↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.

Joy Division : le point culminant de la vague froide


Collectif, le 12/10/2017

24 Hour Party People


Réalisateur : Michael Winterbottom
Avec :
Steve Coogan, Paddy Considine, Danny Cunningham, Sean Harris, Shirley Henderson, Lennie James, Andy Serkis, John Simm
Durée : 119 minutes
Sorti le : 5 Avril 2002
Distribution : Pathé / United Artists


“Ce film ne parle pas de moi. Je ne suis qu’un acteur mineur autour duquel tourne l’intrigue. Ce film parle de musique et de musiciens, de Ian Curtis et de Shaun Ryder”. Tony Wilson


Affirmation qui n’est pas tout à fait vraie tant le personnage de Tony Wilson monopolise la caméra dans ce vrai film - faux documentaire 24 Hour Party People signé Michael Winterbottom, à qui l’on doit également le rock n’ roll et sexuellement (très) explicite 9 Songs. Un titre qui puise sa source dans l’un des hits des Happy Mondays (“24 Hour Party People” donc, issu de leur premier LP Squirrel and G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out)) et qui narre, par l’intermédiaire du truculent boss de Factory Records, l’ascension de la scène rock de Manchester. En commençant par la signature de Warsaw - futurs Joy Division - en 1978 et en s’achevant sur le désastre financier que fut Yes Please!, quatrième album des Mondays en 1992 qui a précipité la faillite du label mancunien.


Le parti-pris du film est de centrer l’ensemble des points de vue sur le personnage de Tony Wilson incarné par l’un des acteurs fétiches de Winterbottom, Steve Coogan (remarquable de nonchalance et de folie intériorisée), ce journaliste télé œuvrant pour Granada qui, irrité que les médias anglais délaissent la vague punk portée par les Clash et les Sex Pistols, décide de fonder son propre label de musique tout en se lançant dans le management de groupes de rock. Wilson est partout et change de rôle en permanence : tantôt personnage principal d’une scène, tantôt voix off, tantôt s’adressant directement au spectateur face caméra. Impossible d’échapper à la personnalité visionnaire, facétieuse et sérieusement azimutée de cet olibrius qui, sous des devants de neuneu farfelu, cache un sens aigu des affaires et un nez particulièrement affûté pour repérer les futurs talents. Le film démarre grosso modo lors du fameux concert des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall de Manchester en 1976 auquel n’assistent que quarante-deux personnes, mais pas des moindres : Wilson lui-même avec son épouse, le producteur Martin Hannett (interprété par le génialement odieux Andy Serkis, le Gollum du Seigneur des Anneaux), les musiciens du groupe Warsaw - Bernard Sumner, Peter Hook et Stephen Morris, Ian Curtis n’étant pas encore embauché à ce stade - ainsi que leur futur manager Rob Gretton, l’acteur de séries TV black Alan Erasmus, le designer Peter Saville… ils sont tous là et, sans se connaître, vont chacun de leur côté sentir que le vent du changement est en train de souffler. Quelques semaines plus tard, les bases du label Factory Records sont posées entre Wilson, Hannett, Gretton et Erasmus. Les premiers groupes ne tardent pas à signer : A Certain Ratio, The Durutti Column (tous deux déjà managés par Wilson), Cabaret Voltaire et Joy Division. Un an plus tard, Ian Curtis et ses sbires refaçonnent le visage du rock, et la légende peut se mettre en marche.


La première partie du film est essentiellement consacrée à la Division de la Joie et à son énigmatique chanteur Ian Curtis qui, ici, épouse une image volontier plus nerveuse et arrogante que celle que l’on rencontre dans le Control de Corbjin. On saluera au passage la superbe performance d’acteur de Sean Harris qui campe un Curtis épatant de présence physique, ce jusqu’à son tragique suicide alors que Joy Division allait s’envoler pour sa première tournée américaine. Mais avant cela, on suit le groupe tout au long de ses débuts, ces quatre jeunes gens calmes et propres sur eux qui parviennent à retourner une salle en un tournemain grâce à leurs prestations fiévreuses et les poses scéniques autistiques dérangeantes de Curtis. On suit l’enregistrement de leur premier album avec l’abject Martin Hannett que l’on adore immédiatement détester dans la façon qu’il a de mépriser les instrumentistes, de les insulter et de les traiter comme des chiens. À signaler que des trois partenaires de Curtis, si Stephen Morris est à peine visible à la caméra, Bernard Sumner se montre un peu plus présent (il a droit à quelques répliques) tandis que Peter Hook se détache assez nettement, grâce soit rendue au grand (par la taille) Ralf Little qui, en quelques plans épars, parvient sans souci à nous exposer la personnalité de ce bassiste peu loquace mais irascible et j’en foutre au possible ainsi que son jeu novateur de basse dans les aigus. Puis on accompagne Curtis jusqu’au fond du gouffre en assistant à l’une de ses célèbres crises d’épilepsie et en vivant une avant-dernière scène dérangeante dans laquelle le chanteur sonne au domicile de Wilson en souhaitant se confier sur son mal-être et se fait ouvertement draguer par la femme de ce dernier, ce à peine 12h avant de se pendre devant sa télévision. Il y a enfin les funérailles du grand ténébreux, sobres, éprouvantes pour les personnages comme pour le spectateur. Un drame qui scelle le destin de Factory : quelques jours plus tard, l’épouse de Tony Wilson le quitte et l’homme s’engage dans le projet fou de monter un dance-club dans une banlieue désœuvrée de Manchester. L’Haçienda est née et deviendra un lieu culte tout autant qu’un gouffre financier. Comme le signale Wilson en voix off : “Les gens qui viennent danser consomment de l’ecsta mais ne boivent pas une goutte d’alcool. À partir du moment où on n’est pas capable de fournir nous-mêmes la drogue, comment faire rentrer l’argent ? C'était mission impossible”.


L’un des grands intérêts de 24 Hour Party People est en effet la reconstitution minutieuse de cet édifice emblématique des nuits mancuniennes dans les années 80 et 90 et qui a depuis été rasé. On peut cheminer avec ses propriétaires dans l’antre de la bête, explorer ses murs industriels chics en plein jour, assister à de brûlantes soirées mêlant rock, acid house, ecstasy et foule en délire. Une montée en puissance qui suit en parallèle la trajectoire fulgurante des Happy Mondays, du fantasque Shaun Ryder et du débonnaire Chris Coghill alias Bez, le grand échalas qui se trémousse au son du rock remuant et azimuté du quatuor. Un groupe doué mais difficilement gérable qui, entre orgies de sexe et de drogue, finit par s’autodétruire dans un cocktail d’héroïne et de méthadone lors d’un enregistrement mouvementé à La Barbade, entraînant avec lui le label et l’Haçienda - déjà fragilisée par des finances en berne - dans sa chute. Soyons honnête : tout ceci est tout de même grandement survolé, et nul doute qu’un tel sujet mériterait une série TV à la manière d’un Vinyle de Martin Scorcese. Mais malgré de nombreux raccourcis - la carrière de New Order est à peine effleurée et ses quatre membres font à peine plus que de la figuration après le décès de Curtis, un comble pour ce groupe pourtant intégralement partie-prenante dans les déboires pécuniaires de l’Haçienda -, on goûte avec plaisir à cette success story qui se termine en gigantesque fiasco. Si le film se montre parfois décousu (échelle temporelle très difficile à suivre), c’est aussi pour mieux nous perdre dans cet univers gorgé de fric, de violence, de sexe et surtout de musique, porté par la personnalité fantasque de Tony Wilson, ses traits d’esprits pseudo-philosophiques incessants, ses sorties sarcastico-caustiques et sa vision naïve, hédoniste et optimiste de l’existence. Mention spéciale au dénouement de Yes Please! avec un Ryder complètement accro à la dope qui arrive à extorquer 50 livres à ses patrons en menaçant de ne pas leur remettre les DAT de l’album... sans même leur dire qu’il n’a pas écrit ni évidemment enregistré la moindre partie vocale, le tout en les menaçant d’un flingue. C’est tellement dingue que ça en devient tout de suite crédible.


C’est ça, en fait : 24 Hour Party People est un film dingue. Un film où on a l’impression que tout peut arriver, que tout va arriver. Un film bourré de références, d’auto-clins d’oeil, de running gags et de private jokes, comme cette scène où la femme de Wilson se fait sauter dans les toilettes d’un club par le chanteur des Buzzcocks Howard Devoto tandis que le vrai Devoto, effectuant un cameo dans le rôle de l’agent d’entretien qui s’occupe des WC en question, lance au spectateur face à la caméra un “Je ne me souviens absolument pas de ça” désabusé et hilarant. Où comme lorsque Tony Wilson, s’étant entretenu avec Dieu tout à la fin du film (!), répond à ses partenaires désabusés que “Dieu lui ressemble”. Un film où on ne peut distinguer le réel de la légende, mais c’est ça aussi qui fait le charme du rock n’ roll. On n'omettra bien sûr pas de souligner l’intérêt de la BO indie 80’s qui baigne l’ensemble, une référence dans le domaine. Bref, 24 Hour Party People vaut le coup d'être découvert : à défaut d'une vérité totalement crédible, on a droit à un vrai bon moment de cinéma.


Nicolas

En savoir plus sur Joy Division, Joy Division,
Commentaires
Soyez le premier à réagir à cette publication !