Will Smith a giflé Chris Rock ! Pour une histoire de cheveux.
Le pauvre Chris aurait pourtant dû se méfier. Depuis le mitan des années soixante et pendant une multitude d’années, les cheveux et le rock ont longtemps été un sujet très sensible.
Après la banane rock’n’roll (ôtée symboliquement de la tête d’Elvis Presley en 1958 lorsqu’il s’est rendu en Allemagne pour son unique "tournée européenne"), la coupe GI "bien dégagée sur les oreilles" est redevenue la norme.
Puis il y a eu les Beatles avec la première grande révolution capillaire, symbolisée par une coupe au bol "à la Jeanne d’Arc" (aussi popularisée en France par Mireille Mathieu, Danièle Gilbert ou Antoine).
Nous étions enfants et les cheveux des Beatles alimentaient toutes les conversations de nos aînés. C’était un sujet de dégoût et de mépris. Dès l’instant où nos petits cheveux grandissaient un peu, les parents nous collaient chez le coiffeur pour un bon coup de rasoir afin d’éviter que nous ne devenions des Beatles drogués. Honte ultime.
Avec le mouvement hippie, le cheveu des garçons a été libéré. Et il a grandi. Jusqu’aux épaules. Ou plus bas. Sur les yeux. Parfois domestiqué par un bandana. Si possible un peu gras et, bien entendu, épargné par les peignes ou par les brosses.
Après Altamont et avec le début des années soixante-dix, le rock est devenu moins comique. Il a rapidement exclu des scènes de ses festivals, le jazz, le funk, les afro-américains et les femmes.
Mais le cheveu, symbole ultime du ralliement, est resté. Plus touffu, plus généreux, plus extravagant encore. Que l’on soit post-baba cool, pop, hard rocker ou prog, il fallait de la tignasse. Ca posait son homme. Jusqu’à devenir une tyrannie.
Il y avait déjà eu Hair, une comédie musicale entièrement consacrée au sujet en 1967.
Nous avions l’habitude de juger les musiciens à leur tignasse avant de nous intéresser à leur musique. Attitude rock ! Et nous détestions la formule « cheveux longs, idées courtes » du réactionnaire Johnny.
Malheureusement, l’alopécie nous guettait tous. C’était notre pire cauchemar. Même Paul Mc Cartney a évoqué poliment le sujet dans "When I’m Sixty-Four". Ca ne nous concernait pas vraiment puisque nous devions tous mourir avant notre trentième anniversaire…
Petite parenthèse scientifique : contrairement à ce que les chauves racontent en bombant le torse, la calvitie n’est pas la conséquence d’un excès de virilité mais une fragilité anormale des follicules pileux à la testostérone. J’ai vraiment étudié le sujet de près depuis que j’ai perdu mon premier cheveu il y a un demi-siècle.
Le front dégarni (ou le début de tonsure) a été déclaré anti-rock ! Je me souviens d’articles où l’on parlait plus des implants ratés d’Elton John que de sa musique. Le même procès capillaire a été intenté à Klaus Meine (Scorpions), Brian Eno (période Roxy Music), Rob Halford (Judas Priest), Dave Hill (Slade), Freddie Mercury (Queen), Joe Cocker (qui a dit que la chute de ses cheveux avait été la pire épreuve de sa vie), Fish (Marillion), John Lawton (Uriah Heep), Steve Van Zandt (E-Street Band), Chris Slade (AC/DC, Uriah Heep, …) Geoff Tate (Queensrÿche), Michael Stipe (REM), Ian Anderson (Jethro Tull) ou Peter Gabriel (Genesis puis lui-même) …
Si tu n’as pas de cheveux, c’est que tu es vieux. Si tu es vieux, tu n’es plus rock. Point.
Tout a été tenté pour repousser l’inéluctable : la fameuse mèche « Est-Ouest » (popularisée par Valery Giscard-d’Estaing) qui ne tenait pas au vent, la casquette, le béret, le chapeau, la perruque, la couronne de la Reine d’Angleterre, la tonsure décorative, le foulard de gitane orné de verroterie, …
Mais nous n’étions pas dupes. Nous savions cruellement reconnaître le vrai du factice.
En ces temps-là, notre plus grande clameur était réservée à Status Quo. La salle était plongée dans le noir absolu. Puis un projecteur de poursuite éclaboussait de lumière trois tignasses entremêlées au milieu de la scène. Alors, les deux guitares et la basse balançaient les 12 mesures magiques. Classe absolue. Aucun autre artifice. Rien que ça.
Ce qui est fascinant, c’est que les garçons parlaient plus du sujet que les filles. Il est vrai qu’en termes de filles, nos petites amies successives nous accompagnaient généralement une seule fois en concert avant d’entamer des études en psychiatrie ou en chirurgie réparatrice de l’oreille interne.
Ca peut paraître imbécile pour les enfants du XXIème siècle mais l’ostracisme de la calvitie est pourtant une forme de vérité vraie. Le « hair metal » a marqué le sommet de la vague. Au point que selon la légende rock, Dee Sniders (Twisted Sisters) a vainement tenté de faire assurer sa crinière blonde qui symbolisait à elle seule le gang de Long Island.
Il faudra attendre le punk, puis le très discutable mouvement skin, pour ressortir les tondeuses. Et, plus tard, c’est une femme qui a invité à la révolution. Sinéad (skinhead, au départ) O’Connor. Connor, comme Sarah dans Terminator. Sigourney Weaver a emboîté le pas dans Alien.
Aujourd’hui, le cheveu semble moins important (sauf pour les footballeurs). Mais l’étrangement nommé Chris Rock a tout de même pris une sacrée baffe pour avoir abordé le sujet qui fâche depuis longtemps.
Est-ce que l’histoire bégaie ?
Encore un mystère non élucidé.
Là-dessus, je file me coiffer !