Lazuli
Le Fantastique Envol de Dieter Böhm
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Entre rock progressif et chanson française engagée, Lazuli a trouvé un sillon prometteur, qu’il creuse avec un talent incontestable. Devenu un des porte-drapeaux du genre en Europe - le groupe est programmé en Angleterre pour le Ramblin’ Man si l’épidémie s’est calmée et a fait Loreley. Il enchaîne les albums avec brio, et s’affirme dès lors comme un incontournable de la scène française. Saison 8, leur dernier opus, avait été reçu avec enthousiasme, et on vante encore davantage les mérites de son successeur, Le Fantastique Envol de Dieter Böhm (du nom d’un de leur plus fidèle fan).
Divisé en plusieurs actes, l’opus est un album-concept qui raconte moins une histoire qu’il est un long poème autour de la musique, de sa conception, de sa réception. Du reste, pour renforcer l’immersion, l’objet est très travaillé : le livret est conséquent, les illustrations nombreuses (des dizaines de superbes photomontages), et la pochette nous laisse imaginer un univers à la Jules Verne (du style d’Une expérience du docteur Ox). Finalement, il n’en est rien (la thématique est plus allégorique), mais on voyage quand même avant même d’avoir écouté la moindre note.
L’album marque d’abord par ses paroles très poétiques et imagées, puisqu’il s’agit finalement d’une métaphore filée sur plus de quarante minutes. En soi, si vous êtes touchés par leur musique, vous incarnez une des faces de Dieter Böhm, idéal-type du mélomane passionné. On navigue entre mélancolie, comme souvent chez Lazuli ("Mers Lacrymales") et ambiances plus heureuses ("L’Homme-Volant"), le tout servi par une voix chaleureuse et expressive. L’album est parfaitement incarné par Dominique Leonetti.
Comme toujours, puisque les paroles sont au centre du procédé créatif – mais n’est-ce pas un des traits du rock progressif français ? – le format court est de mise : les titres varient entre deux et six minutes. Mais la longueur n’est pas gage de qualité, et on peut faire de l’exigence musicale une vertu associée à l’efficacité. Ainsi, d’excellentes mélodies et des riffs accrocheurs sont trouvés, avec de vraies réussites en ce sens sur "Sol" ou "Dieter Böhm" pour ne citer que les coups de cœur. Néanmoins, il ne faut pas négliger l’aspect très ambitieux de leur musique : on le trouve dans une économie générale extrêmement fine, mais également dans les envolées instrumentales rondement menées.
Pour le reste, les amateurs du groupe retrouveront quelques gimmicks et choix esthétiques du style lazulien : batterie électronique sur le début de "Les Chansons sont des bouteilles à a mer", soli imparables (incomparables) de léode (l’instrument inventé par et pour Claude Leonetti) dont celui sur le morceau suscité. N’oublions pas non plus la guitare qui est capable de belles démonstrations ("Dans les Mains de Dieter"). De vrais moments de folie sont parsemés comme le final de "Mers Lacrymales". Une grande énergie et un talent instrumental servis par une production aboutie : une recette qui confirme les mérites du groupe.
C’est donc une musique originale quoique référencée : quelques allusions au King Crimson des débuts ("Un Visage Lunaire" possède un pont qui rappelle "In the Court of the Crimson King"), un clin-d’œil à Led Zeppelin (l’introduction de "L’envol" rappelle "In the Light"). Qu’ils soient volontaires ou non, ils renvoient à des inspirateurs distingués et recommandables.
Pour ceux qui veulent découvrir la scène progressive française et Lazuli, désormais une référence, ce nouvel album s’offre à vous comme une porte d’entrée à la fois facile à ouvrir mais pleine de surprises et très séduisante par sa poésie et sa qualité d’interprétation. Du grand travail.
A écouter : "Sol", "Dieter Böhm", "Les Chansons sont des bouteilles à a mer"