Fontaines D.C.
Romance
Produit par James Ford
1- Romance / 2- Starburster / 3- Here's The Thing / 4- Desire / 5- In The Modern World / 6- Bug / 7- Motorcycle Boy / 8- Sundowner / 9- Horseness Is The Whatness / 10- Death Kink / 11- Favourite
En l’espace de cinq ans et quatre albums, Fontaines D.C. est devenu grand, très grand et, posons le constat d’emblée, décroche avec sa dernière création le chainon manquant vers la notoriété internationale. Il faut dire que rien n'a été mené au hasard dans le plan de com’ XXL mené tambours battants depuis avril par leur nouveau label XL recordings : nouveaux looks flashy et excentriques, 4 singles tape-à-l’œil distillés ingénieusement depuis le printemps, affiches disproportionnées, goodies et listening parties, nos lads de Dublin n’ont définitivement plus rien à voir avec les 5 gars discrets géniteurs de Dogrel en 2019, en pleine vague post-punk. Force est de constater que parmi la flopée de formations émergentes de cette époque, ce sont bien nos Irlandais qui ont su tirer leur épingle du jeu, remaniant sans cesse et avec une aisance déconcertante leur énergie punk originelle, en constante évolution.
Alors que A Hero’s Death ramenait déjà quelques variations musicales et fresques mélancoliques, Skinty Fia achevait en 2022 cette maturation artistique, dévoilant l'équilibre parfait entre pertinence pop et énergie punk. Si proche de la perfection, les interrogations sur l’avenir du groupe et ses choix artistiques futurs occupaient nos esprits et ce, jusqu’à la parution du dantesque “Starburster” (nous y reviendrons) et l’annonce d’un quatrième album attribué au mythique label XL, qui confirmait dès lors les désirs de franchir d’un pas supplémentaire les frontières d’une musique (encore) plus accessible. Ciao Dan Carrey (snif...), c’est le très occupé James Ford qui a gracieusement accepté de reprendre la barre côté production. Lorsque l’on sait que le bonhomme a produit quelques-uns des plus grands disques de pop/rock de ces dernières années (AM des Arctic Monkeys, What Went Down de Foals, le dernier Blur,...), cette volonté de vouloir rattiser encore plus large et d’accroitre leur côte de popularité de façon exponentielle sautait désormais aux yeux.
Dans le mille ! Tout s’est emballé dès le lancement de “Starburster” le 17 avril dernier, avec l’envolée du nombre de streams, dépassant allègrement et en un rien de temps le compteur de leurs premiers titres. Frontal, frais et moderne, alliant l’éloquence du post-punk et l’insolence du hip-hop, ce premier single s’imposait comme une véritable bombe dans le paysage rock moderne. Emmené dès lors sur la route pour clore les sets de façon électrique, la hype n’a cessé de croître jusqu’à ce très attendu troisième week-end d’août. Forte de cette réputation gonflée à bloc et de la communication évoquée en préambule, l’excitation autour de la sortie du disque n’a cessé de croître, et ce, bien avant sa sortie. C’est donc partagés entre l’excitation de découvrir cette nouvelle facette et l’appréhension de voir le groupe succomber au jeu du manège commercial que nous abordions ce nouveau cru.
Le titre éponyme placé en pole position rassure instantanément, mené par une basse profonde et un Grian Chatten mystique. La transition modale (déjà usée sur “In ár gCroíthe go deo”, intro de Skinty Fia) au bout de cette montée en puissance cathartique fascine et permet une immersion totale dans ce nouvel univers hybride inspiré par l'esthétisme des films d’animation cyberpunk japonais. Même si le très bon “Here’s The Thing”, tout droit sorti des années 90 avec sa guitare grungy soutient l’énergie frontale de “Starburster”, la suite se verra bien plus chiadée et tempérée.
Là où les précédentes productions laissaient planer un voile brumeux dans leurs ambiances globales, Romance évolue dans cet espace lumineux et multicolore, où genres et influences s’imbriquent dans un ensemble bourré d’inventivité et de cohérence. “Bug” et sa guitare acoustique nous embarquent dès lors dans un trip digne des plus grandes heures de de la Britpop (en préambule d’ouvrir pour Oasis l’été prochain ?), tandis que le saisissant “Death Kink” et son refrain abrasif renoue avec l'énergie brute originelle, Chatten exploitant l’éloquence de son phrasé hybride (que l’on aurait soit dit en passant aimé entendre un peu plus ici).
Si les morceaux les plus vifs accrochent l’oreille instantanément (n’oublions pas le solaire “Favorite” qui ne nous a pas lâché de tout l’été), les plus enlevés nécessitent un peu plus de patience avant de dévoiler toute leur substance, à l’image de “Desire”, et son imposant mur sonique typé shoegaze. Si vous avez aimé Chaos For The Fly l’an passé, premier album solo de Grian Chatten, vous ne serez cependant pas déconcerté par le spleen indie de l’enchaînement “Motorcycle Boy”, “Sundowner” (chanté par le guitariste Conor Curley, une première), “Horseness Is The Whatness”. Certes un peu en retrait par rapport à la dynamique globale de l’album, cette seconde moitié a le mérite de s’aventurer sur un terrain encore inexploité et met d'autant plus en valeur la sensibilité d'une orchestration plus complexe où synthés, cordes frottées et frappées viennent prêter main forte.
Dans cette catégorie, c’est “In The Modern World” qui se démarque tout particulièrement avec ses délicats power chords acoustiques et ses couplets à tomber. Enrobée d'une délicate nappe de cordes, la voix de Chatten est propulsée au premier plan, nous invitant à confirmer le constat tiré sur Skinty Fia : le bonhomme a fait la paix avec son timbre unique et l’exploite à la perfection. Même si l’on aurait pu espérer quelques titres supplémentaires de la trempe de “Starburster” ou d'un “I Love You” (trônant dorénavant au sommet du répertoire du groupe), on ne peut nier le travail accompli par l’intéressé en quelques paires d’années, usant de son organe en pleine confiance et possession de ses moyens.
C’est finalement une tout autre ampleur qui se révèle à l'écoute de ce quatrième album captivant. S’imposant presque comme une évidence dès la première écoute, on ne peut s’empêcher de rester estomaqué par la saisissante évolution et la prise de maturité de nos cinq Irlandais, et ce, en si peu de temps. Il aurait été ardu de miser sur eux à leurs débuts, mais les Fontaines D.C. semblent désormais en passe de devenir l’un des plus grands groupes de notre temps. Avec un pied à présent solidement ancré dans l’engrenage commercial et médiatique, il faudra veiller au grain pour ne pas succomber aux caprices égoïstes de l’industrie musicale et ne pas tomber dans la fadeur de l’universalité.
Le groupe martelait sur Dogrel “I'm gonna be big”, voilà qui est fait, allez savoir si cette ascension phénoménale n’était pas préméditée...
A écouter : “Starburster” (évidemment), “In The Modern World”, “Death Kink”, “Favorite”