Lazuli
Onze
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Après un fabuleux concept-album en 2020 unanimement salué à sa sortie (Le Fantastique Envol de Dieter Böhm) et un opus acoustique audacieux (Dénudé, 2021), l’intitulé de la nouvelle production de la tête de pont du rock progressif français, Lazuli, semble vouloir renouer avec plus de simplicité. Tout se passe comme si, en reprenant la suite numérique de leur discographie, Onze souhait être un écho à Saison 8 et refermer ainsi une parenthèse. Mais cela n’est peut-être qu’une impression car, bien qu’il soit le premier album studio original avec Arnaud Beyney (on exclut là l’album acoustique), l’univers esthétique du groupe n’en est que plus affirmé : la musique est typiquement … lazulienne.
La clôture de la tournée du Fantastique Envol de Dieter Böhm s’était déroulée à Villeurbanne quelques jours avant la sortie officielle d’Onze, et celui-ci avait été interprété en avant-première et dans sa quasi-totalité. Présent sur place, j’avais à la fois pu découvrir en live ce nouvel album et me le procurer au merch avant qu’il ne soit mis en vente sur leur site. L’objet mérite en lui-même un petit commentaire, puisqu'il est doté d'une pochette cartonnée solide et d'un livret très travaillé, presque comme un petit ouvrage précieux.
Introspectif, Onze commence sur un hommage à la musique. Après avoir appris avec eux que "les chansons sont des bouteilles à la mer", nous voici conviés à "Sillonner des océans de vinyle" qui file la métaphore aquatique (la métaphore filée est une technique d'écriture très utilisée par le groupe). Tout mélomane se retrouvera forcément dans l’évocation de ces croisières auditives, immergé par un clip inspiré de façon peu implicite des Beatles. Comme toujours, les paroles sont pleines de poésie, un point fort du groupe souligné par "Les Mots Désuets" ("échoués sur les plages d’autrefois", encore la mer …), une ballade arpégée typique de Lazuli.
En effet, même s’il est considéré comme le groupe de rock progressif français le plus en vue, Lazuli s’inscrit parfois davantage dans la chanson française où les textes sont bercés par une musique très accessible. On classerait sans grande hésitation dans ce registre des chansons (j’insiste sur le terme) comme "Triste Carnaval" qui évoque avec légèreté une honte de jeunesse, "Égoïne" aux effluves sudistes ou le léger et cotonneux "Le Pleureur sous la Pluie".
Les paroles gagnent d’ailleurs en profondeur lors des passages les plus engagés d’Onze. "Qui d’autre que l’autre" a vraisemblablement été composé pour étouffer le bruit des bottes de plus en plus assourdissant à travers le monde, en compagnie de la léode volontiers hurlante avec de longues notes qui construisent des sortes de nappes plus ou moins intenses et inquiétantes. Ne vous fiez pas au titre trivial de "Parlons du Temps", il s’agit en effet d’un parallèle subtil entre la question climatique et la nostalgie, mis en scène par un jeu de batterie répétitif et minimaliste qui rappelle l’atmosphère des premiers albums. Enfin, sous prétexte d’un traumatisme d’enfance, "La Bétaillère", un titre orchestral et plus agressif, est un manifeste sur la condition animale où le camion est un monstre qui dévore les bêtes comme la machine engloutissait les enfants chez Hugo ("Melancholia").
Musicalement, Lazuli propose une grande variété de styles mais surtout, mène une ambiance sonore globale de la plus belle des façons. Très bien produit, l’album est l’œuvre de musiciens minutieux qui ne laissent rien au hasard dans leurs interventions, et on soulignera la léode qui donne toujours un élan de puissance très mélodieux aux différents titres (comme sur "Lagune Grise", une mélancolique chanson d’amour aux aspérités western). Les parties purement instrumentales, comme le solo de "Qui d’autre que l’autre" ou de "Triste Carnaval", sont à chaque fois pertinentes. Un mot du titre le plus long, l’intimiste "Mille Rêves hors de leur Cage" qui s’autorise un développement jazzy au piano sur un pont et un final enlevé, pour lequel "Le Grand Vide" semble être un prolongement.
Comment alors, ne pas déplorer le manque de reconnaissance du groupe dans son propre pays, qui l’entraine à se produire plus aisément chez nos voisins que dans nos salles hexagonales ? Cette chronique est un peu comme une bouteille à la mer lancée aux auditeurs curieux, il y a de fortes chances que vous soyez conquis.
À écouter : "Sillonner des Océans de Vinyle", "Qui d’autre que l’autre", "La Bétaillère", "Parlons du Temps"