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Critique d'album

Zeal & Ardor


Greif


(23/08/2024 - - Metal avant-gardiste - Genre : Hard / Métal)
Produit par

Note de 4.5/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Le monstre hybride du metal avant-gardiste frappe encore "
Quentin, le 24/09/2024
( mots)

Le projet de Manuel Gagneux figure en bonne place des objets musicaux non identifiés les plus atypiques et ambitieux de ces dernières années, au point que son groupe soit aujourd’hui pleinement reconnu pour son originalité sur la scène metal internationale. Il faut dire que le Suisse est aux commandes d’un projet sans concession mariant les contrastes avec une facilité déconcertante, alliage aussi improbable que réjouissant de metal extrême, rock alternatif, soul et gospel. Si certains auditeurs peuvent frôler l’indigestion, on doit reconnaitre la grande réussite de la démarche, notamment sur ce nouvel album qui se veut encore plus éclectique que les précédents.


Si l’identité du groupe s’est construite autour de l’histoire de la révolte des Noirs américains et du combat contre le racisme et l’esclavagisme, ce nouvel album arbore l’effigie du Griffon, créature hybride de lion, d’oiseau et de serpent qui donne son titre (en allemand) à l’album. Ce monstre mythique est le symbole de la fête traditionnelle de la ville de Bâle en Suisse, d’où sont originaires les membres du groupe, qui met en scène la lutte des classes en opposant les quartiers populaires et les aristocrates. Un personnage déguisé en griffon vient ainsi chaque année narguer le côté bourgeois de la ville. Les helvètes mettent de ce fait toujours au centre de leur metal avant-gardiste l’idée de conflit, de liberté et de résistance à l’oppression, parfaitement retranscrite dans la profonde liberté artistique qui les guide à chaque album et qui ne saurait souffrir d'aucune entrave.


Pour ce nouvel opus, Manuel Gagneux a en effet accepté de lâcher un peu la bride de sa créature avec un processus de composition plus collégial permettant l’inclusion de l’ensemble des musiciens dans l’écriture et de production. En résulte une réelle diversité de sonorités et de styles et une grosse prise de risque vis-à-vis de la fan base du groupe, déjà interpellée par la sortie en avant-première du sublime "To My Ilk", chaud, mélancolique et sensible, à la limite du blues/folk et en rupture totale avec l’univers sombre et violent du groupe. Greif laisse ainsi plus de place à la mélodie que son prédécesseur avec des passages plus assagis et accessibles et un travail sur les voix tout simplement saisissant, fruit d’harmonies vocales aussi créatives qu’impressionnantes. La prestation de Manuel Gagneux, épaulé cette fois de ses acolytes au chant, reste en tout point remarquable et sa voix suffit à nous transporter sur "Solace", ballade sombre aussi désespérée que venimeuse dans sa seconde partie.


Bien loin du metal prog’ alambiqué, l’approche du groupe se veut avant tout directe et diversifiée avec de nombreux interludes qui permettent d’explorer des contrées musicales très différentes. On fait constamment le grand écart en passant de l’expéditif et rythmé "369" aux sonorités issues des spirituals afro-américains au gospel irrésistible de "Go Home My Friend", sans oublier l’introductif sifflotement de "The Bird, The Lion and The Wildkin" qui dépeint la créature du Vogel-Gryff. Son thème entêtant se voit également repris de manière saturée sur le puissant "Hide in the Shade", doté d’accélérations typées black metal renversantes tandis que "Une Ville Vide" fait une incursion étonnante dans l’électro 8-bit des 80's. Chaque titre est une surprise et l’écoute peut de ce point de vue se révéler déconcertante tant les morceaux se succèdent sans se ressembler, passant du desert rock accrocheur façon Queen Of The Stone Age avec "Sugarcoat" au metal extreme de "Clawing Out", marqué par l’agressivité des riffs. On est terrassé sur ce morceau par la bestialité du chant qui prend la forme d’incantations surnaturelles et menaçantes franchement déstabilisantes.


Enfin, des titres comme "Thrill" et "Desease" dotés de lignes de guitares lancinantes et de refrains frondeurs balancent un rock musclé immédiat et accrocheur tandis que "Fend You Off" et "Kilonova" régaleront l'amateur de structures plus métalliques. Le premier titre pose une rythmique plombante sur une petite mélodie de boîte à musique qui se voit parée de fulgurances colériques. Le second donne à entendre un riff toolesque accompagné par une rythmique tribale qui swingue autant qu'elle agresse avant d'embrayer sur un refrain aérien, porté par des lignes de basse hypnotisantes imitant le battement du cœur. Point d’orgue de cet éclectisme décomplexé, le groupe parvient à marier ballade délicate et growl démoniaque avec une grande cohérence sur l’excellent "Are You the Only One Now ?", son air un peu naïf et faussement calme explosant sous la puissance des hurlements possédés, des blast-beats et des riffs impitoyables.


Autant de vagabondages stylistiques réussis qui font de cet opus une œuvre dense et inclassable qui décevra peut-être l'adorateur de metal un peu sectaire et intransigeant mais réjouira le mélomane avide de diversité dans les opposés. Là où d’autres groupes faiblissent par manque de créativité, Zeal & Ardor, fort de son écriture collective renouvelée, insuffle un véritable sentiment de fascination et d’addiction à son œuvre. On multiplie les réécoutes de cet album séduisant en diable sans y prendre garde, signe que sous son air un peu dispersé se cache une véritable science de la composition capable de provoquer des sensations fortes renouvelées, de la nuance la plus gracieuse et mélancolique à l’éclat de violence le plus terrassant. Espérons que cette liberté de ton audacieuse et insolente perdure et louons le griffon avec zèle et ardeur !

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