
The Vaccines
Pick-Up Full of Pink Carnations
Produit par Andrew Wells
1- Sometimes, I Swear / 2- heartbreak kid / 3- Lunar Eclipse / 4- Discount De Kooning (Last One Standing) / 5- Primitive Man / 6- Sunkissed / 7- Another Nightmare / 8- Love To Walk Away / 9- The Dreamer / 10- Anonymous in Los Feliz


Le paradoxe d’un groupe comme The Vaccines fut d’être presque autant surestimé que sous-estimé depuis leurs débuts il y a quatorze ans. Surestimé parce que, malgré l’engouement de certaines publications musicales anglaises à l’époque, le groupe était évidemment loin d’incarner le messie annoncé. Sous-estimé parce que le rejet de certain·e·s face à la surexposition d’un groupe qui n’en valait pas vraiment la peine n’avait, comme souvent, pas grand-chose de mesuré. The Vaccines était au moins pendant les deux ou trois premières années de leur carrière un projet décent et soigné, bien qu’un peu ordinaire voire simplet sur bien des aspects. Certains titres de What Did You Expect From The Vaccines? affichaient des qualités mélodiques très évidentes mais ne pouvaient pas pour autant dessiner les contours d’un renouveau réaliste pour le rock anglais, la faute à un cruel manque de personnalité et de substance rendant difficile une identification du style "The Vaccines", en dehors d’un talent indéniable pour agencer des compositions pop/rock high-tempo simplement accueillantes et agréables.
Il n’est pas forcément nécessaire de faire davantage pour retenir l’attention à moyen terme et le groupe aurait pu se faire une place de choix dans le paysage musical rock de la décennie précédente. Mais au-delà du premier album, la trajectoire prise par The Vaccines n’a globalement fait que nous ennuyer, voire nous frustrer. Come Of Age affaiblissait les atouts mélodiques du groupe derrière une attitude surjouée. English Graffiti se caractérisait par son absence de but ou de cohérence et confirmait les limites d’une formation qui n’a jamais su se définir proprement, même le temps d’un album. Combat Sports semblait abandonner toute envie de se dépasser, contrairement à ce qu'indique son titre, en noyant l’auditeur de compositions mondaines et téléphonées aux refrains interchangeables. Et puis il y a ce douteux Back In Love City qui s’écroulait sous une surproduction absolument affligeante, vidant la musique des anglais du peu de singularité qu’il leur restait à ce stade et nous amenant presque à la comparer au rock invertébré de Imagine Dragons. Une catastrophe grossière, mais sans doute prévisible pour un groupe qui a involontairement fait de leur quête d’identité sempiternelle la seule constante de leur carrière.
Paru début janvier 2024, Pick-Up Full Of Pink Carnations peine à se faire remarquer malgré le désert de sorties inhérent à cette période. Premier album entreprit sans le guitariste originel, premier album enregistré sur le sol américain. Et premier album à nous prendre la tête en cette nouvelle année. Le groupe anglais nous propose à nouveau son indie rock hâtif à la nostalgie un peu amère, débarrassé de la production saturée et irritante de Back In Love City. Le titre d’ouverture suggère un regain de vitalité dans le songwriting de Justin Young avec une progression plutôt fluide et engageante, mais la formule au cœur du titre est cependant effrayante de lucidité : "Sometimes, i swear, it feels like I don’t belong anywhere". Sentiment validé par l’auditeur une fois le disque terminé. La musique de The Vaccines, dont l’enracinement anglais a toujours été un peu bancal, n’a jamais sonné aussi américaine. Justin Young est en effet parti lui-même en quête d’identité (tiens donc) à Los Angeles et son nouvel environnement a naturellement inspiré les nouvelles compositions. Sans une once de subtilité, malheureusement : on entrevoit dans ce nouvel album les grands espaces de Californie, parcourus par le regard de ce touriste anglais qui nous chante alors le rêve américain, ses mensonges et ses déceptions.
Fantastique. Avec ce genre de réappropriations naïves et simplistes d’une certaine esthétique américaine, The Vaccines auraient pu prétendre au titre des Mumford & Sons de l’indie rock si ce nouveau trait de personnalité n’était pas exploré aussi superficiellement. Face à la frilosité du groupe devant des influences réchauffées et à moitié assumées, la plupart des compositions font ici preuve d’un mimétisme effarant : "Heartbreak Kid", "Lunar Eclipse", "Primitive Man", "Another Nightmare", "The Dreamer", "Anonymous in Los Feliz" s’alignent sans surprise sur le même schématisme pop-rock, mélangeant power-pop et post-punk de la manière la plus convenue possible. Les mélodies se chantent instinctivement dès les premières écoutes, probablement parce qu’elles n’ont rien d’original et qu’elles se ressemblent toutes. Le cœur secoué de "Heartbreak Kid" fait son effet jusqu’à ce que l’on réalise que tous les refrains du disque suivent le même mouvement et le même traitement sonore excessivement compressé, comme pour forcer l’illusion de l’énergie et de l’authenticité du groupe qui n’ont plus rien d’évident. En dehors de l’introduction dont les différentes humeurs la sauvent de la monotonie, les titres restants ne se distinguent pas de l’ensemble pour les bonnes raisons. "Discount De Kooning" est d’un faux romantisme assommant tandis que la niaiserie de "Sunkissed" affole et provoque un peu trop rapidement le réflexe d’un visage-paume. Les quelques lignes de basse glissantes et les petits tours de guitare fuzzy vraiment convenus n’apparaissent que pour nous distraire, nous détourner du fait que The Vaccines ne maîtrise plus qu’une seule manière de composer.
Le fait que le frontman des Vaccines ait besoin d’habiter à LA pour se rendre compte des mythes entretenus par le pays de l’Oncle Sam est finalement ici le dernier des soucis du collectif anglais. Le principal problème de chaque disque des Vaccines se situe en effet dans leur manque de caractère et de distinctivité, défaut fatal à cette saison de leur carrière qui atteint d’autant plus violemment ce dernier opus en date. Peut-être que certaines mélodies ont bonne allure, que le son présenté par le groupe est rafraîchissant en comparaison à l’horrible disque précédent, mais cela reste finalement bien peu de choses. Pick-Up Full Of Pink Carnations est tellement craintif, inoffensif et répétitif qu’il s’oublie aussi facilement qu’il s’écoute. On peut excuser l'unidimensionnalité d’un artiste si sa vision est un minimum personnelle et singulière ou que l'exécution touche l’excellence, or, tout cela est bien trop loin ici. Jusque là, cette fameuse question posée par le premier album du groupe What did you except from the Vaccines? nous amusait en ce qu’elle évoquait déjà le paradoxe de jugement évoqué plus tôt dans cette chronique. Aujourd’hui, cette interrogation nous fatigue quand elle consolide un degré d’exigence bien trop faible. Comme s’il était devenu normal de se satisfaire de productions potentiellement médiocres par l’unique fait que le groupe ne s’est apparemment jamais pris au sérieux malgré leur surexposition médiatique. A trop vouloir protéger ou défendre The Vaccines d’exigences injustes, certains semblent être devenus bien trop indulgents. Dans tous les cas, les anglais ont cette fois-ci eux-même dressé la barre très basse avec ce sixième album.
A écouter : "Lunar Eclipse" peut-être, mais surtout n’importe quoi d’autre.
