Dream Theater
A View From The Top Of The World
Produit par
1- The Alien / 2- Answering the Call / 3- Invisible Monster / 4- Sleeping Giant / 5- Transcending Time / 6- Awaken the Master / 7- A View From the Top of the World
Qu’attendre d’un groupe après plus de trente ans de carrière ? Imaginez, tout de même, parler de Dream Theater aujourd’hui, en 2021, c’est comme parler de Led Zeppelin ou Black Sabbath au début des années 2000. Et souvenez-vous que les premiers n’existaient plus depuis longtemps et les seconds non plus, après de nombreux albums plus ou moins bien inspirés. Le parallèle est d’autant plus pertinent que, comme ses deux ancêtres évoqués l'étaient vis-à-vis du Hard-rock, Dream Theater a été fondateur d’un genre qui a depuis fait florès, le Metal-progressif.
Or, depuis les chefs-d’œuvre des années 1990 et 2000, l’eau a coulé sous les ponts, le groupe a évolué notamment dans sa composition, au point de devoir supporter les reproches injustes contre son brillant nouveau batteur, Mike Mangini. Plutôt que d’être aveuglés par leur amour (bien compréhensible) pour Portnoy, comme d’autres le sont vis-à-vis de Blackmore, les mauvais esprits devraient ouvrir leurs oreilles pour apprécier le travail de Mangini (et donc de Morse, pour ce qui est de Deep Purple comme nous en parlions ici). Pourtant, ils n’ont pas baissé en productivité, si ce n’est entre la B.O. Disney que fut The Astonishing (2016) et son successeur, le très bon Distance Over Time (2019) qui brillait avant tout de la comparaison avec son grand-frère mais également par sa variété (revisitant les différentes époques du groupe) et son efficacité (des titres globalement plus courts mais non moins denses). Le rythme des deux ans par album est néanmoins de retour en 2021 avec la parution de A View from the Top of the World, bénéficiant du contexte pandémique alors même que les musiciens l’ayant composé maintiennent une activité stakhanoviste (on citera, pour l’exemple, un album studio et un nouveau Liquid Tension Experiment pour Petrucci).
La question initiale, nous la reposons suite à cette introduction contextuelle : qu’attendre d’un groupe après plus de trente ans de carrière ? Il semble que la réception de ce quinzième album studio (sans compter A Change of Seasons) soit un peu liée à la réponse qu’on y apporte et aux attentes de l’auditeur. S’il est avide d’entendre du Dream Theater pur-jus bien composé et parfois inventif, il sera comblé, s’il cherchait le frisson de la nouveauté, il risque de ne pas beaucoup trembler.
A ce titre, les deux singles proposés pour promouvoir le nouvel opus laissaient apercevoir le côté très scolaire dans la composition. A un "Invisible Monster" accrocheur qui développe un parfait écho à l’album précédent répondait un "The Alien" très technique et centré sur des débauches instrumentales. Pour conclure, le groupe renoue même avec la composition d’un titre épique dépassant les vingt minutes, très cinématographique dans son approche (écoutez les premières minutes symphoniques qui donnent l’impression d’une bande-son typique du septième-art). On retrouve des lignes mélodiques typiques du groupe, voire des passages qui rappellent fortement "Home" sur les refrains, de même que des variations d’ambiances déjà employées par ailleurs, mais le morceau est globalement bien construit (rappelons que même pour un groupe de cette envergure, il est une réelle difficulté que de demeurer endurant et cohérent sur vingt-minutes), avec un mouvement central très calme puis un retour aux choses sérieuses sur un riff plutôt prenant et des soli imparables (il semble que les cinq dernières minutes soient les plus abouties). Finalement, la seule entorse bienvenue à l’économie interne d’un album classique du combo, c'est l’absence salvatrice d'une ballade pleine de guimauve dont ils ont, hélas, le secret.
On savourera alors des moments de Dream Theater savamment élaborés, dans la plus pure tradition d’un savoir-faire ancestral : l’introduction magistrale d’"Answering the Call" ainsi que le final jumelé du chorus, à l’inverse des parties solistes de "Sleeping Giant" qui auront don d’attiser la haine des détracteurs de Jordan Rudess (ce que je ne suis pas, mais ce titre reste un moment de pilotage automatique). On préférera la brutalité et la lourdeur des riffs de "Awaken the Master" ainsi que la richesse des ruptures rythmiques proposées dès les premières mesures : le registre est évolutif puisque les parties chantées sont assez lumineuses et légères, mais la densité de l’ensemble est particulièrement bien maîtrisée produisant une unité dans la diversité toujours louable.
Il reste le surprenant – et très intéressant - "Transcending Time" qui lorgne beaucoup du côté de Rush et un peu de celui de Yes période FM (l’arpège de départ m’évoque celui de "Love Will Find a Way" - Big Generator, 1987) le rendant assez accrocheur. Pour son originalité et son bon goût mélodique aussi bien que sa maîtrise harmonique, on touche là au moment le plus stimulant de l’opus.
Vous comprenez donc le propos général, A View from the Top of the World incarne parfaitement la musique de Dream Theater, dans le texte jusqu’à la moelle, avec des musiciens toujours très compétents (même Labrie, quoiqu’en pensent ses adversaires et peut-être grâce à la magie du studio). Alors qu’attendre d’un groupe après plus de trente ans de carrière, si ce n’est d’entretenir la légende, de donner prétexte à tourner, de surprendre au détour d’un morceau, de tenir la barque à flot sans décevoir, de nous rappeler pourquoi ils en sont là ? Il semble que tout cela constitue les objectifs d’un tel album et que le défi ait été relevé.
A écouter : "Answering the Call", "Transcending Time", "Awaken the Master"