Dream Theater
Images and Words
Produit par David Prater
1- Pull Me Under / 2- Another Day / 3- Take the Time / 4- Surrounded / 5- Metropolis - Part I / 6- Under a Glass Moon / 7- Wait For Sleep / 8- Learning To Live
Automne 1989, Dream Theater vient enfin de publier son premier album, When Dream and Day Unite et se prépare à le défendre ardemment sur scène. Seulement voilà, comme on l'expliquait dans la chronique dédiée, le groupe (comprendre John Petrucci et Mike Portnoy en tête) n'est pas complètement satisfait des performances de son chanteur Charlie Dominici. Si ses limites vocales étaient "criantes" sur disque, il s'avère que le charisme du bonhomme en concert est tout aussi relatif. Heureusement, la toute première tournée de Dream Theater à l'époque est restreinte à 4 petits concerts dans la région de New-York.
Une fois ces concerts assurés (ainsi qu'une ultime date en première partie de Marillion), Dream Theater se sépare de Dominici, et se met en quête d'un nouveau frontman, bien plus en phase avec les capacités techniques prodigieuses des musiciens. Petrucci, Portnoy, Myung et Moore mettront très longtemps à trouver la perle rare, après avoir auditionné des dizaines de candidats parmi lesquels Sebastian Bach (ex Skid Row) ou John Arch (ex Fates Warning). Et lors d'un concert en 1990, après une première moitié instrumentale (où nos 4 musiciens jouaient sous le nom d'YtseJam), le nouveau chanteur est enfin présenté et introduit en la personne de .... Steve Stone.
Un chanteur qui sera "remercié" très peu de temps après cette première, après des prestations lives pour le moins discutables. La légende raconte même qu'il se prenait un peu trop pour Bruce Dickinson, à lancer des "Scream for me Long Beach", tout en étant.... dans une autre ville (Johnny Hallyday n'a décidément rien inventé). Pour les plus curieux, et les plus téméraires, on trouve sur internet quelques "extraits" de chansons d'Images and Words avec Steve Stone au chant, dans une qualité disons le assez pauvre.
Ca n'est qu'en 1991 que Kevin James Labrie intègre la formation, quasiment 2 ans après la sortie de When Dream and Day Unite et permet enfin aux Américains de passer un cap, tant ses capacités vocales sont très nettement supérieures à ses deux prédécesseurs. Qu'on aime ou pas son timbre et sa propension à monter très haut dans les aigus, c'est avec lui que le paradigme du groupe va changer. Entre temps, les autres membres se sont attelés à composer ce qui va former la base et l'ossature de ce nouvel album : Images and Words.
Si vous êtes aguerris au métal progressif et aux grands disques des années 90 (du moins supposés comme tels), il y a peu de chances que vous soyez passés à côté, tant il a ouvert une brèche sur toute cette scène prog, et a presque défini un style dès sa sortie.
C'est encore à ce jour leur album le plus vendu, disque d'or aux Etats-Unis, et Images and Words est même proclamé en 2013 "meilleur album métal de tous les temps" (au nez et à la barbe de Master Of Puppets de Metallica) par le webzine américain Loudwire.
Au delà de ces obscurs et ridicules classements qui ne veulent absolument rien dire, penchons nous sur ce qui importe le plus : la musique. Nos 5 gaillards ont des idées plein la tête, et comme nous l'avons vu précédemment, ont passé plus de 2 ans à mettre en place des morceaux et ont eu le temps de les peaufiner avec le perfectionnisme qu'on leur connait. La fâcheuse tendance de Dream Theater à remplir des cd ras-la-gueule ne date donc pas d'hier mais bel et bien de 1992, puisqu'Images and Words affiche au compteur la bagatelle de 57 minutes pour 8 titres. Et encore, le groupe, sans doute incité par sa maison de disques, écarta de la tracklist initiale un titre fleuve de 20 minutes, dont on reparlera en temps utile.
Voilà pour la longue mais nécessaire mise en contexte.
C'est "Pull me Under", le titre inaugural et premier single qui va historiquement "lancer" la carrière du groupe, s'attirant même les faveurs de MTV qui diffusera le clip dans des proportions plus que (dé)raisonnables (et dans une version raccourcie de moitié ça va sans dire). Les américains n'ayant jamais eu beaucoup d'imagination pour leurs clips, celui-ci ne vaut pas franchement le détour, hormis pour y voir James Labrie porter un tee-shirt de Napalm Death (les deux formations étant proches, mais nous en reparlerons là aussi ultérieurement). La chanson obtiendra un vrai succès, inégalé depuis pour Dream Theater ; qui aura en 2008 l'auto-dérision de nommer son best of Greatest Hit au singulier, en référence à "Pull Me Under" qui restera la seule compo des américains à entrer au billboard US, avec une inespérée dixième place (la compilation ayant comme sous-titre "and 21 other pretty cool songs").
Alors oui la chanson est efficace, mais elle est de mon point de vue presque la plus "faible" de l'œuvre, (avec de gros guillemets de circonstances) même si d'un point de vue "stratégique", sa position en tête de gondole est une bonne idée, sa structure couplet-refrain étant suffisamment "classique" pour avoir réussi à accrocher les radios.
Avant de passer au reste des chansons, il convient de s'arrêter sur un élément susceptible de freiner les ardeurs de quelqu'un qui découvrirait Images and Words en 2021 : l'affreux son de batterie de Mike Portnoy. Il s'agit d'ailleurs là d'un des points de tension entre le groupe et le producteur, David Prater, qui imposa cette caisse claire triggée (pour faire simple, un capteur de vibrations émises par les baguettes) à Portnoy contre vents et marée. Et ces sonorités presque synthétiques ont particulièrement mal vieilli (Portnoy expliquant même qu'il n'a jamais pu réécouter cet album pour cette raison).
Mais cela ne fait pas d'Images And Words le St Anger de Dream Theater, loin de là, puisqu'en un mot comme en cent : les compositions déboitent ! A commencer par l'extraordinaire "Take The Time", et son intro complètement folle, presque groovy (le début du récital de John Myung à la basse) et avec l'utilisation de petits samples très courts mais bien sentis (le "Wait a Minute" étant emprunté au "Dancin' Fool" de Zappa, l'une des idoles de Portnoy), et ses multiples breaks imparables. Certaines lignes de guitares ont la aussi un peu vieilli (ainsi que le chant suraigu de Labrie), mais ce titre est une évidente référence pour les amateurs de cette période, et qui faisait fureur sur scène (quel refrain !).
Les autres compos sont du même acabit, avec des structures très complexes et d'une technicité hallucinante, preuve en est avec "Under a Glass Moon" souvent injustement oublié dans les multiples lives sortis par le groupe. 7 minutes où s'affrontent contre-temps, quadruples croches pointées et où Mike Portnoy (en dépit du son de sa caisse claire) nous gratifie d'une prestation ahurissante, du même niveau que celui de John Petrucci dont les soli sur ce titre sont tout simplement écœurants de maestria.
Ces deux morceaux, longs, progressifs, musicalement impressionnants et passionnants (y compris pour un non musicien comme votre serviteur) méritent à eux seuls l'écoute de cet album, alors que nous n'avons même pas encore abordés les deux pièces maitresses du disque.
Commençons par "Metropolis Part 1", que l'on résume désormais trop fréquemment à la première partie ayant initié l'album phare Metropolis Part II de 1999. Il y a beaucoup de choses à dire sur ce morceau de 1992, l'intro frissonnante, les harmoniques de Petrucci, l'ambiance épique entre métal progressif intense et passages instrumentaux plus nuancés, qui s'installe et nous saisit dès les premières mesures. Puis viennent les nappes de claviers intrigantes pour atteindre ensuite le climax du morceau (du disque ?) : le break et le fameux solo de John Myung en tapping sur son énorme basse 6 cordes et qui allait faire partie des nombreux passages incontournables du groupe en concert pour les années à venir.
Les fans le savent, John Myung est discret, toujours en retrait par rapport aux autres (fortes) personnalités de Dream Theater, mais le bassiste est un incroyable musicien, doublé d'un parolier de talent, comme sur la magnifique "Learning to Live" qui clôt l'album, et qui traite d'un sujet délicat (et qui l'était encore davantage à l'époque), à savoir la perception et les préjugés sur les malades du SIDA. Outre le texte, fin et bien troussé, c'est une véritable odyssée sur 11 minutes que nous propose le groupe, avec un thème musical récurrent (entre aperçu dans "Wait For Sleep") et qui est un parfait condensé de la diversité musicale du groupe. A commencer par le chant impérial de James Labrie, oui, j'insiste, alternant voix claire empreinte d'énormément d'émotion et envolées agressives (exemple sur le "no more to giiive" à 3'09). Kevin Moore aux claviers n'est pas en reste (ce break de piano !) et prouve que oui il y avait une vie avant Jordan Rudess.
Même les morceaux supposément plus calmes, et les ballades, qui ont toujours fait partie de leur ligne de conduite, sont très réussies, y compris "Another Day" qui, malgré un saxophone resté bloqué dans les années 80, s'intègre parfaitement dans le déroulé du disque (et qui était une pépite en acoustique sur les différents bootlegs "acoustic dreams" d'époque).
En conclusion, Images And Words n'usurpe absolument pas son titre d'œuvre quasi fondatrice de tout ce courant métal progressif. Sans doute pas au point d'en faire le meilleur disque de métal, certains effets de production ayant beaucoup de mal à passer le cap des années, au contraire d'autres albums à venir..