Taylor Swift
folklore
Produit par Jack Antonoff, Aaron Dessner, Taylor Swift
1- the 1 / 2- cardigan / 3- the last great amercian dinasty / 4- exile (ft. Bon Iver) / 5- my tears ricochet / 6- mirrorball / 7- seven / 8- august / 9- this is me trying / 10- illicit affairs / 11- invisible string / 12- mad woman / 13- epiphany / 14- betty / 15- peace / 16- hoax
Le luxe des superstars interplanétaires, c’est de pouvoir s’entourer de la crème de la crème du domaine lorsqu’il leur prend l’envie de faire un album indie. Il semblerait que le confinement mondial du printemps 2020 ait été une source d’inspiration pour nombre d’artistes. Taylor Swift n’échappe pas à la règle, puisqu’avec folklore, elle nous propose sa version de l’indie folk en s’entourant de Jack Antonoff (collaborateur historique de Swift, mais aussi de St Vincent, Lorde et Lana Del Rey, on y reviendra) et d’Aaron Dessner (The National). C’est dans le studio de ce dernier, vu sur la pochette de Sleep Well Beast, que les chansons de folklore ont été enregistrées.
La première écoute complète de l’album laisse une impression étrange, difficilement identifiable, même un peu gênante, du moins si l’on s’est aventuré à l’automne 2019 à jeter une oreille à Norman Fucking Rockwell de Lana Del Rey. Tout laisse à penser que c’est le cas de l’amie Taylor, qui flirte dangereusement avec la triple frontière inspiration/hommage/plagiat, en particulier avec le titre "cardigan", porté comme un étendard à la sortie de l’album. C’est en réalité un rare exemple d’un tel niveau de copie pour une artiste de cette envergure, jusque dans le phrasé peu articulé propre à Lana. A moins que le studio d’Aaron Dessner dans l’état de New York n’ait été pris dans tempête de neige givrante et que le froid ait paralysé les lèvres de Taylor …
L’inspiration Lana Del Rey est également fortement présente sur les couplets au chant saccadé de "seven", mais la mélodie impeccable du refrain fait de ce morceau une réelle réussite. Car des réussites, on en trouve beaucoup sur folklore ! Taylor Swift fait étal de ses qualités de conteuse sur le titre "the last great american dinasty", porté par un tapis musical électro acoustique de grande qualité. Le duo avec Justin Vernon, "exile", paraît d’abord pompeux avant de bénéficier d’un bridge estampillé Bon Iver qui met en valeur l’alchimie bluffante entre les timbres des artistes. Mention très honorable également pour "illicit affair" et son refrain punchy.
Si la pochette et la production tentent très fort de nous faire croire à un album indie (ou dark metal pour l’artwork noir et blanc), le côté pop n’est pas totalement mis de côté sur folklore : certains passages de "my tears ricochet", "august" et "invisible string" sonnent clairement comme des titres qui auraient pu faire figure d’escapades folk sur d’autres albums de l’artiste destinés à son public habituel. Ce n’est d’ailleurs pas une critique négative, le premier cité fait notamment étalage de la classe de Taylor Swift et de son talent d’écriture. Le morceau "betty", quant à lui, ramène l’artiste à ses premières amours country folk de manière assez élégante, bien que trop propre pour être émotionnellement engageante.
Un certain nombre des compositions font ici écho à des artistes contemporains, à vrai dire contemporaines : "peace" et sa guitare feutrée font penser (sans l’émotion à fleur de peau) à Big Thief, et plus particulièrement au fantastique travail solo d’Adrianne Lenker. « this is me trying » se trouve lui dans un style full-reverb évoquant de manière plus ou moins subtile les productions récentes de Phoebe Bridgers.
Au-delà du fait que stylistiquement, et avec un brin de provocation de notre part, l’album puisse faire penser à l’équivalent sonore d’une chemise en flanelle à 500 €, les thématiques abordées incluent notamment un pamphlet féministe moquant le fait qu’une femme ne puisse pas revendiquer une colère saine sans être traitée de folle, avec le bien nommé "mad woman". On l’a vu venir de loin, mais c’est efficace. Notons également que folklore s’inscrit dans la temporalité de sa création avec "epiphany", ballade au piano relativement convenue qui propose un parallèle plus ou moins inspiré entre la mobilisation face à la pandémie mondiale et le débarquement de troupes militaires ("crawling up the beaches now"/"rampant sur les plages"). Après tout, jusqu’au sommet de certains états, on a parlé de "guerre" contre un virus, preuve que personne n’est à l’abri de faire des analogies vaseuses.
Au final, folklore est un album long (16 titres !1h 3 minutes !) qui commence et finit par des ballades dispensables : le longuet "hoax" voit Taylor conclure l’effort accompagnée au piano dans une nouvelle invocation du fantôme de Lana Del Rey, alors que le plutôt entrainant "the 1" avait démarré les hostilités avec quelques punchlines qui annonçaient la couleur : l’objectif est avant tout de ravir les millenials en manque de slogan pour des t-shirts cool à porter fièrement lors de leur passage au Starbuck’s ("you know the greatest films of all time were never made"/"tu sais que les meilleurs films de tous les temps n'ont jamais été faits", "I’m doing good I’m on some new shit"/"je me sens bien, je prends des nouvelles choses"). L’analyse paraît sévère, elle est cependant à mettre en balance avec les qualités indéniables de production, de composition et de vocaliste de Taylor Swift et des artistes l’accompagnant ici. Si l’objectif était toutefois de convertir les afficionados du sad dad rock en swifties (petit nom donnée aux fans de Taylor Swift), on a bien peur que ça ne suffise pas. Si, à l’inverse, il s’agissait d’ouvrir les chakras de ses fans les plus fidèles à l’indie rock, on ne peut que se réjouir que ceux-ci se jettent sur les références qui ont servie d’inspiration non dissimulée à cette galette. On se permet même de glisser quelques-unes de ces références ci-dessous.