Vulkan
Technatura
Produit par Vulkan
1- This Visual Hex / 2- Hunter / Prey / 3- Redemption Simulations / 4- Bewildering Conception Of Truth / 5- Klagans Snara / 6- Rekviem / 7- Spökskepp / 8- Technatura / 9- Marans Ritt / 10- Blinding Ornaments / 11- The Royal Fallacy / 12- The Madness Sees No End
Le succès se joue parfois à des détails et n’est malheureusement pas toujours proportionnel à la qualité. Certains groupes y sont forcément mieux préparés, mieux armés aussi. Il faut dire qu’à l’heure d’internet et de la digitalisation, nous avons à portée de main une quantité astronomique d’œuvres musicales issues des quatre coins du monde. Il suffit de jeter un œil à la liste des albums traités dans nos lignes en 2020 : rarement le rock n’aura été aussi international. Une bonne partie de l’Europe a été représentée, mais nous avons également eu l’occasion de passer par des destinations moins courantes comme l’Australie, la Corée du Sud, le Canada ou encore le Chili. Autant dire que de nombreuses œuvres de grande qualité sont vouées à rester dans l’ombre.
Dès lors, notre meilleure arme devient les réseaux sociaux. Ces mêmes réseaux, qui, suite à une succession d’algorithmes, m’ont amené jusqu’à la découverte des Suédois de Vulkan, dont l’album est sorti il y a plus de huit mois. Malgré une scène suédoise particulièrement mise en avant en 2020 - avec entre autres Witchcraft, Blues Pills, Dead Lord, Night ou encore The Flower Kings - il faut bien avouer que Vulkan est passé quasiment inaperçu au sein de la presse spécialisée. Il faut dire que le groupe ne dispose pas de la même force de frappe marketing que ses confrères : l’absence d’un label pour cette autoproduction peut en partie expliquer le relatif anonymat de la bande.
Et pourtant cet album intitulé Technatura se place haut la main parmi les meilleures réalisations de l’année sur la scène metal progressif et peut aisément convenir à un plus large public.
Formé en 2006, ce groupe originaire de la ville de Karlstad (centre de la Suède), a pu se produire sous différents noms au fur et à mesure de son évolution musicale avant d’adopter définitivement le patronyme de Vulkan (volcan en suédois). C’est sous ce nom que la bande composée de Jimmy Lindblad (chant), Olle Edberg (claviers et effets), Christian Frediksson (guitare), Oscar Pettersson (basse) et Johan Norbäck (batterie) livre ses premiers faits d’armes avec deux albums convaincants : Mask of Air en 2011 et Observants en 2016. Avec Technatura, les suédois reprennent le meilleur de leurs précédentes réalisations et nous proposent un voyage captivant, plongeant l’auditeur dans des contrées musicales au carrefour des genres et des époques. Leur musique est en effet marquée d’influences - du rock progressif des années 1970 jusqu’au heavy metal et metal prog moderne - mais là où certains groupes se contentent d’appliquer les standards du genre, Vulkan se les réapproprie avec brio.
La première partie de l’album, marquée par l’excellent "This Visual Hex", penche davantage du côté d’un metal hybride - dans la droite lignée de groupes comme Between the Buried and Me ou encore Haken - avec des riffs puissants associés à une incroyable richesse d’arrangements sonores. Là où Vulkan se distingue, c’est avant tout avec l’intégration de sonorités plus folkloriques - notamment avec les jolies partitions de flûte qui traversent cet album - mais aussi avec un véritable travail sur l’ambiance générale et la cohésion d’ensemble. Ainsi, un interlude comme "Klagans snara" empli de mysticisme nordique favorise l’immersion dans cet univers où la nature côtoie la technologie (thématique qui est en partie traitée à travers cet album).
Cette gestion des transitions, permettant à l’album de former un tout, est d’ailleurs une des forces de Vulkan. Autant dire qu’une écoute entière et dans de bonnes conditions est plus que souhaitable pour apprécier ce disque à sa juste valeur. En plus de ce travail d’ambiance, le quintette manie l’art du break à la perfection, conférant aux morceaux une véritable sensation de montagne russe émotionnelle. Quand certaines formations de rock progressif ont tendance à multiplier les sections mélodiques sans réelle cohérence au sein d’un même morceau, Vulkan parvient à associer différents registres, parfois aux antipodes, de manière parfaitement fluide et harmonieuse. C’est le cas du magnifique passage de violon présent sur le titre "Bewildering Conception Of Truth", les sonorités orientales de "Blinding Ornaments", ou encore du riff quasi électro de "The Royal Fallacy". Il faut d’ailleurs reconnaître le remarquable travail aux claviers du musicien Olle Edberg qui apporte une profondeur d’écoute indéniable à l’aide de nombreux effets et arrangements originaux.
Autre élément particulièrement appréciable et qui donne une saveur supplémentaire à l’album : l’alternance entre chant en anglais et en suédois. La langue scandinave - qu’on avait pu apprécier sur les dernières réalisations d’Opeth - se marie parfaitement aux différentes mélodies et au chant délicat et aérien du chanteur. En résulte ce qui est surement le meilleur morceau de l’album, à savoir "Rekviem", magnifique composition dont le chant envoutant accompagné d’une basse hypnotisante nous embarque dans une spirale majestueuse. Un grand album ne serait rien sans un chant à la hauteur et, Jimmy Lindblad se montre particulièrement convaincant sur ce point. Son chant qui peut paraître à première vue assez linéaire et stoïque, se révèle d’une grande justesse et chargé en émotion, tout en se montrant puissant quand nécessaire. Toujours chanté en suédois, le morceau "Spökskepp" maintient le niveau avec un sens de la mélodie toujours aussi affuté, rappelant par moments les envolées sensibles d’un groupe comme The Pineapple Thief.
La deuxième partie de l’album installe quant à elle une atmosphère plus calme (même si les guitares ne sont jamais bien loin) et bascule de manière tout à fait naturelle vers des sonorités plus typiques du rock progressif et psychédélique des années 70. En point culminant, les chœurs somptueux des titres "Marans Ritt" et "Blinding Ornaments", dont les refrains offrent de véritables instants de grâce. La nature reprend peu à peu ses droits sur le monde de Technatura, pour un final d’une beauté dangereuse. Final d’autant plus percutant avec un retour à des sonorités metal beaucoup plus nerveuses, marquées par un passage de chant guttural sur "The Royal Fallacy".
Avec Technatura, Vulkan nous propose un album somptueux, alliant puissance et instants de grâce, dans un univers où le mysticisme se confronte à la technologie. Malgré une sortie des plus discrète au sein de la sphère metal progressif, il n’en reste pas moins un album essentiel du genre que nous vous recommandons chaudement. La Suède nous livre une nouvelle pépite en 2020, qui, à défaut de rejoindre notre classement des Albumrock Awards (à cause de sa découverte tardive), risque de rester longtemps sur nos platines. Aucun doute que nous garderons un œil attentif sur les prochaines réalisations de ce groupe.