Leprous
La réussite d’un groupe se joue parfois à peu de choses, et il arrive que ce soient les formations les plus inattendues qui finissent par se distinguer. Qui aurait en effet imaginé, il y a encore quelques années de ça, que Leprous puisse se produire sur une aussi belle scène que la Salle Pleyel (Paris) ? Question d’autant plus pertinente que les autres représentants du genre (Haken, Soen, Vola ou encore TesseracT) ne bénéficient toujours pas d’un tel standing et tiennent - quoi qu’on en dise - encore le rôle d’outsiders en terme d’affluence du public français… L’ascension de Leprous est finalement à l’image d’un parcours pour le moins atypique : formé en 2001, le groupe mené par le charismatique Einar Solberg ne sort son premier album que huit ans plus tard (Tall Poppy Syndrome, 2009) et se livre à un metal progressif aussi exigeant qu’éreintant. Le groupe norvégien se fait une petite réputation parmi les musiques extrêmes en assurant notamment les premières parties de formations de black metal comme Emperor et Ihsahn (dont Solberg est le beau-frère). C’est finalement à partir de 2017 que les Norvégiens adoucissent drastiquement leur formule avec l’album Malina. Réussite tant publique que critique, ce cinquième opus présente Leprous sous un autre visage : plus mélodique et aérien, cette nouvelle direction laisse le champ libre à son leader pour exposer des qualités vocales hors-norme (et haut perchées) et s’aventurer vers de nouveaux horizons artistiques. Si Einar Solberg a parfois tendance à en faire (beaucoup) trop, un album comme Aphelion a su mettre tout le monde d’accord en 2021 grâce à des compositions de grandes classes, proposant une fusion parfaite de rock progressif et de pop symphonique. Leprous faisait donc clairement partie des groupes à voir en concert, et nous ne pouvions décidément pas manquer le passage du groupe par la capitale le 12 février dernier !
Si le show proposé par les Norvégiens a tenu toutes ses promesses (nous y reviendrons plus tard), il est important de mettre en avant la qualité des premières parties : deux groupes très prometteurs évoluant dans des registres diamétralement opposés…
KALANDRA
C’est une autre formation norvégienne qui ouvre le bal. La notoriété de Kalandra reste encore toute relative, mais il ne fait aucun doute que ce jeune groupe dispose de tous les ingrédients pour faire parler de lui à l'avenir ! Déployant une atmosphère mystique nappée d’éléments folkloriques (quelque part entre Heillung et White Moth Black Butterfly), les scandinaves ont su nous envouter en un rien de temps grâce à la puissance mélodique de leur titre inaugural "Borders". On découvre un groupe appliqué et entièrement connecté à sa musique, restituant de manière quasi parfaite les différentes compositions issues de leur album The Line (un disque hautement recommandable sur lequel nous reviendrons très prochainement). Exploitant l’immense espace prodigué par la scène de la salle Pleyel, la chanteuse Katrine Ødegård Stenbekk illumine la soirée de sa prestance, tout en faisant part d’une grande justesse. Si le groupe n’en est qu’à ses débuts discographiques, le set proposé est particulièrement solide, offrant un savant dosage entre instants contemplatifs et sections de pop aux mélodies entêtantes. En véritable alchimiste du son, Kalandra se montre également à l’aise dans un registre plus progressif, permettant de nuancer sa musique et de combiner des textures sonores tantôt électroniques tantôt organiques. A ce titre, nous retiendrons cet instant captivant durant lequel le guitariste s’est adonné à une subtile partition générée… avec une corne.
MONUMENTS
L’intensité monte d’un cran (de plusieurs même) avec l’entrée en scène de Monuments. Sans perdre une seconde, le combo britannique rentre dans le vif du sujet en nous assénant d’un metalcore aussi brutal que fédérateur. Si la musique proposée ne m’a pas franchement enthousiasmé (un peu trop extrême pour ma part), je ne peux que m’incliner face à l’énergie dégagée par cette jeune formation. Survolté, le chanteur - Andy Cizek - s’est livré à un véritable numéro : roulades sur scène, bain de foule et autres instants de communion avec le public. Ce dernier a par ailleurs démontré des capacités vocales assez exceptionnelles : aussi à l’aise dans le screaming abrasif que dans le grawl le plus poisseux, le jeune britannique dispose clairement de prédispositions qui n’auraient guère de mal à faire complexer bon nombre d’artiste pratiquant le chant guttural. Que l’on aime ou pas, une bonne partie de la fosse étaient aux anges, complètement galvanisée par l’énergie déployée par les Anglais. Quelques wall of death et pogos plus tard, le public parisien était dans les meilleures conditions pour accueillir comme il se doit le groupe de la soirée !
LEPROUS
Prenant place dans un espace particulièrement fonctionnel comprenant plusieurs zones surélevées, les cinq membres de Leprous débutent leur show sur les basses puissantes de "Have You Ever ?", un morceau issu de leur dernier album Aphelion. Une entrée en matière épurée qui permet au groupe de faire monter progressivement l’intensité grâce à une section instrumentale qui s’étoffe peu à peu avec l’arrivée du violoncelliste Raphael Weinroth-Browne (qui accompagnera le groupe tout au long de la tournée). Ce dernier s’illustre d’ailleurs rapidement avec une prestation nettement plus dynamique que ce à quoi on pouvait s’attendre, n’hésitant à trimbaler son attirail à corde à travers les quatre coins de la scène. Visage fermé et déterminé, Einar Solberg fait une entrée remarquée, confirmant rapidement que sa réputation n’est en rien exagérée. On a souvent vu écrit dans certains papiers que le vocaliste commençait à se montrer beaucoup trop envahissant, affichant des ambitions de plus en plus démesurées. Pour autant, c’est un collectif en pleine possession de ses moyens et au sommet de son art qui se présente devant nous. Chaque membre a droit à sa mise en lumière tout en apportant sa pierre à l’édifice. A ce titre, difficile de ne pas mentionner la prestation du batteur Baard Kolstad, qui confirme - si l’on en doutait encore - qu’il fait partie des meilleurs cogneurs de sa génération.
Si Leprous semble définitivement avoir tourné la page du metal débridé de ses débuts (les 3 premiers opus du groupe n’ont quasiment pas été représenté), son catalogue n’en reste pas moins riche et varié. Le groupe fait part d’une incroyable polyvalence, enchainant avec les riffs virulents et syncopés de "The Price" (The Congregation) puis avec les élans électroniques de "Illuminate" (Malina). Aphelion restant la ligne directrice de la soirée, nous avons l’occasion de revivre en direct les différents grands moments qui composent cet album, à commencer par l’excellent "Running Low". On retrouve alors ce couplet inquiétant et ce mix improbable de metal et de pop raffinée, qui s’avère particulièrement efficace auprès du public. Le groupe gère parfaitement le rythme de la soirée, alternant entre passage intimistes (le très beau "Castaway Angels" durant lequel Einar Solberg se montre particulièrement touchant) et des morceaux plus dynamiques à l’image de l’indispensable "From the Flame", dont le refrain évoque les premières heures de Muse. Même un album comme Pitfalls - qui faisant pourtant office d’ovni au sein de la discographie des Scandinaves - trouve ici sa place au sein d’un spectacle millimétré dont l’impact est renforcé par un excellent jeu de lumière (le décor étant muni de néons rappelant les formes triangulaires de la pochette d'Aphelion). Si le set reste résolument rock, le groupe s’autorise quelques titres plus incisifs à l’image du morceau "Slave" ou encore du massif "Nightime Disguise" et son final tout en fureur. Après une courte pause, la bande revient pour un dernier baroud d’honneur en interprétant l’étonnant "The Sky is Red". Ce morceau de plus de 11 minutes nous embarque dans une atmosphère déroutante, pendant laquelle les six musiciens s’adonnent à véritable show tant sonore que visuel.
Avec cette excellente prestation, la bande menée par Einar Solberg confirme qu'elle fait désormais partie des grands, et que le changement de style entrepris il y a quelques années a permis au groupe norvégien d'atteindre de nouveaux sommets artistiques. Ce concert a également été l'occasion de découvrir Kalandra, une jeune formation dont le potentiel ne semble avoir été qu'effleuré...
Set-list :
LEPROUS :
1. Have You Ever?
2. The Price
3. Illuminate
4. Running Low
5. On Hold
6. Castaway Angels
7. From The Flame
8. Alleviate
9. Out of Here
10. Slave
11. The Cloak
12. Below
13. Nighttime Disguise
Rappel :
14. The Sly is Red
MOMNUMENTS :
1. I, the Creator.
2. Opiate.
3. Leviathan.
4. Empty Vessels Make the Most Noise.
5. Cardinal Red.
6. False Providence.
7. Lavos.
8. The Cimmerian.
KALANDRA :
1. Borders
2. Slow Motion
3. Naïve
4. Virkelighetens Etterklang
5. Unknown (new song)
6. Enson
7. Brave New World