
Deportivo
Reptile
Produit par Deportivo
1- Reptile / 2- (L)égo / 3- Révolution Benco / 4- Fiasco / 5- J'aurais Dû T'en Parler / 6- Alloués / 7- Rubikscube / 8- Traînards / 9- Perdu ! / 10- Avide


Cette chronique avait pour but initial de ne pas tendre la main aux souvenirs passés. Eluder le "bon vieux temps" pour décloisonner Deportivo de la nostalgie et se concentrer sur le présent. Mais après tout, comme Jérôme Coudanne le chante lui-même sur "Rubikscube" : leur "jeunesse fut remarquable". Et puis ne soyons pas naïfs, il y a fort à parier que vous lisiez ces lignes après que les échos d'un "1000 Moi-Même" ou autre "La Salade" aient résonné en vous. Alors pourquoi se priver d'un coup d'œil dans le rétroviseur ?
Il était une fois l'insouciance et la spontanéité, deux blasons érigés sur la bannière du trio originaire du Bois-d'Arcy, qui voyait des milliers d'adolescents se rassembler derrière eux. Les cancres devenaient des idoles distillant leurs slogans glandeurs : "oh carrément déclassé" ("Paratonnerre") ; "de m'accorder le droit de dire aller vous faire foutre" ("Parmi eux"). La désinvolture toute crue, recrachée en live et entrecoupée de quelques interventions culte de son chanteur : "ne téléchargez pas, allez voler dans les magasins" ou encore "s'accorder, c'est pour les bourgeois". La négligence romantique s'érodait avec le temps et ne faisait pas le poids face au brutal désintérêt de l'industrie musicale et des médias envers le rock. On croyait Deportivo enterré après leur quatrième album Domino. Mais en 2022, l'idée d'un come-back se matérialise au travers d'une date à La Cigale de Paris. L'engouement est là, alors Deportivo paye sa tournée, puis une autre. Le groupe partage également un nouveau titre, le premier en neuf ans, avec "Révolution Benco". Le public, fait majoritairement d'ex-adolescents, répond présent aux quatre coins de la France. Le groupe, qui se présente désormais en quintet, régale son auditorat par son plaisir communicatif d'être là : comme si l'aventure ne s'était jamais arrêtée. Jérôme Coudanne et les siens osent alors la campagne Ulule pour financer un nouvel album. Les compteurs explosent et nous voilà le 27 février 2025 avec dans les oreilles la cinquième production des Franciliens : Reptile.
Ce nouvel album qui rejoue certaines des caractéristiques de ses devanciers. La première d'entre elles se trouve dans la plume de son auteur, Jérôme Coudanne, qui reprend le lexique inhérent à sa discographie : de "la bohême" à "l'été" en passant par "les collines". Des textes pareils à un festin lyrique où s'entremêlent poésie "le doute est un présage, un passage obligé vers la félicité" ("Avide") ; métaphores malicieuses "tous plus ou moins agars aux arrivées, aux départs" ("Traînards") ; et propos explicites "ces connards confondaient les filles avec des chaises" ("J'aurais Dû T'en Parler").
Musicalement, le groupe nous repartage certaines émulations en échos au propos de leurs premiers albums avec cette furia organique, acerbe et crasseuse ("Fiasco"). Un registre dont on se dit que l'explosion sera encore plus intense en live à l'image du titre d'ouverture "Reptile". C'est le principal défaut de cet album et un bémol que l'on a déjà croisé chez Deportivo. Il y a comme une impression d'incendie contenu. Un feu qui ne se propage intensément qu'en concert. Une brutalité féroce mise sous cloche en studio. C'était déjà le cas avec "Révolution Benco", inclus sur ce disque, et qui entrait dans une autre sphère au gré de sa célérité et sa lourdeur décuplées dans sa configuration live. Reste quelques raccourcis empruntés comme sur "Alloués" très attendu. Mais la qualité principale de Reptile tient dans l'évolution écoutée. La musique a grandi avec ses auteurs qui -heureusement- ne se sont pas mis en tête de refaire un premier album. Vous savez ce truc que la presse et artistes appellent le "retour aux sources". Les Franciliens s’accomodent du poids des années et cela s'entend musicalement : la désinvolture juvénile a laissé place à une liberté d'expression sentimentale, presque impudique, faite d'une mélancolie apaisante sur "J'aurais Dû T'en Parler" ; quand ce n'est pas la candeur qui est assumée avec "(L)égo". Des choix musicaux affichés, sincères, sans considération pour une quelconque satisfaction populaire. Le groupe part dans des orientations sonores inattendues, mais impeccablement jouées à l'image du piano-voix "Traînards". La piste de clôture "Avide", avec son allure de Brassens revisité au scalpel, est une vraie merveille et renforce ce sentiment de plénitude dessiné par ses auteurs.
Le présent a rattrapé Deportivo. Son nouvel album rejette définitivement l'idée d'un retour opportuniste pour attester de la pertinence du quintet sur la scène rock française actuelle. Reptile affirme la symbiose entre la musique et la personnalité de ses auteurs. Les Franciliens croisent le nécessaire rappel de leur identité passé avec une évolution sonore et sentimentale proclamée. La meilleure piste de l'album, "Rubikscube", construite en deux temps, synthétise impeccablement le contenu de cet album.
Oui Deportivo, "ta jeunesse fut remarquable" mais ton présent a sacrément de la gueule.
A écouter : "Rubikscube" ; "Avide" ; "Fiasco".