Sans tomber dans une sorte d’autocongratulation ou de satisfaction narcissique, chroniquer un album d’un groupe comme les
Black Keys n’est pas une mince affaire. Depuis la sortie de
Brothers et surtout celle de
El Camino, album de la consécration publique porté par l’imparable "Lonely Boy",
Dan Auerbach et Patrick Carney, bien aidés par leur pote et producteur Brian Burton (aka Danger Mouse) ont été propulsés en haut de la pyramide rock et n’en sont jamais redescendus. Depuis, Dan a été sollicité partout :
Valerie June,
Hanni El Khatib,
Lana Del Rey (!), bref, autant de collaborations qui fleurent bon la patte Auerbach, devenu producteur à la mode et coqueluche pour beaucoup de jeunes artistes. On pouvait craindre qu’il en oublie sa formation principale, mais il n’en est rien, et c’est avec ce
Turn Blue que les clés noires les plus célèbres du monde nous reviennent.
Back on the tracks.
Avant toute chose, et je m’adresse à toi, jeune (ou moins jeune) lecteur assidu d’Albumrock qui t’apprête à lire cette chronique, il convient d’enfoncer les portes ouvertes sur ce que tout le monde s’accorde à dire : les
Black Keys sont morts. Ou du moins, ceux que tu as tant aimé sur
The Big Come Up,
Rubber Factory ou bien encore
Thickfreakness, ceux qui faisaient vrombir les guitares à coup de fuzz, qui revisitaient sans complexe le blues en le rendant sale et sexy, crade et sensuel, sans basse ni claviers ; bref, c’en est fini. Certains estimeront que le drame est arrivé au moment de la signature sur Nonesuch Records, filiale de la maison de disque Warner, d’autres au moment de la sortie de
Brothers, peu importe, toujours est il que le duo de l’Ohio n’est plus celui que nous avons connu il y a dix ans de cela. Les
Black Keys sont morts, vive les Black Keys ? Beaucoup ne sont pas cet avis. Si tu es de ceux-là, tu peux immédiatement rebrousser chemin et te consoler sur le dernier
Blues Explosion. Pour les autres, cela s’avère tout aussi compliqué à gérer.
En effet, et c’est là une difficulté de plus : comment critiquer un album des
Black Keys sans avoir une pensée émue pour leurs premiers disques et appréhender en tant qu’œuvre à part entière ce
Turn Blue sans pour autant renier son héritage ? Un cachet d’aspirine, trois lexomils et 253 écoutes plus tard, la réponse n’est toujours pas si évidente. De plus, l'aventure
El Camino doit être considérée comme une parenthèse unique dans la carrière du groupe, accouchant d’un disque en pleine tournée mondiale avec comme unique volonté de "faire du rock’n’roll" (sic !). Enregistré en plein divorce de Dan et de son ex femme, les compositions de Turn Blue se retrouvent imprégnées de ce bleu à l’âme ("Waiting On Words") et possèdent donc ce côté pop que beaucoup reprochent au groupe. Mais là où une certaine sensualité se dégageait de
Brothers (enregistré en plein divorce de Pat… Tiens, tiens) et malgré un son plus fourni, l’ensemble peine à décoller. C’est un peu mou du genou, ça manque d’inspiration ("Year In Review"), ça sonne déjà entendu, comme ce "Fever", plagiat de "Sister" issu de
El Camino, dont on a l’impression qu’il a été écrit par un groupe en pilotage automatique. Doit on voir là l’influence plus que grandissante de Danger Mouse, crédité en tant que co-auteur sur tous les titres et désormais vu comme un membre à part entière du groupe ?
D’autant que le disque démarrait tambour battant avec "Weight Of Love", longue plage de blues psychédélique envoutante, où la guitare de Dan rugit d’ingéniosité et nous transporte littéralement. Sa petite sœur "Turn Blue" est tout aussi délectable, quoique plus douce et dépouillée avec un riff de basse étourdissant. Même ce fameux "Fever" qui a tant fait parler s’écoute finalement tout seul et nous donne envie de sautiller partout. Et que dire de ce "Bullet In The Brain" sexy, prenant et sacrément bien foutu ? A trop vouloir élargir leur champ musical, les
Black Keys se perdent quelque peu en route et nous perdent par la même occasion, entre disco blues ("In Time") et pop song un peu à l’eau de rose ("10 Lovers"). On sent la volonté de surprendre, de désarçonner l’auditoire, d’évoluer, de ne pas rester cloitré dans un blues lo-fi qui fit pourtant leur succès, même si "Gotta Get Away" renoue avec leur premières amours d’antan, et cela est tout à leur honneur, mais malheureusement certaines chansons ne suivent vraiment pas.
Bon, ne soyons pas si ronchons et ne boudons pas notre plaisir.
Turn Blue est un bon disque, cohérent, supérieur à une bonne partie de la production musicale actuelle en terme de mélodie, d’arrangements et de production. Mais il n’est pas transcendant comme nous serions en droit de l’attendre d’un groupe comme les
Black Keys. Alors Dan, tu es bien gentil, mais tu retrouves vite une femme et tu arrêtes de trop fréquenter
Lana Del Rey. Sinon, ça va vraiment finir par se voir.