Brian Wilson
SMiLE
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1- Our Prayer/Gee / 2- Heroes & Villains / 3- Roll Plymouth Rock / 4- Barnyard / 5- Old Master Painter/You Are My Sunshine / 6- Cabin Essence / 7- Wonderful / 8- Song For Children / 9- Child Is Father Of The Man / 10- Surf's Up / 11- I'm In Great Shape/I Wanna Be Around/ Workshop / 12- Vega-Tables / 13- On A Holiday / 14- Wind Chimes / 15- Mrs. O'leary's Cow / 16- In Blue Hawaii / 17- Good Vibrations / 18- Heroes And Villians (Instrumental) / 19- Cabin Essence (Instrumental)
Les fans auront donc attendu 37 ans pour enfin pouvoir déguster ce qui aurait du être le douzième album des Beach Boys. Initialement prévu pour début 1967, le processus de création, les sessions d’enregistrement et leur echec ont été longuement relatés. Renvoyons aux articles très complets et très sourcés de Wikipédia "The Collapse Of Smile" et "Smile (The Beach Boys Album)". Pour dire les choses succintement, on y comprend comment a germé dans l’esprit de Brian Wilson mi 66 son projet musical le plus ambitieux, mis en oeuvre à un moment où lui même ne participait plus depuis longtemps aux concerts des Beach Boys mais en restait le cerveau créatif incontesté, admiré par les musiciens du monde entier.
Vivant plus ou moins en ermite, drogué, atteint de paranoïa, empêtré dans de multiples chamailleries avec le reste du groupe et Capitol Records, à peu de choses près seul contre tous et assistant dans le même temps au triomphe de son rival Paul McCartney avec l’album des Beatles Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Parlophone 1967), Wilson finit hélas par abandonner Smile. Son projet de concept album termina dépecé, les bons morceaux dont "Good Vibrations" ou "Heroes & Villains" furent récupérés pour obtenir l’album Smiley Smile (Capitol Records 1967), assemblé au pas de charge mais néanmoins réussi malgré les mauvaises langues.
Par la suite, miné par la déception et malade mentalement, Brian Wilson diminua considérablement sa participation au sein du groupe, donnant au gré de ses humeurs une ou deux chansons, ressuscitant quelques bribes de Smile comme l’a capella "Our Prayer" sur 20/20 (Capitol Records 1969) ou encore Surf’s Up (Brother Records 1971) sur l’album du même nom, et laissant pour le reste les autres prendre plus de responsabilité artistique, en particulier son frère Carl. On s’en doute, sans la créativité de Brian les Beach Boys n’ont jamais plus connu les sommets. A posteriori, notamment dans un papier du Daily Beast du 13 avril 2017, Wilson donnait une interprétation beaucoup plus apaisée des événements et tempère cette représentation d’homme brisé et entièrement coupé du monde que l’on a eu tendance à se faire de lui.
La réalité se situe certainement entre les deux. Les faits démontrent un ralentissement certain de Brian Wilson, pour autant malgré toutes ses difficultés personnelles il n’a jamais rompu avec ses frères et son cousin et a continué à fournir des chansons qui s’avéraient souvent les meilleures dans tous les albums des Beach Boys. Parlons plutôt d’un rééquilibrage des rôles, conséquence d’un revers artistique et personnel extrêmement pénible.
Toute l’histoire s’apparentant à une tragédie au long cours, les choses ne s’arrangèrent pas pour Wilson. Diminué psychologiquement, mal conseillé, subissant l’emprise du Dr Landy, perdant son frère Dennis en 1983, la créativité n’était plus au rendez-vous, sa carrière semblait éteinte.
1988, encouragé par son frère Carl, intronisé au Rock’n’Roll Hall Of Fame par… Paul McCartney, ce fut le retour de l’homme blessé avec un album éponyme (Warner Bros 1988) fort bien accueilli. Et début d’un long processus de redémarrage créatif, renouement avec le parolier Van Dyke Parks pour Orange Crate Art (Warner Bros 1995), Van Dyke Parks qui avait signé les textes de Smile, puis ballon d’essai sur l’album I Just Wasn’t Made For These Times (MCA 1994) où figurait le titre "Wonderful" qui faisait partie du projet originel, puis reprise des concerts qui aboutit finalement en 2004 à une tournée concept où Wilson rejoua pour la première fois les titres du disque avorté. Et comme pour ajouter un soupçon de rivalité vintage, en 2003, un an auparavant, Paul McCartney avait lui-même bouclé son grand projet inachevé avec les Beatles en sortant Let It Be… Naked (Apple 2003).
Wilson ne pouvait décidément plus reculer, le public lui demandait depuis des décennies, les concerts Smile avaient été un franc succès. Se sentant à nouveau fort, appuyé par une équipe musicale compétente et ralliée à sa cause, il disposait de tous les moyens techniques et financiers nécessaires pour enfin accomplir son oeuvre maîtresse.
En 2004 le monde du rock n’a d’yeux que pour Franz Ferdinand, The Libertines, The Killers, Green Day, Arcade Fire. Et dans ce contexte c’est peu dire que Smile débarque dans le paysage de manière totalement anachronique. Ce qui en 1967 aurait été un événement musical majeur qui aurait certainement influencé la créativité de toute la décennie suivante et au delà, devient un fait courant applaudit par la critique et par une minorité de connaisseurs et de nostalgiques. Wilson, dont on oublie souvent derrière le génie la personnalité affable et simple, a semblé presque embarrassé par la dimension mythique entourant Smile et au final peu sensible au destin commercial de son disque (article déjà cité) mais en fit plus une nécessité thérapeutique. Le voici enfin délesté de cette histoire à la fois exaltante et si pesante.
Alors entrons dans le vif du sujet, se lancer dans l’écoute en ayant la connaissance de tout ce contexte nous donne la sensation d’avoir trouvé un trésor enfoui et d’avoir enfin trouvé la clé qui ouvre le coffre.
Des bootlegs circulaient depuis plusieurs années, des versions rassemblées un peu à la manière de fan fictions, mais nous allons désormais avoir la version définitive.
Les premières notes retentissent et nous reprenons conscience de la nature profonde des Beach Boys. Un groupe vocal aux harmonies travaillées, pas vraiment un groupe de rock et encore moins un groupe de surfers. Le talent de Wilson ne se limitait pas à composer du rock’n’roll, et on comprend facilement combien un tel album pouvait être compliqué à enregistrer dans les années 60. Il qualifiait lui même Smile de symphonie, et en effet à la manière d’un orchestre nous avons différents pupitres qui se complètent, se questionnent et se répondent, les instruments classiques, le coeur rock, les harmonies vocales et les bruitages, pas si anodins.
Beaucoup de morceaux étaient bien sûr déjà connus des fans, certains déjà cités comme "Heroes & Villains", "Surf’s Up", "Wonderful", "Our Prayer", et bien sûr "Good Vibrations" parue même avant les sessions originelles de 1966. Il n’empêche que leur redécouverte dans les années 2000 ne leur a rien retiré de leur beauté, le fait de tout réenregistrer se justifiant par la difficulté d’obtenir une oeuvre cohérente en repassant sur des sessions de plus de 30ans. Sans même aborder l’aspect légal.
Smile, concept album relatant une traversée joyeuse des Etats-Unis de New York à Hawaii, prend rapidement l’allure d’un voyage sonore aux surprises multiples, démarrant comme dans une église puis nous encanaillant dans le rock’n’roll, nous faisant traverser une étable, un atelier, vivre un bon repas de famille en autres réjouissances, le tout ponctué de morceaux devenus des références de la musique pop.
Toujours difficile d’extraire un titre en particulier d’une oeuvre aussi liée que Smile, dont les chansons enchaînées contiennent de multiples rappels mélodiques et textuels.
Tout d’abord impossible de ne pas évoquer "Good Vibrations" et "Heroes & Villains", les deux plus grands moments qui avaient déjà été retenus pour Smiley Smile en 1967, il n’y a pas de hasard.
"Good Vibrations" clôt l’album, et quoi de mieux qu’un chef d’oeuvre pour terminer. Sa sortie en single avait suscité de grands espoirs en 1966. Sa construction littéralement hors du commun - 10 mois de studio et 88 séances d’enregistrement - et son grand succès ont par la suite amplifié la déception à l’annonce de l’abandon de Smile, mais quel monument!
"Heroes & Villains" résume en une poignée de minutes tout l’univers de l’album, la chansons débute comme un morceau de rock, s’arrête, fait la fête, explore différentes facettes émotionnelles, de la joie au besoin de réconfort.
Enfin arrêtons nous sur la gentille "Song For Children", élégante comptine enfantine préfigurant "Good Vibrations".
Pour le son, Wilson a choisi de s’entourer de Darian Sahanaja, l’éminence grise de son backing band The Wondermints et de Mark Linett qui avait déjà travaillé sur des enregistrements des Beach Boys, notamment le remixage de Pet Sounds. La garde rapprochée donc. Et au final on imagine sans peine que c’est ainsi qu’aurait sonné le Smile de 1967, donc immersion complète et totale cohérence entre l’époque des chansons et leur traitement sonore.
Au final comment douter qu’un tel disque n’aurait pas changé la face du rock et de la pop? Smile est un mythe devenu réalité. Un type reclus dans une villa cossue de Beverly Hills a rassemblé avec brio toutes les influences musicales américaines dans un chef d’oeuvre au goût d’absolu, un disque positif, festif, parfois comique, pétri de bonnes intentions, parfois naïf dans le bon sens du terme, un peu chargé de l’aveu même de son créateur mais jamais mièvre et toujours brillant.
Qu’auraient écrit Paul McCartney, Freddie Mercury, Ray Davies ou encore David Bowie si seulement Brian Wilson avait pu concrétiser cet immense chantier? L’auraient-ils surpassés? Et qu’aurait écrit Wilson ensuite?