Screaming Trees
Sweet Oblivion
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1- Shadow of the Season / 2- Nearly Lost You / 3- Dollar Bill / 4- More or Less / 5- Butterfly / 6- For Celebrations Past / 7- The Secret Kind / 8- Winter Song / 9- Troubled Times / 10- No One Knows / 11- Julie Paradise
L’histoire du rock est décidément définitivement injuste et ingrate. Il aura fallu la mort de Mark Lanegan le 22 février dernier pour qu’on daigne (un peu) s’intéresser un minimum aux Screaming Trees dans les médias dits “traditionnels”. Des hommages parfois un peu maladroits, coucou Jack de Canal plus, qui parle du chanteur des “Streaming Trees” (par ailleurs très bon nom pour un hypothétique service de Streaming éco-responsable). Une erreur qui s’avère être finalement assez révélatrice du rapport qu’entretient le très grand public avec ce groupe d’éternels seconds couteaux : toujours placés, jamais gagnants, comme des outsiders dans la grande course du grunge et du rock alternatif.
Au delà des atermoiements du groupe et des personnalités des membres qui la composent, nous y reviendrons, les Screaming Trees feront aussi face à une sorte de fatalité dont ils seront plus victimes que responsables : le manque de chance, aussi simplement que ça, conjugué à une vraie naïveté face à l’industrie du disque.
Le groupe voit le jour du côté de l’état de Washington, à Ellensburg précisément, un trou paumé à quelques encablures de Seattle. Il est formé par Mark Lanegan au chant, Marck Pickerel à la batterie (remplacé à partir de ce Sweet Oblivion par Barrett Strong), mais surtout par les deux frères Gary et Van Conner, deux brutes épaisses n’hésitant pas à régler leurs différents musicaux à grand coup de bourre-pifs bien sentis. Les 4 membres sont ingérables, ne s’entendent pas particulièrement, et sont de surcroit infréquentables et chargés comme un peloton du Tour de France. Mais ils sont là depuis le milieu des années 80 (leur premier EP Other World remonte à 1985), ont leur petite réputation à l’échelle locale, et ont sorti une tripotée d’albums (5 avant celui-ci), dont Uncle Anesthesia, à ne surtout pas omettre, co-produit par Terry Date et Chris Cornell de qui vous savez, et qui eût le malheur de sortir en janvier 1991, et donc totalement écrabouillé, éclipsé et étouffé par Nevermind de l’autre qui vous savez.
Mark Lanegan est un fidèle ami de Kurt Cobain, lequel apparait aux choeurs et à la guitare sur son premier album solo (notamment sur le classique de Leadbelly “Where Did You Sleep that Night”)*.
Si Cobain est un grand fan des Trees depuis la première heure, Mark Lanegan comprend assez vite le génie de Nirvana et de son leader (et ce bien avant 1991), et le raz de marée Nevermind apparait presque comme une demi-surprise pour le leader des Screaming Trees. Difficile de dire si les "Smells Like Teen Spirit" et consorts ont constitué un déclic pour la bande à Lanegan, mais le fait est que ce Sweet Oblivion, sorti en septembre 92 est plus mature que les opus précédents, plus cadré, mieux produit et surtout, pour la première fois de la carrière des Trees : il est enfin presque dans l’ère du temps.
L’album s’ouvre sur “Shadows Of The Season”, ses percussions et ses riffs lancinants encerclant le chant d’outre-tombe de Mark Lanegan, dont la voix semble être encore descendue davantage par rapport à Uncle Anesthesia. Ce morceau est une démonstration du talent du groupe, à la lisière entre grunge et rock alternatif, et avec cette touche de psychédélique qui fait mouche, à l’image du pont, et ce alors qu’il ne fût même pas choisi comme single. Un rôle qui fut attribué à la seconde piste “Nearly Lost You”, qui suinte le "Mtv-like"du début des nineties par tous les pores, et pour cause. Choisi pour apparaitre sur la Bo de “Singles”, le film de Cameron Crowe en 1992, c’est ce morceau qui permettra aux Trees de se faire connaitre davantage du très grand public, sans pour autant qu’ils en tirent davantage profit, comme l’explique Mark Lanegan dans son autobiographie.
" “Nearly Lost You”, serait notre seule et unique chanson à se classer dans les charts, ainsi que notre seul clip régulièrement diffusé sur MTV. Non seulement j’avais réussi à l'imposer dans une BO au succès énorme, mais en plus « Nearly Lost You » en était un des singles les plus populaires. Néanmoins, c’était à double tranchant. Notre chanson, qui passait beaucoup sur MTV, a boosté les ventes de la BO, mais, quand notre album est sorti, il ne fallait plus compter sur un effet de surprise. J'ai appris plus tard que tous les groupes présents sur le disque ont été grassement rémunérés pour leur participation. Mudhoney a reçu 20 000 dollars pour leur titre, alors que nous avions été contraints de renoncer à nos droits contre le putain de « privilège » de nous y trouver. Autrement dit, nous leur avions fait cadeau d'un hit."
Et ce “Nearly Lost You” est objectivement une des grandes réussites de ce disque, riffs solides, refrain hyper mélodiques, et surtout, et c’est la grande différence par rapport aux productions précédentes, un batteur, Barrett Martin**, au jeu bien plus varié et plus “grunge” dans l’esprit. Mais il serait regrettable de résumer Sweet Oblivion à “Nearly Lost You” tant il regorge littérablement de tubes, à commencer par “More Or Less”, ses riffs lourds et granuleux qui n’auraient pas dépareillés sur un album de Pearl Jam. Et au jeu des comparaisons, puisqu’on parle ici de grunge, c’est sans doute de la bande à Eddie Vedder que les Screaming Trees sont le plus proche, tant au niveau de la structure (relativement ordinaire) des morceaux, qu’au niveau des ambiances très “rock alternatifs” disséminées tout au long des 11 pistes. Des similitudes qu’on retrouve aussi sur le jeu de guitare de Gary Lee Conner, qui lorgne pas mal vers celui de Mike Mc Cready, et si ses différents solo sont tout à fait basiques, ils s’inscrivent parfaitement dans la proposition de l’ensemble. Une proposition directe, sans fioritures (la plupart des titres sont sous les 4’30), et qui fait la part belle aux mélodies et aux refrains très reconnaissables. “The Secret Kind”, plus psychédélique que grunge, “Troubled Times” aux accents bluesy, “For Celebration Past” qui rappelle le college-rock des débuts, tous ces morceaux supposément “secondaires” n’ont rien à envier aux dizaines de classiques du genre.
Si Sweet Oblivion ne possède aucune fausseté, des compositions sortent un peu du lot, on pense d’emblée à “Dollar Bill”, power-ballad convenue mais sublimée par la voix de Mark Lanegan, ou à “Butterfly”, véritable concentré d’énergie, qui mêle gros choeurs et petit piano à la Rolling Stones sur son refrain. Au rayon des clins d’oeil du destin, ou du hasard c’est selon, on souriera à l’écoute d’un “No One Knows” doux et voluptueux et à l’opposé donc de son homonyme sur Songs For The Deaf des Queens of The Stone Age, disque qui donnera un second souffle à la carrière, et à la vie de Mark Lanegan. Un Mark Lanegan, personnage central de ce Sweet Oblivion, qui n’a jamais aussi bien chanté avec les Trees, sans doute ragaillardi et émancipé grâce à ses deux magnifiques albums solo déjà parus, The Winding Sheet en 1990 et Whiskey For The Holy Ghosts en 1994.
Dans tous les cas, ce Sweet Oblivion est un excellent disque, facile d’accès, et d’une efficacité redoutable, y compris face à la concurrence de l’époque. Les Screaming Trees en vendront 300 000 exemplaires, une broutille, et dont le seul tort, finalement, aura été de sortir la même année que le premier Rage Against the Machine, Vulgar Display Of Power de Pantera, Dirt d’Alice In Chains, Automatic For The People de R.E.M, ou Blues For The Red Sun de Kyuss. Entre autres. Le chant du cygne interviendra 4 ans plus tard avec Dust, à ne pas négliger, et permettra l’avènement de l’immense carrière solo de Mark Lanegan, qui s’éloignera de Seattle disque après disque, tout en traversant les ténèbres de sa voix rocailleuse.
À écouter : "Nearly Lost You", "More Or Less", "Shadow Of The Season".
*Cobain avait même proposé à Lanegan d’accompagner Nirvana sur cette reprise lors du célèbre Mtv Unplugged. Offre que Lanegan refusa poliment, arguant qu’”il aurait trouvé étrange qu'un chanteur relativement inconnu vienne interpréter une chanson aux côtés du plus grand groupe du monde pendant une émission si populaire”. Source : l’autobiographie de Mark Lanegan.
**Batteur qu’on retrouvera, notamment sur l’album de Mad Season en compagnie, entre autres, de Mike McCready, Layne Stayley, et sur 2 chansons, Mark Lanegan.