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Compte-rendu de concert

Bruce Springsteen


Date : 02/07/2024
Salle : Werchter (Werchter - BELGIQUE)
Première partie :

 Bruce Springsteen de retour en Belgique

 
Daniel, le 08/07/2024
( mots)

Anatomie d’un/une fan

Unique en son genre, le/la fan rabique du Boss possède les merveilleuses vertus et les petits travers d’une Maman Catéchiste (1).

"Maman" parce que, dès les premières secondes de chaque concert, le/la fan scrute maternellement l’état de son héraut. Avec minutie et bienveillance. C’est qu’il est important de le savoir en pleine forme. Indestructible. Les épaules carrées et le ventre plat. Béni par des Dieux du rock, en l’occurrence peu avares de leur eau de jouvence.

Comme si le temps qui ne passe pas pour Bruce allait également épargner les 55.000 spectateurs attendus sur la plaine.

"Catéchiste" parce que Maman va veiller attentivement à l’orthodoxie de la cérémonie spectaculaire délivrée par son héros. Trois heures durant. Une solennité sacrée. Une messe du temps présent qui réunit les vivants sans oublier leurs morts.

Contexte

Cela fait huit mois qu’il pleut sur le pays. Il est 15h30 ce 2 juillet 2024. Ouverture des portes d’accès à la grande plaine de Werchter. Quelques dernières gouttes tombent sur les imperméables multicolores des plus prévoyants puis le ciel s’éclaircit et le soleil montre le bout de ses rayons.

Miracle.

Groupe régional de l’étape, Black Box Revelation (en version trio) réchauffe les premiers rangs ; son rock décomplexé a des aspects plaisants mais le caractère répétitif des compositions finit par détourner l’attention.

Seasick Steve est fait d’un tout autre bois. Un bois de cette essence au parfum fort que l’on utilise pour fabriquer des barriques à gnôle. Profitant d’une médiatisation très tardive, Steve Gene Wold a gardé de sa lointaine amitié avec Janis Joplin (réelle ou rêvée) un sens ahurissant de la dérision.

Prétendant ignorer son âge (entre 70 et 77 ans aux fraises), Seasick s’est inventé un passé de bluesman du Mississipi et vit sa vie de chemineau comme un rêve éveillé. Assis sur une chaise en bois déglinguée, une bouteille de whiskey de contrebande à portée de la main, il est simplement content (et surpris) d’être là, avec le batteur Crazy Dan Magnusson à ses côtés.

Devant 55.000 péquenots ahuris et à 5.514 miles de sa baie de San Francisco natale.

Son répertoire, entre folk, blues et country, raconte les petites joies et misères de sa longue vie tandis que ses guitares invraisemblables, bricolées maison et toutes affublées d’un patronyme délirant, produisent des sonorités approximatives (du moins quand elles sont branchées). Les patterns les plus bluesy s’inspirent parfois du doigté incompréhensible de Robert Johnson et donnent cette impression étrange que deux guitaristes jouent simultanément en écho.

Le type est absolument adorable et ses interventions (de plus en plus hilarantes au fur et à mesure que la bouteille se vide) captivent l’attention d’un public qui prend plaisir à partager cette partie de campagne avec un illuminé de cet acabit. La prestation se termine sur un commentaire qui fait hurler la plaine : "Voilà ! Et maintenant, je vais me taper un concert du Boss sans débourser un liard…" (2).

Seasick et sa bouteille disparaissent côté cour, là où flotte un grand drapeau ricain. Le rideau tombe sur une des meilleures premières parties de ma vie.

Ouane hou hee hooor

Rasé de près, coiffé avec soin, vêtu comme un milord western (chemise, gilet boutonné, cravate), le Boss monte (en dernier) sur scène. Ovation.

Ouane hou hee hooor (3) ! La machine à fabriquer du rock démarre au temps. Immédiatement à haut régime, turbo enclenché. C’est parti pour une virée improbable de trois heures dans l’arrière-pays ricain avec des joies, des peines, des potes, des cols bleus en souffrance, des amours qui naissent, des passions qui meurent et des musiques qui alternent entre nuances et déchaînements de puissance.

Avec le temps, les prestations des vétérans sont devenues des "spectacles". Millimétrés.

Les concerts d’antan réservaient une place certaine à une improvisation débridée ou à des set-lists fréquemment inédites. Les spectacles imposent aujourd’hui aux protagonistes le respect d’une discipline rigoureuse. Évolution des mœurs : les vieux rockers présents dans le public (qui ne sont pas tous des fans rabiques) attendent clairement un Best Of. Évolution de la technologie : la contrainte des prises de vue qui animent les écrans géants, devenus indispensables, nécessite le respect d’une chorégraphie précise.

Produire en direct un mur de son aussi spectaculaire et son support filmé parfaitement scénographié nécessite une discipline rigoureuse de la part des 18 musiciens. Seul le maître de cérémonie peut encore se permettre l’une ou l’autre pirouette inédite tandis que la machine tourne à plein régime en respectant les séquences d’un ballet parfaitement rodé (4).

Le E-Street Band est probablement le meilleur et le plus puissant juke-box (ou groupe de bar) américain de l’univers. Ce qui est fascinant dans cette troupe c’est que, finalement, personne n’est vraiment indispensable "musicalement" mais que la moindre absence provoquerait un vide abyssal. C’est une sensation difficile à documenter (5).

On pourrait, par exemple, se demander si les rares soli de Nils Lofgren (qui se montre peu dans la lumière) ont encore un sens. Mais quand on laisse vagabonder ses tympans, on sait que ses subtiles interventions en slide participent à chaque instant à la stabilité de l’ensemble.

On pourrait aussi comparer la flamboyance du regretté Clarence Clemmons à la présence plus discrète de son neveu. Mais Jake assure. Un peu en retrait. Mais ses notes, respectueuses des délires de son oncle, restent autant d’hommages rendu à la musique du Big Man.

A l’inverse, et sans remettre en cause la cohésion de l’ensemble, certains fiers jeunes gens sortent du lot.

Max Weinberg (73 ans) n’est certainement pas le plus académique des batteurs. La production de certains albums studio a même caricaturé son drumming en soulignant son jeu plus testostéroné que fleuri. Mais, en public, justice est rendue aux roulements incessants de ses caisses DW. Mighty Max ne quitte jamais le Boss des yeux ; une légende urbaine veut qu’il soit capable d’anticiper les changements de rythme à venir parce qu’il peut les « lire » directement dans le cerveau de son chanteur.

Jouer avec Miami Steve Van Zandt (73 ans) doit être un bonheur immense parce que le guitariste est une encyclopédie vivante de la musique électrifiée. Il prend un malin plaisir à enrichir ses interventions de citations et de références dont il est le premier à s’amuser. Sans vraiment être intégré au E Street Band, il seconde régulièrement son leader en joignant sa voix à la sienne dans les refrains. La complicité amicale qui unit les deux hommes reste une image forte qui fait toujours le bonheur des photographes.

Élégant (quasiment classieux), le Professeur Roy Bittan avait enfilé ses mitaines noires pour fêter avec dignité son 75ème anniversaire sur scène. Le pianiste le plus lyrique de l’histoire du rock a littéralement enluminé le show en ajoutant des accents de majesté – parfois improbables – à une musique pourtant bâtie sur des pulsations primales.

Et Bruce Springsteen (73 ans) a assuré un show presque biblique depuis le front de scène. Maman Catéchiste peut être rassurée. Il est vivant. En pleine forme. Et il respecte à la lettre l’orthodoxie de sa légende dont les tables sont rédigées sous la forme de refrains que tous les pratiquants connaissent par cœur et reprennent à l’unisson

Chacun et chacune va forcément éprouver des émotions différentes en fonction de ses préférences. Personnellement, j’ai vécu un incessant parcours de roller coaster émotionnel avec, au sommet ultime, l’interprétation poignante de "Darkness On The Edge Of Town" et, au pied du pic, un bref grincement de dents durant le premier couplet de "Nightshift", harmoniquement un peu "à côté".  

Mais, toutes considérations subjectives rangées de côté, l’élément le plus fascinant est que l’univers de Springsteen – purement américain mais universel dans l’esprit – "parle" à chacun et chacune.

Et ce qui est magnifique, c’est que la troupe de l’E Street a depuis longtemps quitté l’amicalité des débuts pour devenir une fraternité comme il s’en rencontre peu dans le domaine artistique.

Quand le concert a pris fin sur un "I’ll See You In My Dreams" en solo acoustique (avec une corde de guitare qui frisait un peu pour ajouter à l’émotion), il flottait effectivement un parfum de Paradis sur la plaine de Wechter.

Puis, la pluie est revenue…

So What ?

Je suis d’ordinaire assez méticuleux mais j’hésite à brosser mes précieuses chaussures de rocker parce que les dernières éclaboussures de cette boue de Wechter me rappellent un maelström de décibels chaleureux et chargés d’ondes positives. Ce concert m’a rappelé une ligne de dialogue d’un film du Coréen Hong Sang-soo : "Il n’y a pas d’autre paradis que l’instant présent".

Pas d’autre paradis que l’instant présent.

See You Next Time !

1ere partie

Black Box Revelation
Seasick Steve

Set-List

Lonesome Day
Prove It All Night
My Love Will Not Let You Down
No Surrender
Ghosts
Darkness On The Edge Of Town
Reason To Believe
The Promised land
Spirit In The Night
Darlington County
Working On the Highway
My Hometown
The River
Nightshift
Last Man Standing
Backstreets
Because The Night
She’s The One
Wrecking Ball
The Rising
Badlands
Thunder Road

Encore

Born in The USA
Born to Run
Bobby Jean
Dancing In The Dark
Tenth Avenue Freeze-Out
Twist And Shout

Encore Encore

I’ll See You In My Dreams


(1) Je sais que le terme est désuet mais, en ces temps politiques incertains où des "valeurs" oubliées pourraient revenir en plein dans la poire des petits rockers (et des autres), il est peut-être prudent de réviser ses incunables.

(2) Le Boss lui revaudra la pareille en lui dédicaçant avec humour un "Reason To Believe" aux accents bluesy.

(3) L’interprétation phonétique vaut ce qu’elle vaut. Le seul qui maîtrise vraiment cette intro est Jimmy Fallon.

(4) Les modifications de la set-list entre deux dates entretiennent une illusion d’improvisation. Mais, en réalité, la troupe met à profit les journées de repos pour répéter les enchaînements entre les titres routiniers et ceux qui sont interprétés plus occasionnellement.

(5) Si ce n’est, pour ceux et celles qui ont encore la référence, en piochant dans un autre répertoire : "Quand l’un d’entre eux manquait à bord, c’est qu’il était mort / Oui, mais jamais au grand jamais son trou dans l’eau ne se refermait…"

Merci à ceux et celles qui relisent et corrigent mes chroniques. Merci au docteur Futurity d'avoir une fois encore partagé sa science springsteenienne. 

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