Warpaint
Radiate Like This
Produit par Sam Pett-Davies, Warpaint
1- Champion / 2- Hips / 3- Hard To Tell You / 4- Stevie / 5- Like Sweetness / 6- Trouble / 7- Proof / 8- Altar / 9- Melting / 10- Send Nudes
Puisque nous sommes entre nous, laissons-nous aller à quelques menues confidences. Tout d’abord, il nous arrive parfois, à la rédaction d’Albumrock, de modifier une note attribuée à un album a posteriori. Oh, pas grand-chose, un demi-point en plus ou en moins. Néanmoins, un demi-point sur cinq à ajouter ou à retrancher n’a rien de neutre, mais parfois le temps fait force de loi. Ainsi, comment laisser un 3,5 à l’album sans nom de Warpaint paru en 2013 alors que ce disque, je n’ai cessé d’y revenir, encore, encore et encore, pendant des années, et récemment encore, tellement sa magie s’avère captivante ? Vous comprendrez bien qu’une œuvre qui suscite une telle émotion, une telle adhésion, ne saurait tolérer un vulgaire 3,5 / 5. C’est dit, et c’est donc corrigé - pas plus tard que tout de suite.
Allez, une seconde anecdote avant d’attaquer le vif du sujet. Il n’est pas toujours facile d’apprécier un disque de but en blanc, ça, vous le savez déjà. Mais parfois c’est aussi une question d’ambiance, de temporalité, de moment adéquat. Ainsi je me suis rendu compte que le fameux Warpaint tournait incroyablement bien chez moi en fin de soirée, après un repas entre amis, au moment de déguster l’after. Ou au retour d’une sortie festive tard dans la nuit, quand les esprits s’apaisent, que la tension retombe et que les esprits se délassent. Un temps propice au calme, à la rêverie, aux divagations. Alors réglons d’emblée ce problème, histoire qu’il n’y ait aucun malentendu : un album de Warpaint, ça ne s’écoute pas n’importe quand. Probablement pas en matinée, sans doute pas l’après-midi (et surtout pas en voiture !), mais à l’évidence beaucoup plus sûrement en soirée ou tard dans la nuit. Une fois admise cette condition sine qua non, il n’est pas impossible que le groupe éveille en vous des émotions que vous n’auriez autrement pas soupçonnées.
Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, on était un tantinet inquiet au sujet des quatre donzelles de Warpaint dont on n’avait plus eu aucune nouvelle depuis près de huit ans, et huit ans dans le domaine de la pop, ça équivaut a minima à un hiatus, au pire à un split. Or rien n’avait été annoncé de leur part et les auditeurs demeuraient dans l’expectative, ce d’autant que le dernier album en date des californiennes (Heads Up) ne volait pas du tout aussi haut que les deux premiers. C’est donc le soulagement qui a accueilli l’annonce de ce Radiate Like This qui s’est longuement fait désirer, puis très vite le soulagement a laissé place à la satisfaction et, au fil des (nombreuses) écoutes, à l’enthousiasme. Ouf ! Après tout ce temps, la magie opère toujours, et même plus encore. À tel point que l’on peut légitimement se demander si nous n’atteignons pas ici une sorte de quintessence, bien qu’avec un bémol.
Si la musique de Warpaint se caractérise habituellement par sa douceur et sa propension à nous faire décoller dans de (très) hautes sphères, mêlant dream pop oestrogénisée et post trip hop fascinant, Radiate Like This enfonce encore un peu plus le clou dans la ouat. Cotonneuse, la fibre onirique des quatre femmes touche ici une sorte de paroxysme dans le lâcher-prise, l’abandon, la sérénité. Rarement on aura connu une formation autant en osmose et un album qui rayonne d’une ambiance aussi constamment tranquille. Et ce n’est pas qu’une question de rythmique lascive, car à bien écouter, on se rend compte que la pulsation ne fait pas toujours du rase-moquette. Non, il y a aussi cette assurance sereine dans la voix suave d’Emily Kokal, cette brillance dans les chœurs de ses camarades, cette candeur post juvénile qui confine étrangement à la sagesse la plus ancestrale, cette pureté et cette justesse dans les instruments électriques. Quand Warpaint ouvre ses amplis, tout n’est plus qu’une question de magie, même si la construction mélodique ne saurait être prise en défaut - on va y revenir. Mais disons que c’est presque accessoire tant on aime à se plonger dans ce grand bain de songe éveillé à la croisée des genres de la pop contemporaine. Une musique qui paraît banale au premier abord mais qui a tôt fait de nous happer avec grâce et de nous maintenir sous son emprise de félicité.
Dans le détail, certains morceaux ressortent plus volontiers que d’autres et vont jusqu’à tutoyer les sommets les plus inaccessibles, c’est dit. “Hard To Tell You”, quoi. Un titre incroyable qui n’a l’air de rien mais qui cache des trésors de construction, de mélodie, d’arrangements, tout en montées de gamme et en ascenseur émotionnel, le tout d’une estomaquante pureté. Allez, on poursuit par ordre décroissant de qualité. “Trouble”, fabuleux, fa-bu-leux. Jamais entendu un contraste aussi brillant entre couplet mineur et refrain majeur, une justesse, une délicatesse, une finesse à peine croyables. Et pour ça, rien qu’une chanteuse en extase, des échos oniriques, un piano pudique, quelques tendres coups de médiators et un enrobage de violons soufflant de grâce. Vous en voulez encore ? “Stevie” (un hommage à la grande Stevie Nicks ?), d’une redoutable timidité, d’une troublante retenue, d’une épatante évanescence. “Hips”, le seul point d'achoppement ombreux du disque, les seuls atours noirs, les seuls assauts de sensualité visant à nous extraire d’un délicieux malaise, toujours avec moult précautions et joliesse. “Melting”, sublime de distance, jeu de cordes et de touches subtilement dissonantes, tonalités surnaturelles, voix d’une exquise distance. “Proof”, sidérant travail d’harmonisation et de post-production, d'enchevêtrement instruments-voix, de montagnes russes lancées avec culot en plein songe nuageux. “Champion”, désarmant de morgue rentrée, de superbe mutine, de placide contenance lancées avec insouciance à la face du soleil, et on passe sur la chouette outro à rallonge dont la réussite frise l’insolence pure et simple.
Mais il manque encore un petit quelque chose à Warpaint pour réaliser ce chef d’œuvre plein et entier que l’on sent pourtant poindre pratiquement partout, mais le pratiquement a toute son importance. Une parfaite constance, par exemple. Non, “Send Nudes” n’apporte vraiment pas grand-chose au disque malgré la promesse annoncée dans le titre (on a tous un petit côté voyeur, n’est-ce pas ?), d’autant que “Melting” qui le précède s’autosuffit en guise de conclusion. Et oui, “Altar” ne se montre pas irrésistible, trop benêt, trop prévisible, trop redondant aussi. Suffisant pour ternir l’ensemble du disque et du ressenti que l’on peut éprouver à son écoute ? Absolument pas. Mais pour laisser un (très) léger arrière-goût d’amertume en bouche, oui, sans aucun doute, car on sent que cela se joue à pas-grand chose. Moyennant quoi, ruez-vous sur ce dernier Warpaint si vous connaissez déjà ces quatre talentueuses californiennes, et plus encore si vous ne les connaissez pas, car vous avez là de quoi basculer irrémédiablement dans la conversion. Mais attention, choisissez bien votre moment pour l’écouter ! À bon entendeur…
A écouter : "Hard To Tell You", "Trouble", "Melting"