (@sara_e14) 21 mai 2017
Et se pose, comme pour Paramore d’ailleurs, la question de l’intégration de ces nouvelles compositions à une setlist live. Aller cueillir de nouveaux fans est une chose, c’est tout le mal qu’on peut souhaiter à Linkin Park. Mais une fois en concert, que vont trouver ces nouveaux fans de la musique de Linkin Park ? Les récents concerts, et en particulier celui du 19 mai dernier au Chelsea de Las Vegas, se focalisent sur tout ce que Linkin Park a à offrir de plus pop dans son répertoire. Bonne nouvelle pour les néo-fans donc. En espérant que l’enchaînement "Burn It Down"/"The Catalyst" en ouverture fasse le bonheur du public du Hellfest et du Download…
A écouter sur un autre album qui ressemble beaucoup plus à Linkin Park que le nouvel album de Linkin Park, Crooked Teeth de Papa Roach : "Break The Fall" et "My Medication".