Earthside
Let The Truth Speak
Produit par Earthside
1- But What If We're Wrong / 2- We Who Lament / 3- Tyranny / 4- Pattern Of Rebirth (featuring AJ Channer of Fire From The Gods) / 5- Watching The Earth Sink / 6- The Lesser Evil / 7- Denial's Aria / 8- Vespers / 9- Let The Truth Speak / 10- All We Knew And Ever Loved
Que l’attente aura été longue pour les amateurs de Earthside ! Il faut dire que le quartette américain avait su marquer de son empreinte la sphère progressive lors de la sortie - il y a huit ans de cela - d’un premier album aussi mémorable qu’ambitieux (A Dream in Static, 2015). Avec le recul, cette absence prolongée était surement nécessaire pour offrir un digne successeur à ce premier coup d’éclat, et emmener le metal progressif à tendance orchestrale du combo vers de nouveaux sommets émotionnels. Véritable réceptacle aux multiples influences favorisant le lâcher prise et l’imagination, la musique d’Earthside se veut résolument cinématographique (le groupe parle lui-même de cinematic rock) en se laissant aller à d’imposantes compositions à prédominance instrumentale.
Toujours composé d’un noyau dur comprenant Ben Shanbrom (batterie), Frank Sacramore (claviers), Ryan Griffin (basse) et Jamie van Eyck (guitare), le groupe basé dans le Connecticut poursuit son exploration musicale tout en multipliant les collaborations internationales : chanteurs et musiciens en tous genres (issus de la musique soul, du metal, rock alternatif ou encore d’orchestres classiques) se joignent ainsi à l’aventure. Ce deuxième album intitulé Let the Truth Speak exploite judicieusement cette diversité tout en veillant à maintenir une certaine unité artistique. En résulte, une oeuvre dense et généreuse (approchant les 78 minutes), guidée par l’envie irrépressible de tout donner et de ne rien remettre à demain.
De nouveaux horizons sont ainsi explorés, mais une certaine continuité semble être conservée avec l’opus précédent. L’aspect cinématographique se retrouve d’ailleurs dès l’introductif "But What if We’re Wrong?", un morceau instrumental qui installe une atmosphère onirique semblant dépeindre de vastes étendues verdoyantes. Outre sa beauté intrinsèque, le morceau gagne en profondeur grâce au subtil jeu de percussion (fait de tintements de cloches et carillons tubulaires) proposé par le groupe Sandbox Percussion. La section rythmique marque peu à peu son territoire, suivie par les premiers riffs métalliques qui nous éclairent sur le programme à venir.
Si de grandes pièces instrumentales sont disposées en début, milieu et fin d’album, le reste fait appel à différents vocalistes qui, chacun leur tour, ont l’occasion d’apporter leur touche à l’édifice. A l’instar du précédent album, Daniel Tompkins (TesseracT) se voit à nouveau attribué un titre d’envergure avec l’éponyme "Let the Truth Speak". On retrouve ainsi des riffs syncopés et autres virevoltes rythmiques typiquement djent (qui évoqueront le dernier album du cube quadridimensionnel) associé à la dimension symphonique qui constitue plus que jamais le fil conducteur du projet. Fidèle à son habitude, le chanteur britannique propose une prestation solide, même si l’on aurait apprécié un peu plus de nuances et de couleurs tout au long de cette imposante composition volontairement déstructurée et progressive.
La véritable révélation vient finalement de la chanteuse Keturah qui captive avec une voix hors du commun, androgyne et emplie d’émotions. Avec un tel joyau à son bord, le morceau "We Who Lament" atteint des sommets insoupçonnés et impressionne avec ses mélodies à tiroirs, ses multiples changements de rythmes, et la beauté de ses passages plus atmosphériques mâtinés d’influences post-rock. La chanteuse a d’ailleurs le privilège de prolonger la collaboration sur le plus épurée et délicat "Denial’s Aria".
Les chanteurs se succèdent, à la manière de l’album solo de Charlie Griffiths (Tiktaalika, 2022), ce qui aura de quoi en décontenancer certains, compte tenu de la diversité des profils proposés. Plus massif et agressif, un titre comme "Tyranny" pourra en effet surprendre avec une ambivalence qui rappellera une formation comme Sleep Token. On percevra même de petits élans R’n’B, voire hip-hop, sur "Pattern of Rebirth" ; c’est dire si le groupe brasse large dans ses influences ! Aussi imparable qu’inattendu, le titre "The Lesser Evil" se démarque quant à lui avec son groove fringant, porté par la voix soul de Larry Braggs et la partition endiablée du saxophoniste Sam Gendel. Un cocktail détonnant pour une saisissante fusion de soul, jazz et metal, dans l’esprit des confrères américains de Thank You Scientist.
On pourra regretter que les grandes fresques instrumentales ("Watching the Earth Sink" et le final "All We Knew and Ever Loved") n’atteignent pas toujours l’ampleur et la portée évocatrice du précédant album (que nous vous recommandons vivement), finissant même par présenter quelques longueurs. Let the Truth Speak compense néanmoins ces petites imperfections par une générosité et une passion de chaque instant (la petite étincelle qui faisait étrangement défaut au dernier opus de TesseracT…) et étonne par son ouverture d'esprit. Vivifiant sur bien des aspects et parvenant à trouver une certaine cohérence dans la diversité qui l’anime, ce deuxième cru de Earthside s’appréciera autant pour ses indéniables qualités techniques et mélodiques que pour son caractère rare et éphémère.
A écouter : "We Who Lament", "Let the Truth Speak", "The Lesser Evil"