Ange
La gare de Troyes
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1- La Gare de Troyes / 2- A saute-mouton / 3- Questions d'générations / 4- Va-t'en / 5- Les moments bizarres / 6- Shéhérazade / 7- Les jardins / 8- Neuf heures / 9- Tout bleu !
Dire, au cours d’une période difficile, qu’Ange n’a plus rien à raconter et que c’en est fini des belles heures d’un des plus grand groupes de rock français c’est comme dire, aujourd’hui, que le rock est mort : c’est une légende alimentée par les pessimistes ou, à tout le moins, par les aveugles.
Il est vrai que les deux précédents albums n’ont pas aidé à militer en faveur des Francs-Comtois. Ni d’ailleurs les avis de la presse de l’époque qui avait déjà enterré un Ange, pourtant éternel, dès la sortie de Guet-Apens. Néanmoins leur dixième album a de quoi consoler les fans qui ne se seraient pas remis du virage pris depuis Vu D’un Chien.
Car en 1983, voilà qu’Ange fait la rencontre d’une troupe de théâtre originaire de l’est de la France, Le Grenier de Bourgogne. Vient alors à l’esprit de Christian Décamps de réaliser un album concept qui se prolongerait sur scène à l’occasion d’une vraie mise en scène autour du thème principal. En l’occurence, ce sera l’univers ferroviaire. Finies les balades en roulotte, voilà que Godevin déambule sur les quais et vagabonde en train. Le groupe a définitivement troqué l’univers moyenâgeux pour un paysage plus urbain.
On reste dans la droite ligne artistique des précédents opus, de sorte que les synthés sont bien présents, de même que la batterie électronique et les guitares hard-FM, mais avec le sentiment cette fois d’une construction plus subtile. Les premières notes de synthé du morceau-titre s’apparenteraient presque à jingle précédent une annonce en gare : "Votre attention s’il vous plaît, Ange est de retour et il a compris la leçon." "La Gare de Troyes" nous plante le décor de l’univers qui nous attend sans que l’on supplie Francis Décamps de mettre ses synthés au placard. Ceux-ci sont justement dosés, sans surcharge. On sent qu’il se canalise, et on apprécie vraiment.
Sur cet album, on profite aussi de morceaux très variés les uns par rapport aux autres, mais tous cohérents dans leur ensemble. "Va-t-en" alterne par exemple des couplets chantés calmement qui disparaissent dès qu’intervient le refrain à base de guitares rythmiques hard-rock. Marc Fontana fait notamment son retour au saxophone pour un solo cassant un peu la dynamique très entraînante.
Aussi, Christian Décamps a fait un effort sur les paroles. Il a toujours l’esprit ambivalent et porté sur la chose mais c’est ici pour le meilleur ("A Saute-Mouton", "Shéhérazade"). Il nous offre aussi un vrai moment de beauté avec "Neuf Heures", morceau à la sauce piano-voix qui témoigne de la sensibilité du patriarche dans l'écriture de ses textes. Bon, tous les morceaux ne sont pas remarquables à ce niveau-là et on notera une forme de simplicité sur certains ("Questions d’Générations", "Les Jardins", "Tout Bleu !"). Mitigé sur ce plan mais bien mieux qu’avant ! Reste que malgré ses paroles simplettes, "Les Jardins" est excellent, le solo de guitare-synthé est hélas bien trop court… On en redemande !
Musicalement, on a de réelles surprises également. "A Saute-Mouton" amuse avec son côté disco-funk (que voulez-vous ? On est en plein dedans !) câblé pour les dancing tandis que "Les Moments Bizarres" contient un monologue parlé de Tristan Gros, invité, ce qui accentue le côté prog de l’album. A s’y méprendre, on croirait d’ailleurs entendre la voix de Dominique le Guennec de Mona Lisa sur Le Petit Violon de Monsieur Grégoire. Tendez l’oreille ! Un autre invité était de la partie, Guy Boley sur "Questions d’Générations" pour un peu de variété.
Enfin, "Sheherazade" est une petite pépite. Il s’agît du morceau le plus progressif de l’album, qui prend son temps pour nous faire rêver des "comptes des mille et un ennuis." Les musiciens et l’interprète s’accordent parfaitement et nous transportent dans leur imaginaire. Le saxophone de Fontana y trouve encore sa place.
Finalement, sans être un chef d’oeuvre, La Gare De Troyes rattrape les défauts majeurs des deux précédents opus à savoir la surcharge de son pop-FM et des textes très bas de gamme. Comparaison n’est pas raison mais l’on pouvait comprendre que les fans des précédents albums ne s’y retrouvaient plus ! Sans être une pièce indispensable, La Gare de Troyes est donc un opus qui mérite d’être écouté car, grâce à lui, Ange mérite d’être déterré de la fosse dans laquelle on l’avait (injustement) jeté.