Saxon
Crusader
Produit par Kevin Beamish
1- The Crusader Prelude / 2- Crusader / 3- A Little Bit of What You Fancy / 4- Sailing to America / 5- Set Me Free / 6- Just Let Me Rock / 7- Bad Boys (Like To Rock 'n' Roll) / 8- Do It All for You / 9- Rock City / 10- Run For Your Lives
Les années 1980 ont piégé un grand nombre de groupes dans toute l'Europe et aux États-Unis. Les anciennes formations de rock progressif ont été tentées par la radio (Yes, Genesis, Kansas …) et ont renié leur identité. Certains ont voulu tenter des expériences électroniques, avec peu de flair (Jethro Tull), d'autres se sont modernisés et ont été enlacées par les tentacules de MTV (ZZ Top).
Dans ce contexte, la NWOBHM était un des nouveaux souffles prometteurs que la perfide Albion sait si bien faire naître. Mais l'hybris n'etait-il pas plus fort ? Le succès massif dans les charts n'était-il pas à portée de main ? Si Iron Maiden poursuit son évolution progressive et négocie parfaitement la seconde partie des années 1980 en réalisant ses meilleurs albums, Def Leppard ne produit plus que de la soupe bien calibrée pour séduire un nouveau public, et Saxon se lance à la conquête des petits frères américains et des ondes outre-Atlantique.
Hélas, pour ce faire, impossible de se maintenir dans un bon Heavy Metal bien anglais, bien rude : il faut faire des compromis pour obtenir les grâces du public. Il faut des chœurs, il faut être plus accessible, plus lisse, il faut faire hurler les stades. Il est compréhensible que le succès obtenu en Europe par Saxon ne puisse qu’inciter à aller voir ailleurs pour agrandir davantage leur fan base, mais le prix à payer fut élevé.
C'est dans ce contexte que sort Crusader en 1984, album qui les éloigne des rivages de Motörhead les ayant portés depuis leurs débuts ….
Il faut cependant faire deux précisions. D'une part évacuer la pochette de son esprit. La plus belle que le groupe se soit offerte, bien loin de la médiocrité qui illustrait le précédent opus. Une caractéristique de Saxon se voit ici affirmée, son goût pour l'histoire et pour les batailles. Une très belle réalisation qui attire l’œil et semble être pleine de promesses.
D'autre part, le titre éponyme et son introduction doivent être considérés indépendamment, puisque nous avons là un réel chef-d’œuvre. Le morceau le plus épique de Saxon jusqu'alors, également un des meilleurs, si ce n'est le meilleur, "Crusader" ne peut laisser personne indifférent. Les arpèges en introduction, le jeu de batterie impressionnant, le chant de Biff : tout est parfaitement exécuté. Et il suffit de regarder le live enregistré à Wacken en 2014 avec une orchestration originale (violons, timbales …) pour comprendre tout le potentiel du titre, et la fierté de Biff Byford qui a déclaré que c'était le morceau qu'il préférait jouer sur scène. Nous pouvons être très critiques sur les versions orchestrales des groupes de rock (Scorpions et Deep Purple ont essayé sans convaincre …) : Saxon remporta ce défi grâce à un titre qui se prêtait bien à l’exercice.
Tout l’album semble construit autour de "Crusader", du titre à la pochette qui évoque d'ailleurs ces chevaliers croisés prêts à reprendre Jérusalem. On passera vite sur la polémique autour du morceau et la condamnation pour islamophobie, complètement stupide étant donné le groupe – si c'était Ted Nugent, on aurait pu comprendre – qui n'a pas vraiment compris d'où cela venait. Passion pour les batailles médiévales et pour l’histoire encore une fois, et rien de plus.
Le problème de ce morceau est qu'il éclipse tous les autres …
Pour bien comprendre la place qu'il prend dans leur discographie, il faut mieux se pencher sur le reste. "A Little bit of What You fancy", par exemple, espèce d'hybridation entre un morceau de Grease et du Hard Rock, nous dévoile le nouveau Saxon, peu réjouissant … "Sailing to America" porte bien son nom, c'est un morceau pour stade, aux orchestrations bien américanisées, il en va de même pour "Bad Boys (Like to Rock'n'roll)" avec ses chœurs, le kitchissime "Do it All for You" (avec un introduction qui a du marquer Iron Maiden pour "Childhood's End", mais seulement l'introduction … heureusement), et "Rock City" qui se passe de commentaire. Un contenu très déconcertant, parfois indigent musicalement, avec une direction artistique uniquement commerciale. Le prix à payer est l’âme du groupe.
Saxon parvient bien à rehausser un peu le niveau avec une reprise de Sweet, "Set me Free" en version Van Halen (chercher l'inspiration chez Sweet est riche de sens…), et avec "Run for Your Lives" qui se laisse bien écouter (et encore). Seul morceau qui sort vraiment du lot, "Just Let Me Rock" (qui fait penser à "I Wanna Rock" des Twisted Sisters sorti la même année, en moins burlesque) parvenant à mettre en place une partie musicale très puissante et accrocheuse, avec le compromis américain (on imagine très bien la foule endiablée hurler "Just let me rock … Rock").
Avec Crusader, c'est un nouveau Saxon qui voit le jour. Les morceaux sont calibrés pour les radios et pour plaire aux masses. "Crusader", épique, puissant, redore le blason de l’album, mais il ne faut pas se voiler la face et considérer les autres titres, bien en dessous de ce qu’avait proposé jusqu’alors les gars du Yorkshire. Mais l'évolution est à demi-teinte, on sent que le groupe ne veut pas y aller à fond, et qu’il se perd dans cet entre-deux, mi-Heavy, mi-FM. Problème : son public est désemparé, et celui qu'il essaye de conquérir n'est pas au rendez-vous. Et ça ne fait que commencer, culpabilité qu’on ne peut pardonner au groupe …
A écouter : "Crusader", Just Let Me Rock"