↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.
Critique d'album

Iron Maiden


Senjutsu


(03/09/2021 - EMI - New Wave of British Heavy Meta - Genre : Hard / Métal)
Produit par

1- Senjutsu / 2- Stratego / 3- The Writing on the Wall / 4- Lost In A Lost World / 5- Days of Future Past / 6- The Time Machine / 7- Darkest Hour / 8- Death Of The Celts / 9- The Parchment / 10- Hell On Earth
Note de 4/5
Vous aussi, notez cet album ! (56 votes)
Consultez le barème de la colonne de droite et donnez votre note à cet album
Note de 3.5/5 pour cet album
"Progressions - Soleil Levant"
François, le 14/09/2021
( mots)

"Welcome to Belshazzar’s Feast", c’est sur ces mots prononcés par Bruce Dickinson dans les balcons d’un théâtre (scène à l’esthétique très David Lynch par ailleurs) que se termine une campagne de promotion pour un nouveau single et par extension un dix-septième album d’Iron Maiden. La référence biblique (qui renvoie à la prédiction de la chute de Babylone apparaissant sur un mur lors d’un festin rituel du roi Balthazar – Livre de Daniel) apporte une dose de mystère supplémentaire à une annonce savamment diluée dans des indices difficilement décelables et interprétables : des détails sur des t-shirts lors d’interviews sans rapport avec le sujet, un faux-compte Twitter abonné à autant de comptes qu’il y a d’albums dans leur discographie, chacun d’entre eux faisant référence au titre ou au thème d’un des opus … Au regard de la réception de Senjutsu, les mauvaises langues diront que seule la campagne vaut le détour et qu’elle ne valait sûrement pas autant d’efforts. 


 


Pourtant, le single en question "The Writing on the Wall" suffisait largement à leur donner tort. Et cela au-delà du clip très intéressant, frôlant le dessin et la colorisation d’un Haunted World of El Superbeasto (de Rob Zombie, les délires scabreux en moins) tout en multipliant les clins d’œil au jeu-vidéo du groupe, Legacy of the Beast. L’ambiance sudiste western de l’intro, les petites lignes de mandolines, la partie très classic-rock du solo, les lignes mélodiques épiques : la composition maintient la touche de la Vierge de Fer, évidemment, mais propose une orientation suffisamment originale pour être soulignée. Franchement, difficile de s’en prendre à un titre aussi réussi, sauf à détester la Bête. 


 


Néanmoins, force est de constater qu’une fois l’album complet entre les mains, on ne peut s’empêcher d’abonder dans le sens de certaines critiques. 


 


Premièrement, il y a un problème de production indigne d’un groupe de cette envergure. Sans entrer dans des critiques aussi acerbes que celles qu’on a pu lire ou entendre par ailleurs, difficile de ne pas constater qu’un brouillard semble avoir étouffé les micros et que le tout manque cruellement de relief. Pour tout dire, j’ai réécouté Thunderbolt (2018) de Saxon juste après un nouveau voyage dans les notes de Senjutsu, et la différence est accablante pour ce dernier. Si jamais Biff Byford ou Rob Halford veulent bien faire passer le numéro d’Andy Sneap … Sinon, Bob Ezrin pourrait aussi faire l’affaire. 


 


Deuxièmement, on remarque une certaine facilité d’écriture qui ne se limite pas à du "Maiden fait du Maiden". Beaucoup de plans sont recyclés et certains morceaux possèdent des structures déjà entendues. Les exemples sont suffisamment nombreux pour qu'on se limite à en dispenser quelques-uns : le riff de "The Parchment" est tiré de "To Tame a Land", "Death of the Celts" rappelle beaucoup "The Clansman" (à la limite, on pourrait se dire qu’il y ici un clin d’œil volontaire lié à la thématique commune), "Time Machine" évoque "The Talisman" … Certains (en l’occurrence, le vidéaste Neogeofanatic) ont souligné le contexte d’enregistrement de Senjutsu, en France en 2019 au cours d’une tournée, pour expliquer ces remplois : pris par le temps, le groupe n’aurait pas suffisamment travaillé les compositions qui auraient pu gagner en profondeur, enclenchant plutôt le pilote-automatique en guise de compensation. Une hypothèse recevable. 


 


Enfin, il y a la question du format (un double album d’une heure vingt, dans la lignée du précédent) et de l’esthétique générale. Personnellement, je suis très réceptif à la période post-2000 du groupe. Celle-ci est marquée par une tendance prononcée vers le rock progressif devenant même de plus en plus importante au fil des albums. Il faudrait tout de même rétorquer aux vieux fans qui veulent retrouver des compositions plus rentre-dedans que cette dynamique est bien plus ancienne. Sans retourner jusqu’à "Phantom of the Opera" qui souligne bien le fait que la NWOBHM ne s’est pas seulement nourrie du Hard-rock mais également du prog’ tout aussi fondateur dans les 1970’s, rappelons que si Adrian Smith avait été suivi, Seventh Son of the Seventh Son n’aurait pas été le terme de leur ambition progressive mais bien le pilier d’une nouvelle direction esthétique dès la fin des 1980’s. Ironiquement, c’est à Steve Harris qu’on a dû ce retour en arrière et le très moyen No Prayers for the Diyng, alors qu’il est désormais aux manettes pour pousser la Vierge de Fer dans toujours plus de progressivité. Preuve en est du deuxième CD, composé de trois pièces dépassant les 10 minutes qui sont intégralement de sa plume.  Cette nouvelle direction est un véritable plaisir pour tout amateur de l’hybridation entre ces deux genres et sûrement une riche idée pour une formation dont l’âge des membres avance inéluctablement. De plus, elle a produit son lot de chefs-d’œuvre, comme en témoignent The Book of Souls ou A Matter of Life and Death pour prendre les opus les plus radicaux et les plus aboutis dans le style. 


 


Néanmoins, en matière de progressivité, la longueur ne fait pas tout, et il faut bien remarquer qu’Iron Maiden peut avoir tendance à répéter ad nauseam certains plans pour gagner du temps. "Death of the Celts" illustre assez ce phénomène, celui d’un titre qui est loin d’être désagréable mais qui manque également d’inspiration et lasse à force de bégaiements. De même, "The Parchment", également agréable, donne vraiment le sentiment de tirer sur la corde et de reproduire une construction déjà entendue. Autre problème en lien avec une tendance progressive non-aboutie, l’incarnation de la thématique qui est dérisoire : musicalement, il n’y a rien à retenir des couleurs celtiques de "Death of the Celts", et "Senjutsu", malgré son introduction, renvoie peu à l’Empire du Soleil Levant. 


 


Mettons fin à ce procès pour affirmer que malgré tout cela, Senjutsu est un très bon album qui se laisse apprécier au fil des écoutes. Parmi les titres les plus progressifs, "Lost in a Lost World" s’avère être le pinacle de l’album, contrasté (aussi puissant qu’il peut être plus atmosphérique) et épique. La conclusion, "Hell of Earth" déroule son introduction apaisée avec brio et possède de belles lignes mélodiques : bien qu’il soit le plus long de l’album, il défile avec élégance. On remarquera peut-être sur ce titre comme sur d’autres certains gimmicks propres aux différents guitaristes (et à Harris bien sûr), mais on mettra ça sur le compte de musiciens qui finissent forcément par développer une patte. Il serait alors injuste de le leur reprocher. 


 


Cette tendance à la progressivité permet également à des titres d’une durée moyenne de posséder une certaine profondeur. "Senjustu" ouvre bien l’album de façon guerrière et enthousiasmante, et même s’il sonne comme un pur morceau du groupe, il possède une bonne identité. "Darkest Hour", renouant avec les thématiques des guerres du XXème siècle, atteste de la qualité du duo Dickinson/Smith à la composition tant ce mid-tempo lorgnant souvent vers la ballade est prenant. 


 


Enfin, les morceaux plus directs ne sont pas non plus dénués d’intérêt. "Stratego" (le second single) est très accrocheur et assez dense (les claviers y sont bien utilisés), qualité qu’on retrouve sur le tout aussi recommandable "Days of Future Past" (encore une fois, il est dû à Dickinson et Smith, comme quoi ….). 


 


Les débats intenses autour de la sortie de Senjutsu (et la multiplication des chroniques sur Albumrock) ainsi que les succès des ventes de l’album suffisent à affirmer qu’Iron Maiden est un groupe d’une importance considérable, si ce n’est une véritable institution. Il prouve également que c’est toujours un excellent groupe : les défauts de l’opus, réels, doivent être pris en compte pour ne pas tomber dans l’idolâtrie inconséquente, néanmoins, inutile de jouer à l’atrabilaire amoureux, Senjutsu est réalisé avec un savoir-faire indéniable et possède des moments véritablement intenses. 

Note de 3.0/5 pour cet album
"L’ennui porte conseil – Gilbert Cesbron"
Daniel, le 07/09/2021

Dans le Grand Livre de la Loi d’Albumrock, il y a une recommandation écrite en lettres de feu : "De toi, tu ne parleras point, ni maintenant, ni jamais !"

 

Au risque de m’attirer les foudres des Gardiens de l’Ordre (qui veillent sur l’orthodoxie au pied des volcans séculaires), je vais parler néanmoins de moi. Mais juste un tout petit peu. Je promets que je ne le ferai plus.

 

Début de l’interlude

21 septembre 1980. Précédés par zombie émacié et hirsute, vêtu d’un jean et d’un t-shirt noir, armé d’un couteau long de dix pouces, les cinq furieux d’Iron Maiden déboulent sur scène. Je suis au troisième rang dans la fosse, entouré de fans anglais. Je recule instinctivement… 

Je ne connais d’Iron Maiden que la seule face A du single "Running Free", titre régulièrement programmé en début de nuit par Bernard Lenoir sur France Inter (émission "Feedback", pour ceux qui s’en souviennent). Ca ressemble pas mal à "Radar Love" de Golden Earring, mais en plus énervé. Beaucoup plus énervé.

Ce premier rendez-vous restera définitivement une des plus grandes baffes de ma vie. 

Fin de l’interlude

 

Album après album, tournée après tournée, la vierge de fer s’impose rapidement comme la tête de file définitive de la NWOBHM, un mouvement à l’acronymie illisible, dont il faut bien reconnaître que les contours sont restés incertains. La popularité du groupe se répand comme un feu incontrôlable dans la cambrousse.

 

Il y a bien quelques intégristes qui désertent quand Paul Di Anno est éjecté. Mais les rares places qui se libèrent dans la fosse sont envahies par des cohortes bigarrées d’Irons encore plus excités. 

 

Ce qui se passe est inouï en ce sens qu’un style nouveau vient d’exploser sous nos yeux (et dans nos oreilles). Cavalcades de basse, drumming en puissance, soli croisés tricotés au fil de fer barbelé, chant rageur, titres carrés comme des sentences. Et pas une seconde pour respirer. Pas une seule ballade pourrie avec de vilains power chords pour souligner chaque mesure.

 

Alors, quand est-ce que la première "gêne" s’est installée ? Le 20 octobre 1984, durant la tournée qui a suivi Powerslave. Et, plus précisément, quand le groupe a exécuté "The Rime of the Ancient Mariner", un long poème opiacé écrit par Samuel Taylor Coleridge. Le titre comprenait un interminable passage "planant" (*) agrémenté de sinistres grincements de mâture et d’un récitatif un peu pontifiant. 

 

Il n’y a pas pire "tue l’amour" dans un concert rock frénétique qui est attendu par une foule en denim et patches comme un quignon de pain après une éternité de famine. 

 

Début de l’autre interlude

Alors, après quelques regards interloqués, mon petit groupe d’Irons a profité de l’aubaine pour aller se commander une mousse au bar. Comme nous n’étions pas les seuls, il a fallu solidement jouer des coudes. Mais nous étions entraînés à former un maul imparable, digne du tournoi des cinq nations, quand la soif se faisait sentir.

Fin de l’autre interlude

 

Quelques siècles plus tard… 2021. Senjutsu se présente sous un packaging d’une beauté phénoménale. Ce sera probablement une des pochettes les plus marquantes de 2021. Le collectionneur se réjouit déjà de ranger l’objet sur une étagère de son mini-MoMA, entre le boîtier Deluxe de Power Up d’AC/DC et le coffret Whoosh ! de Deep Purple. Et ça, c’est bien.

 

Pour changer un peu les règles du jeu, écoutons d’abord le CD 2. En pratique, ça pourrait être un album solo de Steve Harris avec Iron Maiden en backing group.

 

Formellement, c’est phénoménal. La production est exceptionnelle et chaque musicien est absolument remarquable.

 

Mais le problème est que Steve Harris (comme personne d’autre dans le groupe) n’a la culture musicale suffisante pour construire un morceau épique de plus de 10 minutes ni la qualité d’écriture pour rédiger un vrai poème romantique au long cours. Les non-anglophones n’entendent probablement rien des textes et c’est tant mieux pour eux. 

 

You’ll take my life

But I’ll take yours too (**)

Ca, je comprenais.

You think that you have all the answers for all

In your arrogant way only one way to fall

Burning lamp that is fire in your hands

Taking you further from these lands (***)

 

Là, j’angoisse… Fantôme de Lord Byron, sors de ce corps ! Il faut vraiment que Steve rende l’exemplaire de l’Oxford Dictionary of Rhymes qu’il a emprunté à la bibliothèque municipale de Sawbridgeworth.

 

Après avoir déjà assommé son monde avec les vieux marins, l’Egypte ancienne, Alexandre le Grand, le septième fils du septième fils, les clans écossais, les confins de l’espace, les âmes damnées, …, notre bassiste nous revient avec, entre autres sujets passionnants, l’extinction des Celtes. Et, c’est chaque fois le même schéma : intro cool, chant, cavalcade, break, cavalcade, chant, solo/solo/solo (il faut bien que tout le monde joue un peu), break, chant, cavalcade, accélération, outro cool. 

 

Depuis que j’ai lu la difficile biographie de Bruce Dickinson (pour la moitié du prix j’aurais pu m’offrir le vrai mode d’emploi d’un Boeing), je sais mieux que personne où se trouve le bouton pour enclencher la fonction "pilotage automatique" d’un avion de ligne.

 

A l’écoute attentive du CD 2 de Sentjutsu, il règne une désagréable impression de "ronron", comme dans une cabine de pilotage entre le stress du décollage et la montée d’adrénaline de l’atterrissage (****). A certains instants, on éprouve même le sentiment dérangeant que Bruce Dickinson (dont la voix est loin d’être intacte après sa merveilleuse renaissance) découvre les textes sur un prompteur en même temps qu’il ne les chante.

 

Et, sur la longueur, ça devient fort pénible. Iron Maiden n’a jamais été un groupe de prog. C’est un groupe de rock. Il n’est pas facile de jouer du violon avec une tronçonneuse. 

 

Ceci dit, pour rester positif, ça fait du bien quand ça s’arrête enfin.

 

Tout autant génialement produit et joué, le CD 1 est un peu plus varié dans la composition dans la mesure où Adrian Smith, Janick Gers et Bruce Dickinson participent un peu à la composition de cinq des six titres. Evidemment, Steve Harris parvient encore à imposer "Lost in the Lost World", un nouveau titre à rallonge qui n’ajoutera rien à la gloire de quiconque. Avec ses thématiques musicales et littéraires usées jusqu’à la corde, il aurait pu figurer sur le CD 2 si la technologie permettait de multiplier les pistes jusqu’à l’infini.

 

Il faut évidemment réserver une mention spéciale à la belle plage titulaire puis à "The Writing On The Wall" (un titre où – enfin – Harris ne participe pas à l’écriture). Il contient cette phrase empreinte d’une lucidité dont j’ai peine à me remettre :

 

Once our empires glorious but now the empire’s gone

The dead gave us the time to live and now our time is gone

 

Ben oui. 

 

S’il fallait formuler un vœu pour le prochain album (parce qu’il y en aura un prochain), ce serait celui-ci : par pitié, les amis, épargnez vos fans les plus fidèles (des plus jeunes jusqu’aux anciens décrépis) ! Shootez-vous au Red Bull ou au Monster Energy Ultra et revenez-nous avec un album concis qui, par exemple, irait à l’essentiel. Dix titres de trois minutes. Maximum quatre ! 

Tu prendras ma vie 

Mais je prendrai la tienne aussi 

Pa-Pa-Badam 

 

(*) Personne n’appelait encore ça du "prog".

(**) "The Trooper" sur Piece of Mind (en 1983).

(***) "Hell On Earth" sur Senjutsu (2021)

(****) Quelle mauvaise langue osera encore dire que je n’ai pas lu la biographie de Bruce Dickinson dans le détail ?

Note de 4.5/5 pour cet album
"Tout en restant fidèle à elle-même, la Vierge de Fer nous gratifie de son meilleur album depuis Brave New World."
Alexandre, le 08/09/2021

Note : la chronique qui suit a été rédigée par un fan inconditionnel d’Iron Maiden, et risque d’être quelque peu orientée ! Toutefois, un certain effort d’objectivité a été consenti.

 

Ça y est, Iron Maiden est enfin de retour ! Cela faisait près de deux ans que les rumeurs et les bruits de couloir allaient bon train quant à la parution d’un dix-septième album (plusieurs membres du groupe avaient été aperçus en 2019 à Paris à proximité du studio où The Book of Souls avait été enregistré). Pandémie oblige, la parution de ce nouvel opus a été repoussée et ce n’est qu’à partir de 2021 que de subtiles indices furent soigneusement distillés ça et là. Début juillet, la parution d’un premier titre, "The Writing of the Wall", annonce de manière officielle l’arrivée prochaine du divin Eddie, qui cette-ci a troqué sa tenue maya au profit d’une cuirasse de samouraï qui lui sied parfaitement. Le seul bémol à cette pochette c’est le fond noir qui ne fait pas tellement bien ressortir le personnage, un peu comme ce qu’il en fut pour l’illustration de The Books of Souls. On aurait tellement mieux apprécié Eddie au sommet d’une pile de cadavres passé au fil de son katana.

 

Un peu comme sur The Book of Souls, Steve Harris est crédité sur la plupart des titres (sept) tandis qu’Adrian Smith et Bruce Dickinson se partagent l’écriture de trois autres et Janick Gers deux (aucun pour Dave Murray et Nicko McBrian).

 

Nombreux sont les fans de la première heure à regretter la tournant musical adopté à la fin des années 1980 par Steve Harris, délaissant le heavy metal agressif teinté de punk (rapide, incisif et énervé) caractéristique de l’ère Paul Di Anno au profit de titres beaucoup plus longs et progressifs. À chaque nouvel album, c’est toujours les mêmes critiques qui ressortent, bien que celles-ci soient rarement pertinentes. On le saut désormais, Iron Maiden est devenu un groupe heavy prog. Autant le dire d’emblée, lorsque le groupe a dévoilé la liste des morceaux, la tendance prog de Senjutsu est plus qu’évidente : 81 minutes réparties sur 10 morceaux dont seulement deux inférieurs à 5 minutes. Les nostalgiques d’antan apprécieront. Ils n’auront qu’à se replonger dans les albums des « années perdues »…

 

C’est le titre éponyme qui ouvre les hostilités avec des tambours inquiétants en guise d’introduction. Nous sommes transportés vers les lointaines contrées asiatiques grâce aux sonorités orientales des riffs et des soli de guitare tandis que le jeu de Nicko McBrian rappelle fortement les percussions et tambours japonais, que l’on retrouve également sur les dernières mesures de "Stratego". "Senjutsu" dégage une atmosphère très sombre et guerrière en parfaite adéquation avec les paroles qui évoquent la préparation à la guerre et le rassemblement des armées au son des tambours de guerre. Le résultat est grandiose bien qu’il soit assez complexe pas très facile d’accès à la première écoute.

 

Cette entrée en matière rappelle un peu celle de l’album précédent avec un titre long et sombre ("If Eternity Should Fail") suivi d’un autre bien plus court et accessible (tous deux sortis en single) mais "Stratego" dépasse en tout point « Speed of Light ». Il rappelle un peu "The Trooper". On renoue ici avec la fameuse cavalcade maidenienne signée Steve Harris et sa basse galopante tandis que le pré-refrain rappelle le faux refrain de "The Trooper" (les fameux « Oh oh oh oh oh oh oh oh »). Les lignes mélodiques sont d’une simplicité déconcertante mais tellement efficace ! Des sonorités orientales sont aussi mises en avant sur les deux fresques épiques qui clôturent magistralement l’album, "The Parchement" et "Hell on Earth" sur des ambiances proches de "The Nomad" (Brave New World).

 

Nous avons le droit à quelques surprises musicales notamment "The Writing on the Wall" aux forts accents rock sudiste. L’intro à la guitare acoustique bourrée de reverb nous plonge au cœur des déserts texans avant de laisser la place à un riff très dansant, marqué de jolis contretemps à la batterie, que l’on croirait tout droit sorti du répertoire de Molly Hatchet ou Lynyrd Skynyrd .

 

Le trio de guitaristes n’a pas perdu le sens de la mélodie et l’on retrouve sa patte musicale si caractéristique avec ses guitares harmonisées à la tierce et les innombrables duels de guitares en tout genre. Les soli sont toujours aussi remarquables et bien exécutés, sauf peut-être un passage de "The Time Machine" qui n’est guère compréhensible et peu inspiré. La présence d’une troisième guitare permet aussi de soutenir les lignes de chant ("Stratego", "Lost in a Lost World", "Hell on Earth", "The Parchment"). L’idée est loin d’être déplaisante mais lorsque cela dévient quasiment systématique à chaque titre, une certaine lassitude peut survenir.

 

"Lost in a Lost World" débute sur des faux airs de ballade à la guitare acoustique et aux claviers avant de basculer sur une rythmique assez proche du pont de "Paschendale". "Darkest Hour" quant à elle est une magnifique power ballad rendant hommage à les des plus grands hommes politiques britanniques, il s’agit bien évidemment de Winston Churchill, déjà mis à l’honneur lors des prestations live d’"Aces High" et la diffusion de son discours mythique We Shall Fight on Beaches prononcée en juin 1940. Elle dénote du reste de l’album est fait plutôt penser à version longue de "Wasting Love" (Fear of the Dark) ou de "Gate of Urizen" (chanson parue sur l’album Chemical Wedding sur la carrière solo de Bruce Dickinson). Les soli frisent la perfection, toujours très mélodiques et harmonieux. On remarquera au passage la reprise du début du solo de "Coming Home" à 5’07 (The Final Frontier).

 

L’ombre de la période X-Factor/Virtual XI plane sur certaines chansons : on a parfois l’impression que le groupe recycle plusieurs passages de "Edge of Darkness", sur le refrain de "Lost in a Lost World" ou sur les sections harmonisées de "The Time Machine". Les nappes de claviers, bien que discrètes rappellent aussi l’ère de Blaze Bayley ("Hell on Earth").

 

Les Britanniques sont toujours aussi friands des longues intros ou outro arpégées en son clair à l’image de "Lost in a Lost World" et ses chœurs assez inhabituels, "The Time Machine", celle de "Hell on Earth" assez semblable à ce qui se faisait sur A Matter of Life and Death mais surtout l’intro de "Death of the Celts" qui rappelle furieusement celle de "The Clansman", tout comme le thème des paroles.

 

Les refrains sont dans l’ensemble réussis et certains sont particulièrement accrocheurs à l’image des deux chansons les plus courtes, "Stratego" et "Days of Future Past" qui figurent parmi les meilleurs moments de l’album.

 

Il est temps maintenant d’évoquer quelques points négatifs sans quoi, cette chronique risquerait de s’apparenter à un éloge dithyrambique.

 

Seuls "Lost in a Lost World" et "The Time Machine" sont un cran en-dessous du reste malgré des passages intéressants. Un autre petit bémol réside dans la structure des chansons qui sont reprennent à peu près toutes le même schéma intro/couplet/refrain/couplet/refrain/pont/solo/refrain/outro. On pourra regretter l’absence de surprise dans les schémas de composition.

 

On pourra également reprocher au groupe cette légère tendance à recycler certaines idées (les similitudes avec "Edge of Darkness", "The Clansman" ou encore l’intro de "The Time Machine" qui ressemble à "The Legacy" ou "The Book of Souls"… Mais en même temps, au regard de leur foisonnante discographie. Iron Maiden fait de du Iron Maiden, tout comme AC/DC qui n’a fait que du AC/DC ou encore des groupes comme Metallica ou Dream Theater qui finissent à un moment ou à un autre par s’auto-recycler voire s’auto-plagier dans le pire des cas. Cela fait partie de cette identité propre du groupe et qui nous permet de le reconnaître instantanément.

 

Ces quelques critiques n’altèrent en rien la réussite de cet album. À l’évidence, Senjutsu surpasse largement ses prédécesseurs, en particulier The Book of Souls et Dance of Death. Il s’agit sûrement même de leur meilleur album depuis Brave New World. Amen. 

 

Commentaires
Stranger_in_a_Strange_Land, le 29/12/2021 à 23:08
D'accord, la musique évolue au gré de beaucoup de facteurs, l'âge des musiciens n'en est pas le moindre, mais globalement Senjutsu manque cruellement de Oomph, pas le moindre morceau enervé à l'horizon ! A l'écoute de cet album je me pose donc la question : Est-ce que Nico est coincé en mode "low pace", est-il encore capable d'interpreter les morceaux les plus remuants du repertoire Maiden ?? Pourtant c'est pas les occasions qui manquent dans cet album, le Nico McBrain des années 90 aurait fait rougir les fûts, et ça ma manque ! PS: j'espére que le groupe se débarrassera de ce maudit synthé el-cheapo
MaximeL, le 09/09/2021 à 17:31
Bon et bien comme tout le monde y va de son petit commentaire... Je n'avais pas écouté Maiden depuis Brave New World, mais j'ai trouvé l'album très long. J'ai pas passé un mauvais moment, mais on m'aurait mis n'importe quel autre disque post 2000 du groupe en douce, je pense que je n'y aurais vu que du feu... Mais les chroniques sont réussies, elles !
NicolasAR, le 09/09/2021 à 17:11
Ayant pris acte du regain d'intérêt pour Maiden à la rédac' d'Albumrock depuis quelques années, et sous l'impulsion de mes petits camarades, j'ai moi aussi mis mes réticences au placard et tenté de me frotter à cet album. Résultats : je me suis souvenu pourquoi je n'ai jamais pu blairer ce groupe, avec ce chanteur horrible qu'il faudrait vraiment enfermer - ou empêcher de chanter - et ces guitares prétentieuses à souhait. Senjutsu ne m'aura donc pas fait changer d'avis sur la Vierge de Fer, et je crois que je vais arrêter les frais. Définitivement...
Michael, le 09/09/2021 à 15:52
Une fois de temps en temps, je jette à nouveau une oreille à ce groupe, pour essayer de comprendre la bienveillance dont on fait souvent preuve à son égard. Résultat : c’est toujours aussi insipide, braillard, redondant et emphatique.
Masentak, le 09/09/2021 à 12:10
Tant qu'à choisir un mot japonais comme titre d'album...Hara-Kiri aurait été plus approprié. Steve mentionne dans une entrevue que l'album a été mis sous clef dans un coffre-fort pour éviter les leak...dommage qu'il n'ai pas perdu la clef... Cet album est a classer avec Virtual IX que j'ai écouté une seule fois au complet en 1998. Curieusement, le lien entre cet deux album, une chanson avec une sujet qui traite des Celtes...
FranckAR, le 07/09/2021 à 19:48
Iron Maiden n’a jamais été ma tasse de thé, mais je me suis régalé avec cette chronique ! Bravo et merci !
RX, le 07/09/2021 à 12:13
Très bon article avec lequel je suis raccord à une nuance près : "Formellement, c’est phénoménal. La production est exceptionnelle et chaque musicien est absolument remarquable." Personnellement, j'ai entendu un album à la production déplorable. je pense qu'ils ont du l'écouter sur transistor "à" papy qu'il utilisait pour aller à la pêche ! Quand au musiciens : Respect à Adrian (comme d'hab') qui est remarquable et créatif Mais stop aux guitares à l'unisson avec le chant ! c'est juste indigeste... Dommage car j'ai également beaucoup de souvenirs émus des albums de Maiden qu'ont attendait comme un cadeau et pleins de surprises. Mais là, force est de constater qu'on est dans l'ère du recyclage... ça a le mérite d'être écolo...