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Joy Division : le point culminant de la vague froide


Collectif, le 12/10/2017

Closer

 


18 juillet 1980


"Le Passé fait désormais partie du Présent et le Futur est hors d'atteinte"


En  se remettant au travail après Unknown Pleasures, les quatre Mancuniens de Joy Division étaient loin de se douter de ce qui les attendait. S'il est difficile de concevoir un bon album, il l'est encore moins de créer un album de Légende. Une poésie à fleur de peau, une orchestration presque religieuse voire tribale, une sauvagerie primitive mêlée de désespoir et surtout un leader charismatique au bord du gouffre. En conservant Martin Hanett à la production et Factory à la distribution on pourrait s'attendre à une continuité du déjà très bon premier LP.  Et pourtant le buffet froid de 45 minutes sobrement intitulé Closer transforme l'essai et parvient à prendre l'auditeur aux tripes et à remettre en question l'idée même d'expression artistique.


 Tant sur le fond que sur la forme le résultat est un chef-d’œuvre indémodable, un véritable Portrait de Dorian Gray. Nous sommes en 1980 et le dernier né de la Division de la Joie s'apprête à s'inscrire dans la légende du Rock en en changeant les codes et en créant une scène qui aura un impact décisif sur les Eighties : la Cold Wave.


Pour comprendre comment Closer a été à ce point nécessaire au post-punk et aux différents mouvements qu'il a engendré, il s'agit de se replonger dans le contexte de l'époque. Le Punk est mort. La Factory emmenée par Tony Wilson gagne en popularité et le nom de leur poulain est sur toutes les lèvres du milieu alternatif. Ce dernier est sur le point de connaitre une ascension vertigineuse  bien que parfois étouffante. Le groupe avait en grande partie participé à créer un style de jeu qui deviendra fer de lance du mouvement post-punk : Basse aigue, rythme monocorde aux variations hyperactives et voix sépulcrale.


 Le public est alors à des années lumières de s'imaginer que la popularité instantanée d'Ian Curtis a  des conséquences terribles tant sur sa santé que sur sa vie de couple. Crises d'épilepsie en plein concert, restrictions dues à un suivi médical lourd, cœur partagé entre sa femme Deborah et la jeune chroniqueuse belge Annick Honoré fraichement rencontrée. Curtis est déchiré entre le bien et le mal, ne sait s’il doit s'accrocher ou lâcher prise.  Le questionnement de l'Existence et de son but, la dépression, l'isolement guideront sa plume. Des thèmes bouleversant qui sont au cœur de Closer et surtout de ses textes où l'on peut lire entre les lignes et comprendre toute la noirceur  du background de la pré-production.


Cela  se retranscrit en plusieurs points notamment la voix de Curtis qui se mue peu à peu en crooner vampirique à la fois charmant et effrayant (Sinatra fut une de ses influences en terme d’intonation).


Une voix caverneuse sublimée par une instrumentalisation glaciale où se côtoient les sonorités graves et stridentes du  fait du traditionnel combo basse-guitare-batterie mais aussi et surtout du synthétiseur et de son utilisation détournée qui inspirera de nombreux groupes suite à cela (la scène Synth-Pop anglaise en tête).


Bernard Sumner (ou plutôt Albrecht) laisse donc sa fidèle guitare de côté pour s'adonner aux joies de l'orgue ARP et apporter ainsi une texture plus froide aux morceaux dont se dégage une intensité à fleur de peau. Bien au delà des notes somme toute très simplistes mais bougrement efficaces à la manière du culte "Love Will Tar Us Apart" paru plus tôt, quelques notes d'un aigu extrême se disséminent ça et là comme pour casser avec la gravité de l'ensemble.


Un des exemples les plus édifiants est "Isolation" aux notes de claviers emmenant le morceau et servant parfois de refrain de fortune. Le groupe réitère ces expérimentations synthétiques  avec "Decades" et ses gammes religieuses, comme jouées sur une orgue lors de funérailles. Le mal être à son firmament et une ritournelle qui, si elle est accrocheuse, dévore l'âme et laisse béat par sa montée en puissance.


Vers la fin de l'album, c'est également le déchirant "The Eternal" et son piano mis en avant par une basse discrète et une batterie lente et profonde auxquelles s'ajoutent bruitages d'ambiance comme pour peaufiner l'atmosphère du morceau. Par la suite justement "Atmosphere" dernière pierre officielle de l'édifice Joy Division, transformera l’essai en faisant complètement disparaitre la guitare.


Musicalement parlant, l'album est parfait. De la tribalité de « Atrocity Exhibition » en ouverture jusqu’à l’ambiance morbide de « The Eternal », le disque suit une évolution logique dans sa tracklist, comme pour raconter une histoire. Mais ce qui l'élève au rang de culte est surtout le propos sous-jacent inscrit par la plume que l'on savait déjà torturée d'Ian Curtis. Ainsi, si l'on s'aventure à lire entre les lignes, on y entrevoit un fragment de ce que pouvait traverser le chanteur lors du processus de composition et même, parfois, l'on imagine l'écriture du disque comme une lettre d'Adieu, comme si Curtis prévoyait son destin.


Il suffit, par exemple, de se focaliser sur les lyrics d'"Heart & Soul", chanson la plus parlante si l'on se fie à cette théorie, et notamment de l'extrait : "You take my place in the showdown/I'll observe with a pitiful eye/I'll humbly ask for forgiveness/ A request well beyond You and I" ("Vous prenez ma place ici bas/J'observerai d'un œil empli de pitié/Je demanderai humblement pardon/Une requête entre vous et moi"). L'on peut y voir deux interprétations étroitement liées. D'une part, la fin du groupe et le désir d'Ian de le quitter. Désir qu'il manifestait déjà à l'époque en refusant par moments de se produire sur scène. En revanche, en prenant en compte ce qu'il adviendra de Curtis, il est possible de lire cela comme un adieu, une annonce de ses intentions voire de la formation future de New Order qu'il regarderait d'en haut, des cieux. Pour confirmer cette seconde hypothèse, la suite des lyrics est encore plus parlante : "Existence, well, what does it matters/I exist on the best terms I can/The Past in now part of my Future/The Présent is well out of hand (...) Heart and Soul/One Will Burn" ("L'Existence, que m'importe peu/J'existe du mieux que je peux/Le Passé fait à présent partie de mon Futur/Le Présent est hors de portée").


Comment ne pas deviner aussi l'énonciation de ses déboires amoureux sur le morceau suivant "Twenty-Four Hours»: "So this is Permanence/Love-shattered pride/What once was Innocence/Turned on its Side/A cloud gangs over me/Marks every move/Deep in the memory/Of what once was Love" ("C'est donc permanent/La fierté d'un amour brisé/Ce qui jadis était l'innocence/A tourné les talons/Un nuage flotte au dessus de moi/Me suit à la trace/Perdu dans le souvenir/De ce qu'était jadis l'Amour") ferait ainsi référence à son mariage précipité à seulement (19 ans) avec Deborah et à la fille qu'ils eurent ensuite. Curtis l'aurait donc vécu comme un regret qui l'aurait hanté jusqu'à sa mort en rencontrant Annick Honoré avec qui il vécut une romance cachée et dévastatrice pour son moral. Le choix entre le bien et le mal, les responsabilités ou l'oisiveté, le rôle de père ou celui d'amant. Curtis était  partagé entre deux personnes, deux vies qui constituaient alors la sienne. Vie au dessus de laquelle pesait une épée de Damoclès. Ainsi donc Ian Curtis poursuivait sa longue descente aux enfers qui le mènerait lentement vers l'irréparable.


Pour en revenir à la forme, les influences du groupe se font ressentir de manière plus constructive sur cet album. Le Velvet Underground pour son côté expérimental bien sûr, mais aussi et surtout deux disques profondément liés : Low de David Bowie (d’où le « Warszawa » leur inspira naguère le nom de Warsaw au début de leur formation) et The Idiot d'Iggy Pop qui sera finalement la dernière écoute d'Ian. L'inspiration berlinoise, la restriction, l'être inadapté et la transgression participent donc ainsi à la construction de Closer et constituent les bases d'une substance froide et tourmentée, méticuleusement répartie en 10 chansons lourdes de sens qui laissent l'auditeur abasourdi et spectateur d'un destin inexorable. Une belle leçon de musique rapidement illustrée par le génie graphique de Peter Saville qui recyclera l'imagerie religieuse et morbide des peintures vivantes Italiennes utilisées jadis pour les tombeaux de la Noblesse du Rinascimento.


Tous les éléments étaient réunis pour que Closer propulse Joy Division au rang de stars alternatives et lance leur carrière internationale. Seulement, à l'orée d'une tournée américaine riche en promesses, Ian Curtis est retrouvé mort par pendaison à son domicile le 18 Mai 1980. Un suicide qui, s'il bouleversa une bonne partie de la jeunesse Anglaise de l'époque, participera néanmoins à l'établissement d'une nouvelle scène musicale effervescente se réclamant de l'héritage de Saint Curtis. Le Roi est mort, Vive le Roi.


En tête, trois gamins de d'abord nommés Easy Cure puis The Cure, opéreront une mutation du Punk vers la cold pendant que les rescapés de la Division créeront , avec le concours de la petite amie de Morris, Gillian Gilbert, le célèbre New Order. Nom lourd de sens qui donnerait presque une dimension mythique à l'œuvre de Joy Division.


A l’instar des déjà cités  Cure, fleuriront une myriade de formations stimulées par le mouvement post-punk. De la simple influence (The Smiths) à la copie quasi conforme mais recontextualisée (Siglo XX), Ian Curtis a su marquer les esprits et apporter sa pierre à l’édifice en laissant une marque indélébile dans l’histoire de la musique moderne.  Closer parait finalement deux mois après la mort de Curtis, à titre posthume. Un disque qui, tel le Velvet en son temps, déchaina les passions.


Pour enfoncer le clou le label Factory publiera un single devenu culte,  Atmosphere (à noter que le groupe a toujours sorti des singles ne paraissant sur aucun album, pratique reprise ensuite par New Order) déjà cité mais surtout la compilation Still, aux allures de testament, qui permet d'apporter plus de compréhension quant à la carrière de l'OVNI que fut Joy Division. Une fin aux allures de commencement.


Arthur

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