Manfred Mann's Earth Band
The Good Earth
Produit par
1- Give Me the Good Earth / 2- Launching Place / 3- I'll Be Gone / 4- Earth Hymn / 5- Sky High / 6- Be Not Too Hard / 7- Earth Hymn, Part 2
Peut-on vendre de la musique comme on vendrait des pommes de terre ?
Bien que de prime abord provocante, cette question tend à rappeler une évidence : la musique, qu’elle soit dite populaire ou savante, est, comme toute "œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique", une marchandise. Elle l’est d’autant plus qu’elle nécessite un support physique manufacturé, doté d’un design attrayant, pour enfin être distribuée puis vendue. Vous pouvez le déplorer, mais en avoir conscience nous préserve de la fétichisation de l’objet qui fait trop souvent oublier qu’il y a un certain nombre de producteurs de l’ombre qui s’agitent en dehors du champ proprement artistique. Et de même que l’œuvre musicale est à la fois œuvre d’art et marchandise, la pochette est (parfois) œuvre d’art et (toujours) une publicité.
Et en matière de coup publicitaire, Manfred Mann’s Earth Band s’est montré particulièrement inventif en 1974 : tout acheteur de leur cinquième album, The Good Earth, se voyait détenteur d’un titre de propriété d’un pied carré (moins de 0.1 m²) à Llanerchyrfa au Pays de Galle. Ce coup de com’ de génie s’accompagnait d’une action de préservation de l’environnement, c’est-à-dire de l’invention du green washing au moment où s’éveillait le sentiment écologique.
Niveau écologie, Manfred Mann’s Earth Band brillait déjà dans le recyclage, tant le groupe était habitué des reprises au point de leur réserver la première face de The Good Earth, avec d’abord "Give Me the Good Earth", un titre de Gary Wright considérablement allongé et revisité dans une version progressive. Inauguré par le chant du coq comme pourrait l’être une belle journée de printemps, le titre avance petit-à-petit, d’un riff enjoué à une phase instrumentale jazzy (avec un son de guitare incisif pas loin d’être canterburyen), puis, après un un pont plus progressif, il se conclue par une reprise de thème initial dans une version typée Free et décorée de traits prog’. Une réinterprétation très intéressante, davantage que "Lauching Place" et "I’ll Be Gone", reprises des deux faces du single du groupe australien Spectrum sorti en 1971, la première devenant une ballade prog’ et la seconde un titre rock plus conventionnel (malgré une réelle inventivité sonore aux claviers).
Encadrée par les deux parties de "Earth Hymn", la deuxième face est donc consacrée aux titres originaux. La pièce progressive suscitée se complait d’un rythme chaloupé et d’une ambiance tamisée sauf lors des soli et de l'accélération de la fin de la première partie, alors que sa seconde partie (plus réussie) s’engage dans une voie à mi-chemin entre le space-rock et Camel. Entre les deux actes de ce morceau, l’instrumental groovy et jazzy "Sky High" mérite l'écoute pour qui mange de ce pain-là et "Be Not Too Hard" est un détour AOR avant l’heure plutôt agréable.
Cela valait bien une poignée de (pomme de) terre.
À écouter : "Give Me the Good Earth", "Sky High"