Pure Reason Revolution
Eupnea
Produit par Jon Courtney
1- New Obsession / 2- Silent Genesis / 3- Maelstrom / 4- Ghosts & Typhoons / 5- Beyond Our Bodies / 6- Eupnea
Le retour de Pure Reason Revolution a quelque chose de miraculeux. Souvenez-vous. 2010, le groupe emmené par Jon Courtney et Chloë Alper est au sommet de sa notoriété et fait les beaux jours du label allemand Superball. Rarement on a vu une formation aussi talentueuse et aventureuse, n’hésitant pas à repousser les frontières du prog rock classique - hérité du Floyd et de Porcupine Tree - vers l’électronique et la dance music. Certes Hammer and Anvil marque un peu le pas malgré quelques morceaux de grande classe, mais à ce stade on voit mal ce qui peut empêcher le duo magnétique de poursuivre son irrésistible ascension. Or quelques mois plus tard, coup de théâtre : Pure Reason Revolution se sépare, presque sans explication. On suppute des divergences artistiques plus que des querelles d’égo tant les acteurs de ce drame paraissent charmants dans leur abord personnel, mais qui sait ?
Depuis, plus rien ou presque. Courtney s’est fait extrêmement discret. Alper elle-même a vaguement surnagé au sein de divers projets très confidentiels (Flood et plus récemment Tiny Giant). Puis l’an passé, premier miracle, Pure Reason Revolution annonce sa reformation pour une date unique lors du Midsommer Prog Festival en Hollande, à l’occasion duquel ils interprètent en intégralité leur album séminal, The Dark Third. On croise alors très fort les doigts pour que tout se passe bien, pour que la magie opère à nouveau, que l’aventure n’en reste pas à un simple one shot. Prière exaucée quand, quelques mois plus tard, PRR dévoile la venue d’une nouvelle réalisation studio, dix ans après Hammer and Anvil. Deuxième miracle qu’Upside Down se fait une joie d’accueillir et de diffuser (on gage qu’ils n’en seront que gagnants).
Et troisième miracle, désormais, car Eupnea est une complète réussite. Même si on se laissait griser par les allants électro de PRR sur Amor Vincit Omnia (“Les Malheurs” et “Deus Ex Machina”, un résultat sidérant) et dans une moindre mesure sur Hammer and Anvil (“Fight Fire”, “Blitzkrieg”), on sentait qu’il y avait comme une impasse à poursuivre dans cette voie. Les deux chanteurs avaient annoncé vouloir revenir à un style plus classique, dans la droite lignée de leur premier opus, The Dark Third, et force est de constater que la tendance se confirme. C’est surtout flagrant sur “Silent Genesis” que l’on pourrait presque enchaîner à leur œuvre liminaire sans déceler de différence, du moins au début. Ambiance onirique, synthétiseurs caressants, petits arpèges de guitare teintés de réverb’, Pink Floyd se voit toujours convoqué avec un confondante modernité. Plus le titre s’étire, plus on note cependant que les choses n’en sont pas restées au même stade. Le chant se fait plus affirmé, Courtney et Alper se réservant de nombreux passages solistes durant lesquels ils ne se cachent derrière aucun arrangement instrumental ou presque : la voix sonne juste, sereine, concernée.
Mais la patte de la Révolution de la Raison Pure a tôt fait de reprendre le dessus, et l’on retrouve alors ce canevas chanté d’une troublante beauté, lignes princeps et secondes voix s’enveloppant en canons pour nous élever dans la grâce. Clairement, l’atout principal de PRR ne faillit pas, et c’est toujours un immense plaisir de se laisser emporter par les envolées lyriques masculin-féminin des deux anglais. Autre différence, les guitares n’hésitent pas à s’imposer plus fortement que sur The Dark Third, et s’il semble un peu abusé de parler de “heavy metal”, disons qu’à tout le moins elles n’hésitent pas à se gonfler de distorsion lorsqu’il le faut. Sans doute la production plus tranchée d’Eupnea y est-elle pour beaucoup, avec des instruments qui paraissent bien détachés les uns des autres, moins flous que sur The Dark Third, preuve aussi d’une nette progression à ce niveau.
Surtout Eupnea se distingue de son illustre aîné par un éclectisme et une hétérogénéité plus marqués. Certains verront cela comme une régression, mais ce n’est pas le cas de l’auteur de ces lignes, sachant déjà que les deux disques précédents ne lorgnaient absolument pas vers une quelconque homogénéité stylistique. “Silent Genesis” passe donc de la félicité à la tension avec une épatante habileté, mais c’est pourtant le morceau le moins intéressant du lot. On lui préférera le magistral “New Obsession”, parfaite entrée en matière, aux mélodies imparables, au refrain envoûtant, aux atours instrumentaux saisissant de force et de majesté. Sans doute même “Silent Genesis” ne s’imposait-il pas sur le disque (malgré toutes ses indéniables qualités !) car il y a là comme deux titres d’ouverture, mais passons car il s’agit d’un détail relativement trivial. Toute la force d’Eupnea se déploie ensuite et trouve son point culminant dans le redoutable “Ghosts and Typhoons”, presque neuf minutes durant lesquelles la tension angoissée cède le pas à un déferlement sonore où l’ire se mêle à la tempête, furieux assemblage de metal et d’électronique qui sert de tremplin à un refrain scotchant. Superbe point d’orgue préfiguré par un “Maelstrom” subjuguant, pour le coup très solaire, très optimiste, agrémenté d’une batterie maousse costaud, et suivi d’un “Beyond Our Bodies” d’une zénitude uniquement troublée par de rutilantes guitares royales. On pense beaucoup à Anathema ici alors que l’ombre de Steven Wilson - et de Rick Wright - plane partout ailleurs, et croyez-moi, c’est un vrai bonheur que cette respiration aussi magique qu’épique. Et l’on n’a pas encore abordé le cas du morceau titre conclusif où l’on approche des quatorze minutes de rock progressif éclectique, roboratif, sensible, parfaitement composé et exécuté, une vraie réussite, un vrai bonheur à l’image de l’album tout entier.
Eupnea ne constitue pas seulement un retour réussi, scellant dix ans d’une bien triste absence, c’est également un retour en très grande forme, nettement supérieur aux albums 2 et 3 de Pure Reason Revolution. Eupnea est-il aussi bon que The Dark Third ? Le temps nous le dira, mais à ce jour, il dispose de sérieux arguments à faire valoir. Allez, il faut continuer sur cette brillante lancée, n’est-ce pas, messieurs-dames ? Au fait, PRR partagera l’affiche avec Gazpacho au Petit Bain cet automne, le 24 octobre très précisément. Un live unique à ne manquer sous AUCUN prétexte !