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Pérégrinations valenciennes au sein du rock espagnol


François, le 18/10/2021


Si vous avez la chance de passer par Valence en Espagne, sachez que la cité du Levant vous offrira nombre de curiosités historiques retraçant les multiples étapes de la formation de l’Espagne et de la ville. Mais à côtés des merveilles antiques, médiévales, modernes et contemporaines, le mélomane gyrovague saura également se rendre en pèlerinage chez le plus vieux disquaire d’Espagne, Disco Oldies. Tenue depuis 1978 par deux couples de passionnés (ils comptent partir à la retraite et cherchent actuellement des repreneurs), la boutique se trouve à quelques rues de la sublime place de la mairie (Plaça de l’Ayuntamient en valencien), en direction des Jardins de l’Antiguo Hospital. Impossible de manquer le corridor de vitrines qui jonche la Carrer de la Mare de Déu de Gràcia, où sont exposés vinyles et cd. 


Les genres musicaux proposés sont variés mais le rock domine largement, et ce dans toutes ses déclinaisons. Il y a bien sûr un tropisme pour les années 1960 et 1970, en témoigne la large part faite au marché de l’occasion, ainsi que la bonne connaissance du vocabulaire idoine et des côtes (Mint, NearMint …). 


Ce qui fait pourtant la spécificité de Disco Oldies, c’est l’intérêt porté par les propriétaires à la scène espagnole, à travers ses groupes historiques ou plus anciens. On notera même un rayon entièrement consacré aux musiciens de Valence ! Ainsi, en fouillant dans les bacs de 33 tours, ne soyez pas étonné de tomber sur un album de Neuronium, fameux groupe barcelonais de musique électronique depuis la fin des années 1970, ou de voire trôner parmi les cds une réédition de Triana, formation andalouse qui avait su mêler rock progressif et flamenco. 


A la recherche de perles des années 1970 et particulièrement de groupes espagnols voire valenciens (en format cd), je m’adresse immédiatement à la patronne qui me prépare avec enthousiasme une sélection adaptée à ma demande. L’accueil est très chaleureux, si bien qu’elle me propose d’écouter les albums depuis la chaine hi-fi derrière le comptoir caisse. C’était donc parti pour une bonne heure de conversation à propos du rock espagnol dans les années 1970, genre musical qui servit de fond sonore durant l’ensemble de cet entretien. 


Me voici donc avec quatre albums dont il me tardait de vous parler, ô lecteurs d’Albumrock. Loin de former un panorama exhaustif ou représentatif de la scène espagnole de l’époque, ils peuvent servir de porte d’entrée ou de simple découverte satisfaisant une curiosité mélomane. 

1- Charly Buffalo / Eduardo Bort – Charly Buffalo (2012)


Dans les années 1970, la scène rock espagnole et plus singulièrement, la scène progressive, sont dominées par la Catalogne et l’Andalousie, auxquelles on peut ajouter Madrid, capitale du pays. Troisième ville en termes de population, Valence n’est pas en reste mais demeure un peu en retrait. Du côté des musiques progressives, on notera tout de même les groupes Tarántula (avec Tarántula en 1976 et Tarántula 2 en 1978) et Cotó-en-Pél (avec Holocaust en 1978), ces derniers dans un genre très sombre, proche de King Crimson. Plus éclectique, Eduardo Bort avait marqué la ville avec son premier album solo en 1975, entre blues-rock, rock psychédélique et rock progressif. Preuve de son influence, sa mort en février 2020 avait provoqué une vague nationale d’hommages. 


Figure du rock espagnol, Eduardo Bort a multiplié les collaborations avec les artistes à travers le pays, comme ce fut le cas avec Charly Buffalo, ancien membre du groupe Buffalo et également valencien. A l’occasion de la mort de ce dernier en 2011, Bort décida de publier des enregistrements issus de session de 1980 : sur ceux-ci, on peut entendre des compositions d’Eduardo Bort sur lesquelles il interprète les parties des guitares tandis qu’elles sont chantées par Charly Buffalo. 


Loin de s’apparenter à la scène progressive, l’album offre plutôt un aperçu des influences américaine et britannique en matière esthétique malgré l’existence d’une dictature conservatrice jusqu’au milieu des années 1970. Et la prise en main est assez impressionnante. Ainsi, le slow en forme de blues-rock "Mucha Cara Baby" témoigne d’une maîtrise totale des codes du genre, et bénéficie de l’interprétation magistrale de Charly Buffalo (en espagnol) avec sa voix puissante et rauque. 


Le rock’n’roll plus saturé ("Movida General") ou très survolté (le très bon "En Cada Cara", avec des ponts typés Deep Purple) est ainsi une dominante de l’opus ; l’énergie déployée par le jeu de guitare, le piano boogie et le chant habité débrident l’interprétation de ces titres. 


On circule ainsi du chaloupé et jazzy (le solo de claviers) "Tanto Como Dure" à un hommage plus poignant à John Lennon ("A Lennon") qui cite "Imagine" (pour le chorus final), tandis que d’autres titres peuvent rappeler la fin des années 1960 (on pense aux claviers et au son de guitare de "Una Mujer"). 


Finalement, la seule pièce qui peut évoquer les premiers travaux de Bort et son orientation un peu progressive (quoiqu’ici surtout psychédélique) est "Luz de Luna", plus de neuf minutes assez planantes et très groovy dans leur répétitivité. On sent dans le chant comme dans le jeu de guitare le substrat très 1960’s des musiciens – et on regrettera un enregistrement un tout petit moins bon par rapport au reste de l’album. 


La collaboration entre deux des plus fameux musiciens du rock valencien méritait d’être enfin publiée pour offrir au public un témoignage du savoir-faire hispanique en la matière. Certes, la musique n’y est pas des plus originales, mais l’interprétation, notamment au chant, est réellement honorable. Bref, qui veut découvrir le rock classique dans sa version espagnole sera comblé par ce voyage dans le temps auprès des grandes figures l’ayant porté à Valence.

2- Pau Riba – Dioptria I & II (1969/1970 – édition 2006)


Aux côtés de l’Andalousie, l’espace catalan fut la région la plus productive en termes de rock durant les années 1970. En effet, des groupes naquirent dans tous les sentiers tracés par les musiques populaires, du rock classique au folk-rock en passant par le rock progressif (Máquina !), jazz-rock (Fusioon) ou électronique (Neuronium). Les caractéristiques régionales permirent également l’apparition d’un rock purement catalan, c’est-à-dire chanté non pas en espagnol mais dans cette langue régionale.


La figure la plus emblématique de la contre-culture musicale catalane, issue du contexte européen de 1968, demeure Pau Riba. Alors membre du Grup de Folk, il défend une recette mêlant la chanson populaire catalane (chantée en catalan) et les nouveautés apportées par le folk-rock états-unien (notamment Dylan).


C’est de cette dynamique hippie d’outre-Atlantique qu’il s’inspire lorsqu’il inaugure sa carrière solo en 1969 avec le premier volume de Dioptria, aux côtés du groupe de jazz-rock barcelonais OM. La pochette assez inquiétante (une illustration issue d’un tableau d’Otto Runge, Der Morgen) ainsi que le titre assez mystérieux invitent à la méditation musicale.


Riche d’un parcours estudiantin et surtout d’un héritage intellectuel substantiel (il est petit-fils de poètes et poétesses ainsi que d’un député d’avant la Guerre Civile), il porte des textes poétiques engagés dans les espoirs de la jeunesse hippie : Dioptria - ou voir le monde et la réalité différemment, à travers un autre prisme, peut-être comme un enfant pur telle qu’il est figuré sur la pochette. Un message qui n'était pas assez politique ou peut-être trop psychédélique pour avoir des problèmes avec la censure franquiste. Tant mieux pour lui.


De l’esthétique hippie et américaine, Pau Riba reprend les codes musicaux : les parties de guitare de "Kithou" sonnent très ricaines avec une petite inspiration puisée chez chez les Byrds, comme la plus douce "Rosa D’Abril" qui use de claviers et de guitare ou "Vostè (tu, tu mateixa)" qui est dans la même veine. Il mâtine allégrement ses compositions d’une patine folk, l’associant aux sonorités étatsuniennes ("Helena, desenganya’t" avec sa flûte). Cette orientation folk s’entend davantage sur la très jolie "Noia de Porcellana", chansonnette d’une douceur porcelaine qui pourrait évoquer Le Orme, plus à l’est de la Méditerranée, là encore relevée par une flûte plus présente.


Pau Riba n’hésite pas à s’engager dans des divagations plus aventureuses comme "Ars Erotica", qui use de bruits et de variations jazzy assez légères. On retrouve une thématique assez en phase avec les revendications libertaires de l’époque, mais on reprochera peut-être un manque de justesse au niveau des chœurs. Plus solennel, le requiem "Ja s’ha mort la besàvia" laisse voir de légères touches plus progressives (à ne pas trop exagérer non plus).


Diopria demeure un album historique pour le rock et la chanson catalane, mais sa principale originalité est l’usage de la langue régionale et la poésie des textes, puisque musicalement, les inspirations anglo-saxonnes (au sens large, mais surtout américaines) sont très fortes.


Ce n’est qu’après ce premier volume très ancré dans le registre folk-rock d’inspiration américaine que Pau Riba se dirige vers des contrées qui se veulent plus émancipées (sans être à proprement parler progressives) sur Dioptria /2 en 1971, second volet de son œuvre solitaire. Séparé du groupe OM, il se fait accompagner par de nombreux musiciens catalans selon les besoins (Sisa, Toti Soler issu d’OM …) mais décide de dominer davantage l’ensemble. Ainsi, le côté chanteur folk à texte est encore plus affirmé que sur le précédent opus. 


La partie centrale de l’album est représentative de ce tournant. On y perçoit une ambition un peu plus importante, assez symptomatique de l’esprit du temps (les débuts de l’ère progressive déjà annoncés par le psychédélisme), à travers l’écriture de trois symphonies assez longues (entre sept et dix minutes). Néanmoins, musicalement parlant, il s’agit bien de trois pièces qui se concentrent sur le duo guitare/chant au profit des paroles. La première, "Simfonia Núm. 1 (D'Un Matí, D'Una Nit De Nadal)", est une chanson très marquée par la musique folk et traditionnelle, la seconde, "Simfonia N.º 2 (D'Uns Déus, D'Uns Homes)" retrouve les style du premier album avec une guitare électrique et des claviers analogiques. Enfin, la "Simfonia. 3 (D'Un Temps, D'Uns Botons)", peut parfois expérimenter - bruits étranges à la voix – et possède des lignes de guitare acoustique assez séduisantes. Cette dernière partie, ode à la nature et à la simplicité pastorale, répond à la deuxième symphonie beaucoup plus politique et internationaliste ou à la première assez mystérieuse dans son récit sur la nuit et le matin de Noel à Barcelone … Rien de véritablement progressif donc, mais des chansons folk-rock qui repoussent certaines limites (notamment en termes de durée et en importance du récit). 


Du reste, "Canco 7a. En Colors" garde son côté chanson mais use de percussions plus variées, de même que "L’Home Estàtic" insiste sur les paroles avec une guitare dominante (la touche Bob Dylan est substantielle ici) au sein d’un titre tout en métaphysique. On notera que sur ce morceau, Pau Riba cherche à donner une touche hispanisante dans ses divagations guitaristiques. Enfin, "Taxista" s’avère être une conclusion très américaine sur une sorte de country-blues au piano chaloupé. 


En deux albums, Pau Riba aura marqué la contre-culture catalane, renouvelé la chanson à texte dans cette langue particulière, et acclimaté la culture et la musique hippie au sol barcelonais. Devenu un artiste incontournable de la scène locale, il est un pont et un moteur pour favoriser le dynamisme de la région en matière de musique populaire. Les deux parties de Dioptria sont rassemblées depuis la fin des années 1970 en une seule oeuvre, témoignage esthétique d'une époque révolue. 

3- Tapiman – Tapiman (1972)


Il semble que la Catalogne fut peut-être, tout au long des années 1970 et 1980, la terre d’élection du rock au-delà des Pyrénées. Aux côtés des artistes inspirés par la vague hippie comme Pau Riba, renouvelant la chanson à texte chantée en catalan, d’autres groupes se lancèrent dans le rock progressif voire électronique, quand enfin, certains célébrèrent un rock plus musclé. 


Parmi eux, Tapiman fait partie de la première génération d’hard-rockeurs catalans, et ce power-trio formé par Pepe Fernández (chant et basse), Max Sunyer (guitare) et "Tapi" (batterie) sait à la fois se montrer habile dans son interprétation des canons anglo-saxons et s’affirmer inventif dans sa façon d’investir le champ. 


Certes, l’ouverture sur "Wrong World"  est presque du Cream dans le texte, bien interprété par le chant rauque et les divagations de guitare. Mais Tapiman sait être innovant : les contrastes entre moments ardus et calmes ainsi que la façon de chanter font de "Don’t Ask Why" une préfiguration du Budgie de 1973. Du reste, on tapera facilement du pied sur de titres aussi calibrés que prenants : le bluesy "No Control", et surtout le long "Driving Shadow" et son jam guitare/batterie (de plus, quelle agressivité au chant digne de BTO !). 


Il y a un goût pour la multiplication des notes, avec des lignes mélodiques en guise de riff : "No Change" est sur ce registre, de même que le chaloupé "Grosseberry Park", entre jazz et soul, possède de belles lignes électriques. Même caractéristique pour le répétitif "Practice", dans un registre néanmoins beaucoup plus décalé. 


La guitare est donc particulièrement mise en avant par Tapiman, au point de lui réserver le seule et unique place au-devant de la scène sur un instrumental comme  "Paris", sur fond de claviers très lancinant, ou sur le très réussi et plus musclé "Moonbeam" à la rythmique également un peu jazzy par moment. De là à parler de progressivité, il n’y a qu’un pas assez difficile à franchir, mais on peut se référer à quelques excentricités comme la seconde partie assez expérimentale de "Driving Shadow". 


La tête de mort en guise de pochette symbolise bien la teneur de l’album : symbole parmi d’autres du hard-rock transgressif, la couleur en subvertit le message et annonce les quelques ambivalences du groupe (surtout les touches plus subtiles qu’il apporte au genre). Les amateurs du genre seront donc convaincus par un opus somme toute bien marqué par l’esthétique propre au style et par son contexte, mais un peu exotique quant à son origine géographique. 

4- Smash – We Come to Smash This Time (1971)


Si l’Espagne figure au second rang parmi les territoires du rock, elle a pourtant su offrir une participation originale en associant à la rugosité du rock les effluves du flamenco, dans un registre souvent progressif - mais pas uniquement. L’Andalousie a donc été une terre bien particulière dans l’histoire du rock, si bien qu’on parle parfois de flamenco-rock ou de rock andalou. Des noms fameux émergèrent de ce sol aride, de Triana à Mezquita, mais si l’on cherche des pionniers dans le monde du rock, il faut fouiller du côté de Smash. 


Groupe de Séville, Smash se compose de Julio Matito (chant, basse), Antonio Rodriguez (batterie), Henrik Michael (Guitare, violon) et Gualberto García Pérez (guitare, sitar …). Réunis ensemble depuis la fin des années 1960, ils publient en 1971 un second album, We Come to Smash This Time, successeur de Glorieta de Los Lotos (1970). 


Par rapport au dynamisme du rock andalou qui se situe dans la seconde moitié des années 1970 (après la chute de la dictature), Smash s’enfonce dans le temps en proposant quelque chose comme des racines, mais celles-ci n’évoquent que peu l’implantation sévillane. On aurait du mal à chercher du côté du final en guitare acoustique ("Goodbye" est plus proche du picking) et le passé d’Al-Andalus n’apparait que dans les inspirations arabisantes sur le chant de  "Behind the Stars" (surtout mâtinées de sonorités indiennes avec le sitar, pour ce qui est de l’instrumentation). 


Cela s’explique par son rôle d’avant-garde du genre qui induit une identité en gestation. Ainsi, on entend encore massivement l’influence anglo-saxonne, du chant (principalement en anglais) à la musique. Le swing de "Well You Know" rappelle les groupes anglais de la décennie précédente, ceux qui étaient inspirés par le rock US (les Rolling Stones en tête), de même que "Don’t Be Sad Baby", tandis que le folk "My Funny Girl" est tout à fait convenu. Certains passages plus progressifs sont d’ailleurs également marqués par les années 1960 britanniques, quand on pense à "First Movement", avec ses sons de clavecin, qui lorgne du côté des Moody Blues. Le plus long titre, "Fail Safe", étend sur dix minutes un hard-rock un peu planant (les effluves psychédéliques sont encore bien présentes) avec un chant halluciné blindé d’effets de distorsion. 


Smash donne à entendre, pour l’Espagne, ce qu’on peut percevoir dans de nombreux espaces du continent européen entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 : un groupe de rock underground absolument inspiré par le rock anglo-saxon, sans réelle identité locale. La suite de la décennie, dans le sillon du rock progressif, permettra de développer une scène locale riche de ses particularismes. 

En savoir plus sur Smash, Tapiman, Pau Riba, Eduardo Bort,
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