Weezer
Pacific Daydream
Produit par Butch Walker
1- Mexican Fender / 2- Beach Boys / 3- Feels Like Summer / 4- Happy Hour / 5- Weekend Woman / 6- QB Blitz / 7- Sweet Mary / 8- Get Right / 9- La Mancha Screwjob / 10- Any Friend of Diane's
Plébisciter Pacific Daydream revient pour l’auteur de ces lignes à défendre l’indéfendable, position certes inconfortable mais somme toute assez stimulante. La Weezersphère attendait un Black Album alléchant ? Rivers Cuomo nous sort des “chutes de studio” à la place, qu’il a eu envie d’agrémenter de réverb’ et de Pro Tools en laissant tomber la saturation, prenant le risque de laisser en rade les adeptes de la Kiss Army qui étaient jusqu’ici prêts à le défendre bec et ongle. Arrivent les premiers singles, cinq en tout (soit la moitié du disque, faut le faire), et là, on craint le naufrage intégral avec un “Feels Like Summer” aux relents de Rihanna et d’autres titres irrémédiablement “pop” mais surtout manquant dommageablement de “power”. À l’Olympia en Octobre - première date du Big W en France depuis 2005, les absents ont toujours tort -, lesdits morceaux ne semblent pas tenir la comparaison en live avec le vieux répertoire du gang de Boston. Lorsque la galette arrive sur les étals des disquaires, Cuomo va presque jusqu’à s’excuser sur Facebook en avertissant ses fidèles que beaucoup risquent de ne pas aimer ce qu’ils vont entendre... tout en les incitant à persister dans leur écoute. Et là-dessus les verdicts critiques tombent les uns après les autres et placent l’album à la balançoire stellaire à peine au niveau de Raditude, du Red et de Make Believe, si ce n’est pire. Ouch. Quand on pense que Weezer venait à peine de se racheter une conduite avec le duo Everything Will Be Alright In The End - White Album... faudra-t-il donc de nouveau vouer aux gémonies ces ex stars des 90’s ? Pas forcément, et c’est ce que ce billet de rattrapage va essayer de vous démontrer.
D’abord, ne pas douter : objectivement, il n’y a aucune raison pour que Rivers Cuomo se plante cette fois-ci. La psychologie étant ce qu’elle est, on sait l’homme ragaillardi par le succès monstre récolté a posteriori par son Pinkerton mal aimé, avec à la clé, on l’a dit plus haut, deux disques confirmant son net regain de forme artistique. Par ailleurs le Black Album promet d’ores et déjà monts et merveilles sur le papier, c’est un fait. Pourquoi une daube viendrait-elle s’intercaler ici ? De plus, s’il est arrivé au gentil binoclard du gros rock sensible de faire littéralement tout et n’importe quoi - on vous renverra à la triste période de la fin des années 2000 -, Pacific Daydream ne rentre pas dans ce cadre. C’est un album pensé - et annoncé - comme une rupture, alimenté par des titres dont les standards mélodiques ne peuvent pas s'accommoder de distorsion. Une expérience, si l’on peut s’exprimer ainsi, que l’on sait déjà transitoire, comme une parenthèse dans la carrière du groupe. Et une prise de risque réfléchie et assumée, quoique redoutée là encore par Cuomo qui, espiègle, a même été jusqu’à nommer l’un de ses titres “QB Blitz”. Un QB Blitz, pour les personnes étrangères aux moeurs du football américain, est une tactique consistant à faire rusher tous les défenseurs sur le quarterback adverse afin de le plaquer au sol avant qu’il n’ait le temps de lancer la balle à ses partenaires, manoeuvre de va-tout éminemment risquée car livrant le terrain à la vindicte des attaquants si elle échoue.
Alright then, Nerdman fait tapis et assume comme un grand. Mais qu’est-ce qu’on lui reproche, à ce Pacific Daydream ? On lui reproche en bloc une couleur pop (et donc pas rock), des arrangements faciles, des gimmicks commerciaux, une compromission mercantile médiée par l’infréquentable Butch Walker (que l’on retrouvait déjà sur Raditude). On croit déceler chez Rivers Cuomo le désir inassouvi jusqu’ici - à un “Island In The Sun” prêt - de passer à la radio au mépris de son passé et de l’héritage qu’il porte. Dans les faits, Pacific Daydream arbore une couleur pop, c’est un fait. Le chanteur est à la barre de la croisière, et c’est lui qui, par sa voix, dirige le navire dans toutes ses manoeuvres. Mais cela ne se vérifiait-il pas déjà par le passé ? Bien sûr que si, soyons honnêtes un minute. Non, le vrai changement, le vrai “problème”, c’est l’habillage, et en cela l’introductif et encore à moitié pugnace “Mexican Fender” n’est pas du tout représentatif du reste de l’album : les guitares ont subi une sérieuse cure d’amaigrissement, çà et là jouant d’un tranquille feedback hagard, la basse se retrouve au premier plan - où l’on découvre d’ailleurs que Scott Shriner n’est en fait pas mauvais du tout à ce poste - ; s’ajoutent à l’ensemble de généreuses touches de synthé tandis que les titres recourent fréquemment aux carillons et tintinnabulements en tous genres. Et puis il y a des choeurs et des secondes voix partout, plus encore que dans les livraisons précédentes, et si l’on n’atteint pas le niveau des Beach Boys - marotte indéfectible de Cuomo, rappelons-le à toutes fins utiles -, on commence quand même à s’en approcher sérieusement. M’enfin bon, tout ça n’est qu’une question d’emballage, strass, paillettes et tutti quanti. Et les titres ? Parce qu’il faut savoir qu’en plus la critique reproche à Pacific Daydream de proposer de mauvaises chansons, insipides, quelconques, oubliables. Alors, vrai ou pas vrai ?
Réponse sans ambages : pas vrai. Pas vrai du tout. Il se dégage de ces dix compositions un sentiment de plénitude mais aussi, et c’est paradoxal, de sourde mélancolie. Est-ce à cause de la gamme mineure plus fréquemment employée ici que sur les livraisons précédentes ? Possible. Mais à leur écoute, on ne peut s’empêcher d’imaginer Rivers assis au comptoir d’un bar à minuit passé, à siroter une margarita en promo - une “Happy Hour”, peut-être ? -, emprunté, triste et solitaire. Et c’est sans doute ce détail qui fait toute la différence : jamais encore un disque de Weezer ne nous avait fait sentir à quel point la solitude, quand tout le monde autour de nous s’agite et s’amuse, pouvait être pesante. Alors on suit ce pauvre quadra paumé qui se languit de sa “femme du week-end” (“Weekend Woman”) en essayant de se persuader qu’il y a dans cet endroit comme un “goût d’été” (“Feels Like Summer”) sans véritablement parvenir à convaincre, ni lui, ni l’auditeur.
On ne peut donc que vous inciter à vraiment laisser votre chance à cet album qui, en première instance, vous agacera sans doute. Faites le tourner deux à trois fois de plus, faites l’effort de vraiment l’écouter, et vous verrez ses qualités apparaître. Sa cohérence, sa verve mélodique, sa justesse de ton. Rien à voir avec les pitreries du “Brown Album” (hé hé) et les facilités du Red et de MB. Là-dessus, chaque chanson dispose d’un pont parfaitement écrit et sans doute même encore plus pénétrant que son matériau d’origine, et c’est aussi à ça que l’on reconnaît un bon disque. Au final, il n’y a rien à écarter ici. Entre un “Mexican Fender” balancé qui joue très bien la carte du rôle transitionnel (nonobstant quelques “whohoho” un peu patauds mais restant heureusement en arrière plan), un “Beach Boys” à la réverb et à l’acuité épatantes, un “Happy Hour” habillé comme une fin de soirée désenchantée et un “Weekend Woman” émouvant de naïveté (et quel pont, bon sang !), l’entame de Pacific Daydream finira à termes par vous séduire. Même “Feels Like Summer” et son maquillage putassier parviennent à démontrer toute la science de Cuomo - Google Sheet included - pour les notes comme pour les rythmes (couplets presque rapés, pré-chorus haletants), sans compter que le titre en lui-même a le chic de ne pas en faire des caisses et de ne pas verser dans la minauderie. Une fois réconcilié avec cette première moitié, vous n’aurez plus qu’à vous réjouir, car la seconde est à l’avenant. Plus acoustique ("QB Blitz“, tout doux, tout penaud), elle ne cherche pas l’esbroufe, prend le temps de développer ses arpèges ("Sweet Mary", enveloppé dans une sereine emphase, avec son pont à la Brian Wilson), nous ressort une basse dub au moment opportun ("Get Right", pas poseur pour un sou) ou nous joue la carte de la redondance inaliénable ("Any Friend Of Diane’s" qu’on vous met au défi de ne pas fredonner dans la rue une fois sa mélodie ancrée dans votre subconscient). Allez, on accordera un - petit - bémol à un "La Mancha Screwjob" il est vrai moins inspiré et que l’excès de fond de teint - des "whohoho“ irritants, en particulier - ne contribue pas à mettre en valeur.
Pour terminer, deux remarques on ne peut plus subjectives. La première, c’est que soumises à l’écoute de cet album, les trois filles de l’auteur de ces lignes - seize, quatorze et onze ans -, pourtant pas allergiques au rock bruyant de leur post-ado de père et toutes grandes fans de Weezer, l’ont immédiatement adopté et le considèrent désormais comme le meilleur jamais réalisé par Cuomo, détrônant ainsi Everything dans leur coeur. La seconde vous renvoie à l’un des ces sempiternels classements internet, ici "Weezer albums from worst to best" du point de vue de Stereogum. Pacific Daydream se classe dans le milieu de peloton, juste derrière la jolie équipée Blue - Pinkerton - Everything - Maladroit - White. Avis certes minoritaire mais probablement plus proche de la réalité qu’on voudrait bien nous le faire croire. Laissez donc sa chance à Pacific Daydream, même si éprouvez une furieuse envie de le détester. Alors que l’année 2017 s’achève sur un écoeurant constat d’échec de la part des grands tenants de la scène rock qui se sont tous - tous ! - frottés à la pop, c’est certainement Rivers Cuomo qui s’en est le mieux sorti, et quelque part, ça n’a rien d’étonnant. Quant au Black Album, décrit par le diplômé de Harvard comme "sombre, expérimental et électro", il est annoncé pour mai, et à la lumière de ce disque-ci et de ses deux prédécesseurs, nul doute que l’on peut en attendre la lune.