
Opeth
Ghost Reveries
Produit par Jens Bogren
1- Ghost of Perdition / 2- The Baying of the Hounds / 3- Beneath The Mire / 4- Atonement / 5- Reverie/Harlequin Forest / 6- Hours of Wealth / 7- The Grand Conjuration / 8- Isolation Years


C'est la fin d'un cycle pour Opeth. Une nouvelle page s'ouvre en même temps que se referme celle "l'ère Steven Wilson". Le leader de Porcupine Tree, producteur des trois précédents albums du groupe suédois, ceux qui ont vu le quatuor passer, presque instantanément, de l'anonymat à figure de proue de la scène metal. A l'heure de publier Ghost Reveries, Opeth et son chanteur Mikael Åkerfeldt vont, pour la première fois, faire face aux espoirs d'une "fan-base" considérablement élargie . En plus des attentes de son public, le quatuor va également être confronté aux critiques d'une presse, plus ou moins spécialisée, et à ses lumières braquées sur cette créature qui s'est extirpée des ténèbres quatre ans plus tôt. Difficile de savoir si cette pression du résultat touche Åkerfeldt. Ce qui est certain en revanche, c'est que les tensions dans sa formation, apparues lors de l'enregistrement de Deliverance, marquent le chanteur originaire de Stockholm.
Opeth est gangréné par les soucis de santé de son batteur Martin Lopez en proie à des crises d'angoisse terribles, qui l'affaiblissent physiquement et le rendent quasi inapte à jouer, quand il n'est pas tout bonnement absent. Mikael Åkerfeldt qui regarde aussi d'un mauvais œil son compère guitariste Peter Lindgren, pour un manque d'influence dans les compositions du groupe que son leader détaillera quelques années plus tard :
"Il m'avait envoyé une démo avant d'enregistrer Deliverance et je n'ai trouvé aucun des riffs bons. J'ai quand même essayé d'en faire quelque chose et lorsque je les ai joués aux autres, ils m'ont dit que ce n'était pas bon, que je proposais ce riff uniquement pour faire plaisir à Peter. Je ne lui en ai jamais parlé et il ne m'a jamais demandé si j'avais aimé ce qu'il m'avait envoyé…".
Pour l'enregistrement de son huitième album, Opeth intègre le claviériste Per Wiberg. L'arrivée d'une tierce personne qui sera prépondérante pour expier le mal-être environnant au groupe, mais surtout par l'apport de son instrument.
L'intégration du clavier est l'une des grandes réussites de Ghost Reveries. Ce dernier apporte une dose accrue de profondeur et d'immersion dans les ambiances si spécifiques que génère la musique des Suédois. Les nappes contenues dans le pont de "The Baying of the Hounds" contribuent à la grandeur malfaisante de l'un des temps forts de l'album. Un clavier capable de propulser les compositions de Opeth vers des influences allochtones à l'image des sons arabisants entendus sur "Beneath the Mire". L'instrument qui ne quittera plus le groupe et deviendra un organe vital de la dimension technique que prendront les Suédois. Ce futur dont les prémices peuvent être entendues sur la piste "Atonment" avec ses notes "jazzy" déposées au milieu d'une paisible atmosphère feutrée. Un morceau catalyseur des aspirations progressives qui influencent tant le chanteur suédois et qui s'inscrit dans le prolongement du romantique album Damnation. Intégralement partagé au son d'une voix claire, ce disque a apporté la confiance nécessaire à Åkerfeldt qui évolue désormais avec aisance dans ce registre. Cela s'entend sur la complainte délicate "Hours Of Wealth" et ses arpèges larmoyants. Une assise vocale qui se traduit avec plus d'ampleur sur le conclusif et bouleversant "Isolation Years". Une petite merveille mélancolique profondément touchante avec son refrain d'une vulnérabilité à vous transpercer le cœur.
Bien que parfaitement maîtrisée en ne tombant jamais dans l'excès, cette délicatesse n'est pas du tout au goût d'une partie du public et des critiques.
Il faut croire que les réactions des puristes du metal vont de pair avec l'aspect "extrême" du registre. On parle (déjà) de trahison. Parce que Opeth à signer sur un label d'envergure comme Roadrunner ? Parce qu'un tiers des pistes du disque ne contiennent pas de grawls ? Deux vérités qui ne sauraient dénaturer l'essence du groupe. "Reveries / Harlequin Forest" brille justement par cette accessibilité contenue dans la fluidité mélodique d'un premier versant majestueux. La suite rassemble tout ce que l'on s'attend à retrouver chez Opeth : des gimmicks contenus dans les riffs de guitare, à son l'évolution en tiroirs, au détour du scintillement délicat des cordes acoustiques. Et pourtant, ces auditeurs qui ont le sentiment d'avoir été abandonnés, qui vont jusqu'à affubler Ghost Reveries du terme "commercial", Åkerfeldt avait tout fait pour les contenter.
De son propre aveu, il qualifie Ghost Reveries comme l'album contenant sa meilleure performance sur les grawls. Difficile de lui donner tort à l'écoute de "The Grand Conjuration" tellement puissant qu'il tomberait presque dans une forme de caricature death-metal. Ironiquement, ce titre sera intronisé en single de l'album. Commercial, vous avez dit ?
La huitième production de Opeth qui contient ce qui est probablement le plus flamboyant début d'album, dans la carrière du groupe, avec la doublette "Ghost Of Perdition" et "The Baying of the Hounds". Le premier nommé, titre adoubé par les fans, est lancé au son déchirant des cris de Åkerfeldt soutenus par toute la puissance démoniaque de la rythmique jusqu'à s'enfoncer dans la noirceur de chœurs funestes. Une invitation pour les âmes mortelles, tapies dans l'obscurité des salles de concert, à susurrer d'une seule voix cette incantation maléfique. Si les Suédois ont érigé le titre "Deliverance" comme leur morceau incontournable, "Ghost Of Perdition" tient du même standing voir le surpasse tant l'atmosphère dépeinte y est saisissante d'immersion.
Avec la vitalité pour mantra, dans son introduction, "The Baying of the Hounds" est fait du même bois qualitatif et nous subjugue par une production épique pour définitivement nous posséder sur le pont évoqué précédemment. L'ascension y est vertigineuse jusqu'à la reprise du grawl d'Åkerfeldt dont la puissance est telle que la terre se dérobe sous nos pieds et nous plonge dans la torpeur des abysses pour un final terriblement angoissant et néanmoins fascinant.
Reste "Beneath the Mire" peut-être plus convenu et qui, s'il n'atteint pas les hauteurs prodigieuses de ses devanciers, se voit greffer d'un solo totalement jouissif.
Opeth a cette capacité impressionnante à restituer la couleur de sa musique au travers de ses pochettes d'albums. Ghost Reveries ne fait pas exception et se définit parfaitement au reflet de son visuel : hanté et claustrophobique.
Si le mal-être s'est invité, avec un peu plus de force dans la formation suédoise, son créateur Mikael Åkerfeldt assoit encore son emprise en réussissant à extirper, par la musique, le groupe du coma dans lequel Opeth paraissait voué à être plongé. La huitième production des Suédois voit son leader nous proposer ses grawls les plus déchirants tout en s'affirmant comme un chanteur complet au vu de sa performance sur des balades poignantes de fragilité. Musicalement, les compositions évoluent avec l'introduction prépondérante du clavier comme valeur ajoutée dans la richesse distillée au sein des morceaux et de l'immersion dans les atmosphères partagées.
Mis au-devant des critiques émanant de la presse et de son public, conjuguées à une nécessaire remise en question venant de l'intérieur du groupe, Åkerfeldt, fera réapparaître Opeth dans une nouvelle incarnation, trois ans plus tard, pour ce que beaucoup qualifient comme le sommet de leur période death-metal avec Watershed.
A écouter : "The Baying Of the Hounds" ; "Ghost Of Perdition" ; "Isolation Years" ; "Reveries / Harlequin Forest".