Voyager
Ghost Mile
Produit par Voyager
1- Ascension / 2- Misery Is Only Company / 3- Lifeline / 4- The Fragile Serene / 5- To the Riverside / 6- Ghost Mile / 7- What A Wonderful Day / 8- Disconnected / 9- This Gentle Earth (1981) / 10- As the City Takes the Night
Si certains pontes du metal progressif moderne comme Leprous et Haken ont mis en évidence une accointance de plus en plus marquée avec la musique pop, d’autres semblaient destinés à l’exercice depuis leurs débuts. Voyager est clairement de ceux-là. Formé en 1999 autour du chanteur et claviériste Danny Estrin, ce groupe australien a pris le temps de faire murir sa formule, démontrant d’album en album un véritable attrait pour l’aventure et l’expérimentation sonore (le groupe porte bien son nom), jusqu’à aboutir à une fusion singulière et détonnante de djent et de new wave. Le groupe originaire de Perth est ainsi en mesure de faire cohabiter une certaine technicité (rythmiques complexes et riffs syncopées évoquant régulièrement TesseracT) et des élans nettement plus mainstream pour générer un savoureux patchwork d’influences aussi détonnant que fédérateur. Nous avons d’ailleurs pu être témoin de cette belle alchimie, lors d’un concert enflammé en première partie de Vola en septembre 2022 (Cf. compte-rendu du concert). Les Australiens avaient su conquérir le public français en un rien de temps, grâce à un set parfaitement maîtrisé et une véritable aisance pour la scène. Voyager a clairement marqué les esprits ce soir-là, et nous nous sommes empressés de nous délecter des différents opus studio du combo.
Si l’ensemble de la discographie du groupe mérite que l’on s’y intéresse, Ghost Mile sorti en 2017 marque indéniablement un premier sommet créatif pour Voyager. C’est simple, rien n’est à jeter dans cette autoproduction, de l’introduction explosive de "Ascension" jusqu’au final puissant et majestueux de "As the City Takes the Night" ! L’album s’écoute d’une traite grâce à un enchainement dynamique qui joue sur le contraste et l’imprévisibilité générés par un brassage stylistique parfaitement assumé. Le groupe navigue ainsi d’un registre à l’autre, faisant preuve d’audace dans ses ponts (nous pouvons basculer assez vite d’un passage épuré au piano, à quelque chose de nettement plus incisif avec chant guttural), mais aussi d’un sens aigu de la mélodie rendant l’écoute de l’album particulièrement accessible et divertissante. Quel que soit l’angle d’attaque, le groupe se montre pertinent dans ce qu’il entreprend, là où bon nombre de formations auraient rapidement sombré dans la caricature ou le mauvais goût. On enchaîne ainsi les passages aussi surprenants qu’entêtants : l’électro rock de "What a Wonderful Day" évoquant Rammstein, le metal massif aux savoureuses effluves 80’s de "Disconnected", ou encore la pop radiophonique associée aux breaks déments et typiquement hakeniesque de "Lifeline".
Cette musique aux multiples visages aboutit à plusieurs morceaux complètement imparables, à l’image du très entrainant "Misery is Only Company" dont les notes de piano s’opposent avec délicatesse à la lourdeur des riffs djent et à une batterie qui marque son territoire. Autre moment incontournable de l’album, l’éponyme "Ghost Mile" nous transporte avec son ambiance apaisante et ses petits arrangements électroniques, avant de nous plonger dans une véritable frénésie rythmique à la limite du death metal. Grand artisan de cette cohésion et de cette harmonie mélodique, Danny Estrin s’adapte aisément aux différents registres avec une voix suave et rassurante se rapprochant par moment du timbre si reconnaissable de Asger Mygind (Vola). C’est typiquement le genre de voix que l’on peut écouter en faisant abstraction de tout le reste, une véritable clé de voute assurant la jonction entre les différents univers de Voyager. Nous profitons ainsi, tel un plaisir coupable, des envolées pop joyeuses et insouciantes de "This Gentle Earth", un morceau qui s’appréhende avec le sourire et qui permet de profiter du travail effectué sur les chœurs à l’occasion d’un final jouant sur les échos et les superpositions.
Bénéficiant d’une production soignée et de compositions à l’efficacité redoutable, Ghost Mile constitue un passage obligatoire mais aussi une porte d’entrée idéale vers l’univers si singulier de Voyager. Si les Australiens bénéficient déjà d’une belle réputation dans le milieu du metal progressif, il serait dommage de restreindre le groupe à cette seule étiquette, tant le caractère progressif ne s’avère être qu’une excuse pour s’ouvrir le champ des possibles. Pour l’heure, rarement pop, prog et metal auront fait si bon ménage et pour peu que vous soyez réceptif à la démarche vous pourriez vous surprendre à vite devenir accro…
A écouter : "Misery is Only Company", "The Fragile Siren", "Ghost Mile", "This Gentle Earth"