The Coral
Salle : Olympia (Liverpool)
Première partie :
En ce samedi soir de début décembre, les Coral sont de retour à Liverpool, leur alma mater, pour promouvoir leur dernier album, Sea of Mirrors. Celui-ci étant présent comme une "sorte de bande-son imaginaire pour un western-spaghetti oublié", le choix des morceaux diffusés par la sono à l'ouverture de la salle semble parfaitement approprié. En plus de quelques titres de pop sixties pour lesquels le groupe n'a jamais caché son affection, le public a donc droit à des extraits des bandes originales du Bon, La Brute et le Truand, d'Il Était une Fois dans l'Ouest ou encore de Django. L'ambiance serait donc parfaitement raccord avec le nouveau projet du groupe et on pourrait se préparer à s'immerger dans les décors imaginaires de Sergio Leone ou Sergio Corbucci… s'il n'y avait un léger problème de température. En effet, l'Olympia de Liverpool, vénérable bâtiment construit en 1905, ne semble pas équipé pour faire face aux températures hivernales proches de zéro… et la température à l'intérieur de la salle ne remonte pas vraiment malgré l'afflux progressif de spectateurs.
C'est d'ailleurs une des premières réflexions que fait Brodie Milner, songwriter anglais chargé d'ouvrir les festivités. Seul sur scène avec sa guitare et une boîte à rythme sur certains morceaux, il s'impose néanmoins par une présence évidente et des chansons à l'écriture acerbe et désabusée. Lors de son passage à Belfast le 21 octobre dernier, il avait introduit sa reprise de "Subterranean Homesick Blues" en expliquant qu'il avait développé sa musique en piquant tout à Bob Dylan. Effectivement, même lorsqu'il se produit seul sur scène, les similitudes avec le Dylan circa 1964 sont bien présentes. Le ton un peu nasillard est là, le débit de parole aussi, l'attitude un peu désinvolte avec une sorte d'air agacé également, la chanson "ididntevenwanttocometoyourparty" contient même une référence à Allen Ginsberg. Néanmoins, il y a chez Brodie Milner une forme de candeur et de vulnérabilité qui le distingue de son modèle. Cette sincérité lui évite non seulement de passer pour une simple copie de Dylan mais elle lui permet surtout de se connecter avec le public de l'Olympia qui, en retour, fait preuve d'une appréciation non feinte.
Dès son arrivée sur scène, à la suite de Brodie Milner, Gruff Rhys est tout autant acclamé. Il faut dire qu'en tant que vétéran de la scène pop britannique, le leader des Super Furry Animals est en terrain conquis. Même si, avec les trois musiciens qui l'accompagnent, il se concentre ce soir-là sur sa carrière solo, il bénéficie d'un capital sympathie assez évident, ce qui lui permet de consacrer trois des sept titres de son set à son nouvel album dont la sortie est prévue en janvier. Sa présence scénique, mélange de modestie vaguement embarrassée et d'humour (il brandit de temps en temps des panneaux "Applause", "Louder" ou "Apeshit"), s'accorde parfaitement avec ses mélodies minimalistes mais parfaitement efficaces. Cette fausse simplicité prend même la forme d'une sorte de chanson en kit. Bien que le titre "Bad Friend" apparaisse sur son prochain album et ait donc déjà été enregistré, Rhys et son groupe s'amusent à prétendre que la chanson est encore en cours d'écriture. Ils font donc des pauses entre chaque couplets et refrains, annonçant la partie qu'ils vont jouer, comme s'il manquait encore certains enchaînements. Néanmoins, derrière cet amateurisme de façade, il y a bel et bien un artiste confirmé dont la carrière s'étend sur près de 30 ans. Même s'il n'a jamais connu le même succès en solo qu'avec les Super Furry Animals, cela n'empêche pas des membres du public de reconnaître et de chanter avec lui sur "Candylion" et "Gyrru Gyrru Gyrru".
Dès lors, lorsque la tête d'affiche arrive sur scène, l'Olympia de Liverpool est enfin plein et le public est dans les meilleures conditions pour accueillir ses enfants prodigues… enfin, si on fait une fois de plus abstraction de la température. Alors que The Coral débute son concert avec "Bill McCai", un titre de leur album de 2003 Magic And Medicine, il semble évident que l'enthousiasme des retrouvailles est essentiellement à sens unique. Le groupe ne manifeste pas d'émotion particulière à l'idée de jouer à Liverpool. Les interactions avec le public sont limitées à quelques mots pour introduire le titre de chaque chanson. Globalement, le groupe laisse sa musique parler pour lui. Même pendant les morceaux, la plupart des musiciens restent essentiellement statiques, à l'exception du bassiste Paul Duffy. Il faut dire aussi que la musique des Coral s'accommode mal des approximations. La structure de leurs compositions est précise. À plusieurs reprises, James Skelly, Paul Duffy et le percussionniste Zak McDonnell se lancent dans des harmonies à trois voix parfaitement exécutées. On leur pardonnera donc aisément de se concentrer avant tout sur leur musique.
Dans la continuité de "Bill McCai", le groupe piochent deux titres supplémentaires dans Magic and Medicine et The Coral, puis enchaînent avec leurs deux derniers albums : tout d'abord, quatre titres de Coral Island puis quatre titres de Sea of Mirrors avec une excellente reprise du "People Are Strange" des Doors entre ces deux segments. Après trois titres tirés de Roots and Echoes et The Invisible Invasion, un constat s'impose. En plus de vingt ans de carrière, The Coral a réussi à établir un équilibre subtil entre une identité musicale indéniable et une aptitude à s'approprier des influences variées. Au gré de leurs albums, le groupe de James Skelly s'est inspiré de la musique d'Ennio Morricone pour Sea of Mirrors, des Kinks de Village Green Preservation Society pour Coral Island, du folk psychédélique californien 60s pour Magic and Medicine ou encore des ambiances feutrées du trip-hop pour The Invisible Invasion. Chacun de leurs albums a un son et des influences propres. Mais entendre le groupe parcourir sa discographie en concert permet de réaliser à quel point ces influences n'écrasent jamais les idiosyncrasies mélodiques du groupe. Qu'elle ait un parfum de western spaghetti ou de pop 60s, une chanson des Coral sonne avant tout comme une chanson des Coral.
D'où une certaine surprise, lorsque le groupe achève son set avec une version particulièrement agressive de "Holy Revelation" qui offre aux musiciens l'occasion de se lâcher un peu physiquement avant de quitter la scène une première fois. Le premier morceau du rappel, "Goodbye", poursuit dans cette lancée et s'éloigne des terrains balisés. Jusque là, le groupe s'attachait à respecter leurs compositions. À l'inverse, Goodbye se transforme progressivement en longue jam, au point que le groupe emprunte quelques mesures au "Set The Controls For The Heart of the Sun" de Pink Floyd.
Enfin, le concert s'achève avec l'incontournable "Dreaming of You", premier tube du groupe dont la popularité ne faiblit pas. Le public continuera même à la chanter en quittant la salle. Alors forcément, on peut regretter l'absence de tel ou tel titre… ou, dans mon cas, l'impasse totale sur leur album Butterfly House. On aurait pu s'attendre à un peu plus d'interactions avec le public. Mais, en dernière analyse, un concert des Coral est tout simplement à l'image de leur carrière. Ils ne se préoccupent pas des modes, ils n'essaient pas de faire plaisir à qui que ce soit, ils sont avant tout là pour la musique, pour leur musique. Et finalement nous aussi.