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La Nu-Rave comme ère postmoderne du rock. Le cas Late Of The Pier


Maxime, le 21/02/2009

Late Of The Pier : groupe postmoderne dans un monde contemporain


Nous avons vu dans les chapitres précédents que la vague rock des années 2000 adoptait une posture postmoderne dans sa vision nihiliste de l’histoire du rock, cette dernière s’avérant incapable d’accoucher de la nouveauté, mais qu’elle n’avait pas traduit en actes ce constat. On postule que la nu-rave est la première véritable scène à le mettre en application, et qu’à travers l’exemple Late Of The Pier, derniers nés de ce mouvement, on peut dresser les caractéristiques de la postmodernité rock.


Les postmodernes s’inscrivent en porte-à-faux face aux modernes, en niant la vision progressiste de ces derniers. Pour les postmodernes, tout a déjà été dit, il n’y a rien de neuf qu’on puisse inventer. Il n’y a plus de beau et de mauvais, tout est traité sur un même rapport d’équivalence. Rien n’est trop bas ni trop haut, trop commun ou trop élitiste, rien n’est vertical, tout est horizontal. Règne total du cool. Discours explicitement revendiqué par Late Of The Pier, ici interviewé par Rock & Folk :
"Les punks avaient de la chance car ils avaient une rébellion à entretenir. Aujourd’hui il n’y a plus grand chose contre qui on peut se battre. Tout le monde est un consommateur, tout le monde est heureux de consommer. A 13 ans tu as déjà tout ce à quoi tu peux rêver. A part faire les choses contre la mode en cours et contre les siens, difficile de se singulariser sur cette planète !"
Ce désenchantement est double : il porte à la fois sur le déclin de l’idéologie qui, après la chute du mur de Berlin, ne propose plus d’alternative politique tangible (il suffit de voir combien on s’avère incapable, avec la crise financière actuelle qui secoue les fondamentaux du capitalisme, de donner un second souffle à la démocratie et de la penser sur de nouvelles bases) et également sur une idée d’un rock bloqué dans sa progression, incapable de donner naissance à quelque chose d’inédit et excitant. Dès lors, le seul salut réside dans l’emprunt, la citation de ce qui a déjà été produit. Face à un genre qui n’avance plus, on le fait bégayer.

Quelques nuances s’imposent : cette vision nihiliste n’est pas nouvelle. On pourrait remonter aux années 70 et évoquer le Pin Ups de David Bowie, recueil de reprises nostalgiques sur la période birtish beat alors que le rock vit les derniers spasmes de son classicisme (on renvoie à l’analyse du disque par Philippe Manœuvre dans sa Discothèque Idéale). De même, le concept d’albums bigarrés, hybrides, mutants, ne naît bien entendu pas avec la nu-rave. Beastie Boys et Beck par exemple (pour rester à la fin des années 80 - années 90) se prêtaient déjà à l’exercice. Seulement, l’expérience Pin Ups n’a été qu’une parenthèse, Bowie est depuis revenu à ses aspirations modernistes (et ce d’autant plus qu’à l’époque on ne s’était pas encore penché avec regret vers la scène datant qu’il y a 7-8 ans, ce qui faisait paradoxalement de cet épisode rétro une posture moderniste), les Beastie Boys livraient leur propre interprétation du hip-hop, eux qui venaient d’un milieu plutôt rock, quant à Beck, il piochait certes dans des influences hétéroclites (country, folk, hip-hop), mais elles étaient ramenées à une trame, à un tout, à une recherche de l’homogénéité rangée derrière un slogan global, un discours sur l’époque aussi cynique soit-il ("I’m a loser baby, so why don’t you kill me"). Dans ce sens, le postmoderne opère davantage par radicalisation que rupture vis-à-vis du moderne. Il élève l’hétérogénéité en règle générale, mais a renoncé à lui donner une forme unificatrice. Ceci est parfaitement résumé par Frederic Jameson, dans son analyse de l’Art Video des années 80 :

"La référence et la réalité disparaissent entièrement, même le sens (le signifié) devient problématique. Il ne nous reste que ce jeu pur et arbitraire de signifiants que nous appelons le postmodernisme ; qui ne produit plus d’œuvres monumentales de type moderniste, mais qui redistribue sans cesse les fragments de textes préexistants, les composants d’une production culturelle et sociale plus ancienne, dans un bricolage nouveau et plus sophistiqué : des métalivres qui cannibalisent d’autres livres, des métatextes qui collationnent des morceaux d’autres textes."


A ce titre, la genèse des Late Of The Pier est tout à fait révélatrice. Voilà des jeunes gens issus de la génération post-Nirvana, sans groupe phare pour se positionner et construire sa culture, et qui mène un va-et-vient permanent et indifférencié entre la scène rock des années 2000 (ils assistèrent aux premières performances de Bloc Party, Franz Ferdinand, Art Brut, Scissor Sisters…) et l’électro des clubs (initié par leur producteur, le DJ Erol Alkan). Cela donne, avec Fantasy Black Channel, un disque explosant en tous sens, dans lesquels les morceaux ne s’imbriquent pas, mais s’empilent par couches hermétiques. Certains titres évoluent plutôt dans la sphère du néo-post-punk actuel ("Broken", "Heartbeat", "The Enemy Are The Future"), d’autres évoquent une new-wave étouffée par des murs de synthés ultra-compressés ("Space And The Woods", "Bathroom Gurgle"), d’autres encore avancent le prototype d’une électro schizoïde ne pouvant être dansée que par un invertébré ("The Bears Are Coming", "Random Firl", "VW", "Focker"). Parfois même certains morceaux sont composés de séquences disparates cohabitant de façon violente et non cohérente, agencées de façon étanche comme de petites cellules autonomes.

Il faut sans doute corréler ce refus de la forme structurée avec la généralisation du mp3 et des baladeurs numériques, terreau propice à cette postmodernité. Le succès de l’I-Pod, selon les premiers observateurs, a opéré un changement dans la consommation de la musique, après l’ère de l’album, on en reviendrait à celui du single, ce qui nous semble n’être qu’à demi exact. Vrai, le mp3 rompt avec la valeur unificatrice de l’album, mais on n’en est pas pour autant revenu à l’âge du single. Le single, c’est le titre qui a été choisi (soit par le groupe, soit par la maison de disques, soit par les deux) pour promouvoir l’album, c’est une partie mise en avant comme produit d’appel pour un tout. Or, fidèle en cela au credo postmoderniste du déclin en la croyance en l’autorité ou l’élite, le consommateur moderne part du sens inverse. Il refuse qu’on choisisse pour lui. Il télécharge l’album, l’écoute, puis élague ce qui ne lui convient pas. Le consommateur numérique est d’abord un archiviste. Il classe, tranche, répertorie. La musique n’est plus considérée sous l’angle de la singularité moderniste (on va acheter l’album de tel artiste), elle est un bloc informe que chacun va tailler à son envie pour n’en conserver qu’une partie. Le mp3 n’a pas fait qu’apporter un nouveau médium au mélomane (dématérialisé, moins encombrant, aisément effaçable), il a profondément modifié son mode de consommation en retour. Que reste-t-il de l’œuvre originale au terme de cet équarrissage numérique ? Si je vais sur une plate-forme de téléchargement légal et que je commande les pistes 2,4,5,7 et 13 du dernier album de U2, puis-je encore affirmer posséder la dernière production du quatuor irlandais ? Cela conduirait certainement à redéfinir le statut de l’œuvre (et celle de l’artiste) au terme de cette "perte de l’aura" dont parle Walter Benjamin à propos de la reproduction mécanique en Art, ou instaurerait encore une confusion entre les régimes autographiques et allographiques établis par Nelson Goodman, et à sa suite Gérard Genette avec ses concepts d’immanence et de rémanence. Il faudrait la patience minutieuse d’un thésard pour démêler cette pelote. Nous connaissons leurs adresses, nous les consulterons.

Avec la nu-rave, ce nouveau mode de consommation s’est infiltré dans la démarche même des groupes. Fantasy Black Channel doit-il s’écouter d’un bloc ou ne faut-il pas plutôt le fragmenter, le découper et le redécouper pour n’en garder que la facette qui nous convient le plus ? Doit-on s’arrêter aux frontières du disque ou ne doit-on pas préférer aux versions originales les remix de Boys Noize, Emperor Machine ou Hot Chip ? Fantasy Black Channel n’est-il pas déjà un album pré-découpé et ouvert, en kit, prêt à l’usage qu’on veut lui prêter ? Le postmoderne ricane devant le moderne qui essaie de briller sur la longueur d’un album entier (avec ses mouvements, ses respirations, sa construction), il prône la déconstruction universelle, la fulgurance passagère, l’instant éphémère. Late Of The Pier s’est rangé derrière ce constat, et a fourni un disque qu’on ne peut plus considérer comme album car le terme suppose un certain agencement devenu ici obsolète. Quel mot utiliser alors ? Celui, plus flou et ambigu (évoquant aussi bien le papier que l’informatique) de répertoire ?


Face à Fantasy Black Channel, la critique a globalement réagi en le considérant comme un disque contemporain, c'est-à-dire en évaluant les chansons, déplorant bien souvent la tendance fourre-tout de l’entreprise. Une petite minorité (Vox Pop, Rock & Folk) l’a envisagé sous un angle moderniste, en vantant justement son aspect déstructuré, scellant l’entrée en scène d’un nouveau type de musiciens, bien ancré dans les tendances de ce XXIème siècle. Chacune de ces approches est valable. Comment articuler alors son discours face un disque que l’on juge postmoderne ? Comment construire et exposer un avis face à quelque chose d’aussi flottant qui refuse justement toute construction ? Tel est le paradoxe. Parce qu’on aime cet album, mais il n’est ni une révolution (il ne tranche pas particulièrement avec ce qui l’a précédé) et ne prétend pas à la catégorie moderniste du chef d’œuvre. Le chef d’œuvre suppose une croyance en la création, en l’originalité, et un certain agencement de la mise en forme. Pour que l’on tresse des lauriers à Late Of The Pier, il faudrait qu’ils se renient, qu’ils cessent d’être ces gamins pagailleurs pour qu’ils se mettent à ordonner un minimum leur chambre. Il faudrait qu’ils deviennent modernes. Craig Owens avait anticipé cette contradiction, en proposant une relation plus dialectique entre le moderne et le postmoderne. Le moderne brise les schémas pré-existants et crée de nouveaux codes qui deviennent bientôt des dogmes, dogmes qui vont être ensuite contestés et déconstruits par le postmoderne qui va inventer ensuite d’autres codes, lesquels vont devenir à leur tour des dogmes contestés par la génération suivante et ainsi de suite. Le classicisme serait ainsi le postmodernisme du primitif, le punk le postmodernisme du classique engoncé dans le baroque, etc… D’où cette question terminale : la modernité est-elle l’avenir du postmoderne ? Du côté de Castle Donington nous parvient cet écho : "Shut the fôck ôff and dance !"


A lire :
Walter Benjamin : "L’œuvre d’Art à l’époque de sa reproductibilité technique" in Ecrits français, NRF Gallimard, Bibliothèque des Idées, 1991
Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, Editions de Minuit, 1979
Daniel Charles, La fiction de la postmodernité selon l’esprit de la musique, PUF, 2001
Aloïs Rielg, Grammaire historique des arts plastiques, Klincksieck, 1978
Nelson Goodman, Langages de l’art, Ed. Jacqueline Chambon, 1990
Gérard Genette, L’œuvre de l’art, Seuil, 1994
Frederic Jameson, "La lecture sans l'interprétation" in Communications n°48, Le Seuil, 1988

Late Of The Pier, Fantasy Black Channel, Because, 2008
http://www.lateofthepier.com
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