The Pineapple Thief
Versions Of The Truth
Produit par Bruce Soord
1- Versions of the Truth / 2- Break It All / 3- Demons / 4- Driving Like Maniacs / 5- Leave Me Be / 6- Too Many Voices / 7- Our Mire / 8- Out of Line / 9- Stop Making Sense / 10- The Game
Lors de sa sortie en septembre 2020, Versions of the Truth (treizième album de The Pineapple Thief) ne nous avait clairement pas convaincu. Afin de garder un minimum d’objectivité, il est parfois préférable de laisser passer un peu de temps, de laisser s’estomper la déception et de revenir à l’album le moment venu ; en particulier lorsqu’on voue une réelle admiration pour le groupe en question. La musique a en effet cette faculté de susciter les passions, nous faisant parfois perdre en discernement. Nous avons encore pu le constater récemment avec les réactions autour du dernier Foo Fighters : quand on aime un groupe, difficile de rester dans la retenue. Loin de moi l’idée de comparer la notoriété de la bande à Dave Grohl avec celle du discret Bruce Soord qui porte à bout de bras son projet Pineapple Thief depuis plus de 20 ans. Ce dernier méritait néanmoins que l’on prenne un minimum de recul sur sa dernière réalisation, qui malgré notre scepticisme a été suivie d’un excellent accueil critique.
Il faut dire que ce groupe - régulièrement mis en avant sur Albumrock - a su se construire une conséquente discographie en tout point passionnante. Pour ma part, je dois avouer être particulièrement touché par certaines mélodies concoctées par Bruce Soord, qui à défaut d’être un grand chanteur ou encore un auteur de renom (les textes n’ont jamais été son point fort), s’avère être un extraordinaire compositeur parvenant à produire une musique rêveuse dotée d’une sensibilité à fleur de peau. Au fil des années, The Pineapple Thief a su évoluer, parfois de manière un peu forcée ou maladroite, mais toujours avec sincérité et avec un perfectionnisme forçant le respect. Le rock alternatif des débuts (à mi-chemin entre Radiohead et Porcupine Tree) laissant peu à peu place à un rock plus direct et teinté de progressif, tout en se permettant quelques excursions vers le metal. En rejoignant le label Kscope en 2008, le groupe parvient à sortir du quasi-anonymat dans lequel il était plongé. Mais c’est surtout avec l’album Your Wilderness (2016) que la formation britannique atteint enfin une notoriété amplement méritée. Cet album, marqué par l’arrivée de l’excellent batteur Gavin Harrison (connu pour avoir œuvré du côté de Porcupine Tree et de King Crimson), est incontestablement le sommet de la discographie du groupe et certainement leur meilleur album (ou du moins le plus complet). Après la semi-déception de Dissolution en 2018 (pourtant leur plus gros succès à ce jour), nous attendions avec impatience le retour du voleur d’ananas.
Venons-en à ce nouvel album ! Le groupe revient à une musique beaucoup plus légère et spontanée, dont le côté épuré rappelle par moment les expériences en solo de Bruce Soord. La mélancolie est au cœur des compositions de cet album traitant de la versatilité de l’information et de la manière dont celle-ci se voit détournée par le gouvernement et les réseaux sociaux. La production s’avère tout simplement excellente, un véritable travail d’orfèvre au niveau du mixage, conférant une portée optimale à chaque note, vibration de basse et claquement de cymbales. Il faut dire que l’arrivée de Gavin Harrison a eu un impact indéniable sur la musique du groupe ainsi que sur le mode d’écriture de Soord. La réunion des deux hommes s’est montrée des plus électriques par le passé : on se souvient encore des saisissants questions-réponses entre chant et batterie sur le titre "No Man’s Land" en 2016. Le batteur intervient désormais dans l’ensemble du processus d’écriture. Une des particularités de l’ex-membre de Porcupine Tree a toujours été sa capacité à apporter une certaine musicalité à son jeu de percussion et cela est particulièrement exploité dans le cadre de Versions of the Truth. Bien moins démonstratif qu’à l’accoutumée et parfois en retrait, le batteur met en avant son jeu de cymbales d’une précision chirurgicale, et se permet quelques nouveautés comme l’utilisation d’un xylophone sur certains titres, renforçant encore plus cette sensation de légèreté.
"Demons", un des premiers titres à avoir été dévoilé, confirme ce souhait d‘explorer de nouvelles sonorités, notamment avec un passage à inspiration orientale. Malheureusement, ce single qui nous avait laissé de marbre il y a six mois ne se distingue pas plus à l’issue de nouvelles écoutes : la faute à un côté impassible très marqué et un refrain beaucoup trop basique. Et pourtant, Bruce Soord n’a jamais eu besoin de verser dans la complexité pour se montrer captivant. Bien au contraire, c’est souvent avec de lentes progressions répétant inlassablement une ligne de texte que la musique de The Pineapple Thief a su se montrer la plus poignante et lyrique. On retrouve par moment cette sensibilité avec le titre "Driving Like Maniacs", qui, avec son ambiance intimiste nous fait passer un agréable moment, même si l’aspect très scolaire du morceau laisse un goût d’inachevé. Cette sensation se retrouve d’ailleurs à plusieurs moments de l’album. "Break it All" avait par exemple un beau potentiel progressif et mélodique : une guitare puissante qui se confronte à une batterie subtile, une montée en intensité accentuée par les samples de Steve Kitch (rappelant par moment certaines progressions à la Steven Wilson) mais qui au final ne décolle jamais réellement. Ce morceau est à l’image de l’album : le groupe nous montre de belles choses mais nous prend régulièrement à contre-pied au point d’entretenir une certaine frustration.
Ce qui pourrait être vu comme une envie de surprendre, se rapproche davantage d’une impression de perte d’inspiration. Le break présent sur "Leave Me Be" laisse entrevoir cette possibilité : une batterie en état de stase avancée, quelques sons de guitare balancés sans conviction et faisant échos dans le néant, et tout ça pendant de longues secondes. La façon de conclure les morceaux de manière abrupte renforce d’autant plus ce constat. Ainsi, les longues répétitions de "Too Many Voices" sont parcourues avec une relative indifférence avant de s’ennuyer ferme tout au long de "Out of Line".
Finalement, c’est en laissant respirer ses compositions et en s’éloignant d’un calibrage un peu trop prononcé que le groupe se montre le plus pertinent et ambitieux. "Our Mire" est à ce titre une belle réussite. A la fois rythmé et inspiré, le morceau de plus de sept minutes représente fidèlement les différentes facettes du groupe. Malgré quelques fulgurances et un morceau final ("The Game") de bonne facture, les jeux sont faits, et il sera difficile de sortir de cette expérience autrement que mitigé.
Que ce soit clair, Versions of the Truth n’est pas un mauvais album et démontre un réel savoir-faire d’un point de vue technique et créatif. Cependant, venant d’un groupe qui nous a habitué à un niveau d’exigence en tout point supérieur, cet album fait pâle figure. Son côté impassible et linéaire (et pas toujours très inspiré) peine en effet à convaincre et à susciter autre chose qu’une écoute occasionnelle, offrant tout de même un moment de quiétude appréciable. En attendant des jours meilleurs du côté de Bruce Soord et sa bande, nous vous proposerons, tout au long des mois à venir, de revenir sur les premiers albums de The Pineapple Thief. Ce sera ainsi l’occasion de mettre un coup de projecteur sur les rééditions (chez Kscope) de ces bijoux méconnus, sortis initialement sous le label Cyclops Records entre 1999 et 2007.