
The Black Keys
Ohio Players
Produit par
1- This Is Nowhere / 2- Don't Let Me Go / 3- Beautiful People (Stay High) / 4- On The Game / 5- Only Love Matters / 6- Candy And Her Friends (feat. Lil Noid) / 7- I Forgot To Be Your Lover / 8- Please Me (Till I’m Satisfied) / 9- You'll Pay / 10- Paper Crown (feat. Beck and Juicy J) / 11- Live Till I Die / 12- Read Em And Weep / 13- Fever Tree / 14- Every Time You Leave


On peut désormais le dire sans faire de la provocation : les Black Keys sont morts. Du moins, ceux des origines, artisans d'un blues-rock primaire et sans complexes noyé dans la saturation crasse. Exit la cave obscure et le look hirsute, le duo a depuis fort longtemps quitté le garage paumé qui leur avait permis de se faire connaître via des titres bruts et minimalistes enregistrés à l'arrache sur un 8 pistes. Certains font remonter l'acte de décès de ce son "authentique" dès Attack & Release, quand d'autres poussent jusqu'à Brothers voire El Camino. Tout le monde ou presque s'accorde cependant à souligner le rôle qu'a pu jouer Brian Burton ("Danger Mouse" pour les intimes) dans l'évolution musicale du duo vers un rock plus pop et propre, prix à payer pour convertir les masses et atteindre une renommée planétaire.
De fait, une fois encore, ceux qui ne jurent que par les premiers albums des Black Keys hurleront avec les coyotes du Midwest et auront bien du mal à supporter l'écoute de ce Ohio Players pourtant pas déméritant et qui offre une porte de sortie face au grand dilemme qui taraude le groupe depuis plusieurs albums. Celui de poursuivre plus avant dans une veine pop-rock mainstream un peu fade qui leur a ouvert les portes du succès, sans toutefois avoir toutes les qualités requises pour y exceller pleinement. Ou bien, deuxième option, revenir à la formule blues-rock initiale avec l'impossibilité de creuser un nouveau filon et en courant dès lors le risque d'une redondance sans limites avec un son éculé et rebattu. On reprochait déjà de ce point de vue au groupe son total manque de prise de risques sur l'album précédent avec une mollesse sympathique qui ne pouvait cependant cacher un manque de fraîcheur certain dans le songwriting.
Peut-on encore attendre quelque chose des Black Keys concluait-on alors sur Albumrock, avec un pessimisme justifié, lors de la chronique du dernier opus ?
Réponse apportée par les 'ricains eux-mêmes avec ce Ohio Players qui vient explorer une troisième voie en forme d'hommage appuyé à leur Etat d'origine et à la clé un pas de côté pleinement assumé et une fraîcheur retrouvée. Les deux gars d'Akron ont en effet souhaité régénérer leur blues-rock fatigué dans une diversité d'approches stylistiques, oscillant entre une soul chaude et classieuse et des hymnes pop inspirés des 60's, en passant par quelques phrasés plus hip-hop. Pour ce faire, le duo a cherché son inspiration ailleurs que chez les bluesmen du Mississipi et a souhaité s'en remettre à un ami de longue date en la personne de Beck, qui co-signe la moitié des titres de l'album. Le duo s'est également ouvert à d'autres collaborations, en particulier celle de Noel Gallagher sur trois autres titres, le tout sous la houlette du producteur Greg Kurstin.
Exit les ruades de batterie et les riffs rustiques régurgités par des amplis criards, Ohio Players est serti de quatorze chansons courtes, lumineuses et remuantes avec un travail sur le son plus raffiné qu'à l’accoutumée. Plus qu'une véritable révolution esthétique, transparait surtout l'envie des deux larrons de se faire plaisir avec un ouverture d'esprit réellement festive et beaucoup d'humour et d'auto-dérision (les différents clips mettant en scène des quilles et des boules de bowling en témoignent). Et, avouons-le, il est bien difficile de résister à la bonne humeur communicative et au côté très catchy des "This is Nowhere" et autres "Beautiful People (Stay High)" gorgés d'une énergie positive et parés d'un refrain fédérateur s’incrustant avec facilité dans notre esprit. La patte de Beck se ressent pleinement sur le premier titre là où le second, co-produit avec Dan The Automator, évoque une partition funk dansante où Dan Auerbach vient percher sa voix de falsetto.
Le duo, libéré des contraintes passées, délivre ainsi des chansons pop organiques et pétillantes qui prennent solidement appui sur des rythmiques groovy bâties autour d’un concentré de rock, de funk et de soul. Les touches noires alternent ainsi avec fluidité entre une reprise suave du chanteur soul William Bell sur "I Forgot To Be Your Lover", une section rythmique chaloupée évoquant le groove voluptueux de la Motown sur "Don’t Let Me Go", une partition de soft rock sucré et efficace sur "Only Loves Matter", des ambiances retro sixties nappées de sons d'orgues et de guitares clinquantes sur "You’ll Pay" ou encore dopées à la réverb’ pour évoquer la tension décalée d’un film de Tarantino sur "Read Em And Weep". Le duo ne se départit heureusement pas non plus de quelques riffs plaisants sur "Please Me (Till I’m Satisfied)" justement ou "Live Till I Die" à la fibre psychédélique. A ce jeu, "Every Time You Leave" s’avère particulièrement étincelant et addictif, avec son petit phrasé de guitare bien placé. On regrettera de ce point de vue que le meilleur morceau du disque soit relégué en dernière position là où son potentiel d’agitation aurait permis de mettre le feu aux poudres bien plus tôt.
Si la participation de Beck se ressent pleinement et que le travail du touche-à-tout californien est une vraie valeur ajoutée, les autres collaborations s’avèrent cependant un poil plus décevantes. La ballade (brit)pop "On The Game" écrite avec Noel Gallagher se noie dans la lourdeur un peu mièvre de son refrain répété ad nauseam tandis que les participations des rappeurs de Memphis Juicy J et Lil Noid respectivement sur "Paper Crown", armé de sa basse frondeuse, et "Candy And Her Friends" doté d'un parti pris naïf, tombent un peu à plat, sans véritable connexion avec le reste des morceaux.
Reste que les Black Keys livrent un album festif et rafraichissant, à défaut d’être particulièrement remarquable. Ce dernier aurait pu être amputé de quelques titres (et encore, une cinquantaine avait initialement été enregistrée) mais remplit son office avec une bonne humeur communicative qui permet de susciter un engouement renouvelé, là où les derniers opus ne généraient au mieux qu’une écoute distraite et sans envie d'y revenir. Pour cet album, on s’est définitivement laissé prendre au jeu… Reste à savoir quel chemin prendront Dan Auerbach et Patrick Carney pour la suite et si cet enthousiasme perdurera.