Dream Theater
The Astonishing
Produit par Dream Theater
1- Descent of the Nomacs / 2- Dystopian Overture / 3- The Gift of Music / 4- The Answer / 5- A Better Life / 6- Lord Nafaryus / 7- A Savior in the Square / 8- When Your Time Has Come / 9- Act of Faith / 10- Three Days / 11- The Hovering Sojourn / 12- Brother, Can You Hear Me ? / 13- A Life Left Behind / 14- Ravenskill / 15- Chosen / 16- A Tempting Offer / 17- Digital Discord / 18- The X Aspect / 19- A New Beginning / 20- The Road to Revolution / 1- 2285 Entracte / 2- Moment of Betrayal / 3- Heaven's Cove / 4- Begin Again / 5- The Path That Divides / 6- Machine Chatter / 7- The Walking Shadow / 8- My Last Farewell / 9- Losing Faith / 10- Whispers on the Wind / 11- Hymn of a Thousand Voices / 12- Our New World / 13- Power Down / 14- Astonishing
Eh bien voilà. On ne cesse de le répéter à longueur de critiques : quand un groupe est capable de jouer n’importe quoi techniquement parlant, le but qu’il se fixe est presque plus important que la façon qu’il a d’y arriver. En plaçant la barre très haut, en accouchant d’un double album colossal (2h10 de musique, qui dit mieux ?), en s’efforçant de raconter une histoire, du début à la fin, et d’utiliser ce scénario comme base à un opéra rock futuriste, Dream Theater, qui n’était plus que l’ombre de lui-même sur son précédent éponyme, vient de jeter une jolie pierre dans sa mare, près de dix-sept longues années après les remous causés par Scenes From A Memory. Il était temps.
La mention de cet album référence du Théâtre à Rêve n’est pas fortuite puisque tout, dans The Astonishing, rappelle le processus créatif de cette suite au brillant "Metropolis" d’Images & Words ainsi que la couleur musicale employée, plus progressive et moins metal qu’en d’autres occasions. L’histoire nous est narrée par le biais de James LaBrie qui, en interprétant successivement tous les protagonistes, s’efforce d’employer une tessiture de voix différente pour chacun d’eux. Si ce procédé peut faire sourire pour les personnages féminins, il n’empêche qu’on comprend mieux, avec un artifice pareil, pourquoi il y a autant de passages “sirupeux” dans les deux disques incriminés. Pas facile de jouer la jeune princesse enamourée quand on a cinquante piges et une grande barbe au menton, moyennant quoi, avec un peu d’imagination, on peut se laisser convaincre. Remarquez, les réfractaires à l’artifice peuvent passer leur chemin sans grand regret.
En l’an 2285, le Grand Empire du Nord des Amériques assoit un règne d’oppression où toute forme de divertissement est bannie, à l’exception d’une musique électronique pratiquée par des robots, les Nomacs. Dans le village de Ravenskill, le jeune Gabriel découvre qu’il est doué d’un don inné pour la musique, ce qui en fait une cible de choix pour le vil empereur Nafaryus. L’histoire prend néanmoins une toute autre tournure lorsque Gabriel, confronté à la maison impériale, aperçoit la princesse Faythe et en tombe fatalement amoureux. Le pitch est posé, n’en révélons pas trop à ceux qui voudraient se faire surprendre par l’histoire. Composé essentiellement par John Petrucci avec l’aide de Jordan Rudess, The Astonishing aurait été inspiré à l’intéressé par des sagas comme Le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones. Bon, ça manque quand même un peu d’elfes et d’incestes, tout ça, mais l’intrigue reste malgré tout intéressante.
Il serait fastidieux de décrire par le détail le contenu de ce double album. Sachez néanmoins que les deux actes de ce drame Shakespearien - à défaut d’être Tolkienien ou Martinien - vont s’égrener au rythme de thèmes censés rappeler chaque personnage, mélangés et savamment déclinés de sorte à tresser la trame de cette dystopie épique. En suivant le rythme des événements, vous aurez donc droit à des airs tour à tour héroïques, tendres, enjôleurs ou inquiétants. Plus important, la longueur du projet rendait illusoire l’idée de le réduire à un simple étalage des prouesses techniques des musiciens. Petrucci n’a donc pas eu d’autre choix que de composer de la musique, de la vraie musique, avec des mélodies reconnaissables, souvent calmes, posées, qui permettent par contraste de souligner les batailles pyrotechniques où les instrumentistes peuvent laisser libre cours à leurs allants onanistes. Sachez que malgré cette trame, Dream Theater s’est tout de même fendu de quelques compositions répondant davantage à leurs standards à eux, bastonnade de cordes, chant frondeur, ponts instrumentaux d’extra-terrestres et soli de guitare incroyables de virtuosité. Parmi ces grands morceaux de bravoure que sont “The Gift Of Music”, “A New Beginning” et “Moment Of Betrayal”, tous comptant parmi les dix plus belles réussites du groupe, on pourra encore louer l’allant et le groove - si, si - du second, ce d’autant qu’il met un terme à une seconde moitié de premier disque passablement liquoreuse.
Là se trouve le seul point faible de “The Astonishing” : sa deuxième demi-heure. Enchaînant un trop grand nombre de bluettes digne des oeuvres d’Alan Menken (“Ce Rêve Bleu” d’Aladdin, si voyez le genre), et malgré quelques intermèdes heureusement plus enlevés (l’haletante intro instrumentale basse - synthé de “A Life Left Behind”, notamment), cette partie amoureuse du disque échoue à ne pas agacer, et ce malgré de nombreuses écoutes théoriquement aptes à lui donner toutes ses chances. Parmi les “Act Of Faythe” (le pire), “Brother Can You Hear Me?”, “Chosen” et “The X Aspect”, de surcroît inutilement alourdis par la batterie pataude de Mangini qui ne sait plus quoi faire de ses fûts dès que le tempo lambine, il aurait fallu que Petrucci tranche dans le lard et raccourcisse la guimauve. Trop c’est trop, et c’est dommage : ce simple détail empêche The Astonishing d’égaler, voire même de surpasser par moments, les deux solides obélisques que sont Images & Words et Scenes From A Memory.
Parce que par ailleurs, ce double album fait carton plein. Pari plus que réussi, et il est un fait qu’on a rarement été aussi emballé par les propositions des cinq larrons. Ouverture et Interlude mettent parfaitement dans l’ambiance, “comme au cinéma”, le thème de “Lord Nafaryus” ajoute un côté un peu bohème folle et Queen à l’ensemble, thème d’ailleurs idéalement prolongé un peu plus loin par un “Three Days” aussi agressif que théâtral, “Ravenskill” séduit par ses nuances et son motif chargé de carillons. Il faut dire aussi que l’emballage de l’opéra a été parfaitement réalisé. Choeurs polyphoniques, orchestres de violons, cuivres (“The Road To Revolution”), les arrangements de The Astonishing n’ont rien laissé au hasard, et le résultat impressionne. Même avec des choix d’interprétation assez étonnants, comme la cornemuse en fin de “The X Aspect” ou le violon de la balade quasi-irlandaise qu’est “Hymn Of A Thousand Voices”.
Et, on le répète, le deuxième disque est sensiblement supérieur au premier. En témoignent “Heaven’s Cove”, superbe introduction toute en arpèges tintants et irréels, petit interlude piano-flûte gracile et charge métallique tout en force et en majesté ; “The Path That Divides” qui illustre avec une vraie maestria épique les conflits entre l’autorité impériale et la rébellion villageoise, l’occasion pour les quatre instrumentistes d’entamer de jolies joutes métalliques sur fond de bruit d’épée, de cris et de râles d’agonie ; belle continuation prog heavy avec le combo “The Walking Shadow” - “My Last Farewell”, clou de la dramaturgie Petruccienne, qui tranche avec les airs fleur bleue du premier disque et instille puissamment de la noirceur et du drame à la musique du quintette. Et on en oublie.
Sachez que si le coeur vous en dit, vous pouvez prolonger votre astonishing experience en ligne. Personnages, endroits, carte (très détaillée), vidéos, tout a été fait, et plutôt bien fait, pour joindre l’image à la musique, permettant une immersion encore plus profonde dans ce projet colossal. Un soucis du détail qui fait de ce double album de Dream Theater une superbe expérience, indépendamment de ses quelques errements que l’on est tout pret à pardonner compte tenu de la complexité du cahier des charges et des pièces d’orfèvre qui nous sont par ailleurs livrées ici. L’occasion ou jamais, si vous ne connaissez pas ces cadors du metal progressif, de vous laisser tenter. Moyennant un certain effort d’immersion, vous n’aurez pas à le regretter. Bon, maintenant, il va falloir garder le même niveau, et ça, c’est pas gagné...