OU
II : Frailty
Produit par Devin Townsend
1- Frailty / 2- Purge / 3- Ocean / 4- Redemption / 5- Capture and Elongate / 6- Spirit Broken / 7- yods / 8- Reborn / 9- Recall
Toujours plus loin vers l’Est ! Telle pourrait être la devise de ce premier semestre 2024 pour qualifier la scène metal progressive. Après Myrath (Tunisie), Turbulence (Liban), puis Screetus (Inde), nous nous demandions si les pays asiatiques répondraient à l’appel. Il faut bien admettre que la Chine restait jusqu’à présent plutôt discrète, peinant de toute évidence à exporter les talents issus de son infini vivier. Un coup de main extérieur peut parfois changer la donne, et il ne fait aucun doute qu’en louant les services de Devin Townsend (production et mixage) un groupe comme OU s’octroie une visibilité internationale jusqu’alors inconcevable.
Fondateur du groupe, Anthony Vanacore, batteur américain résidant à Pékin depuis plusieurs années, a rapidement su s’entourer de musiciens émérites issus de la scène locale et poser les bases esthétiques du projet. Le groupe sort un premier album en 2022 (One), confirmant l’étendue de son potentiel technique et expérimental, tout en mettant dans les meilleures dispositions la talentueuse chanteuse Lynn Wu. Le combo sino-américain revient en 2024 avec un nouvel opus et une sérieuse envie de passer au niveau supérieur (le groupe rejoignant notamment le prestigieux label InsideOut).
Histoire de balayer toute appréhension (ou préjugé purement occidental) générée par l’idée d’un metal prog chanté en chinois, il était important de marquer les esprits dès l’entame de ce nouvel album. Autant dire que le groupe pékinois s’en sort admirablement bien, et nous gratifie d’un titre aussi évident qu’imprévisible ("Frailty"), construit autours d’arrangements intrigants, d’une section rythmique audacieuse et virevoltante, mais aussi d’un refrain à l’efficacité redoutable.
Contre toute attente, le groupe parvient à se montrer relativement accessible (toute proportion gardée) en nuançant son propos d'un titre à l’autre. L’ensemble s’avère ainsi plutôt équilibré, facilitant l’immersion de l’auditeur tout en laissant de la place à des sections nettement plus expérimentales et déstructurées. Le djent survolté et jusqu’au-boutiste de "Purge" (dans lequel on percevra les cris acérés de Townsend) précède ainsi l’atmosphère candide et légère de "Ocean" sans pour autant dénaturer l’ensemble. Si l’influence du producteur canadien est évidente sur certains morceaux, la formation chinoise parvient à tracer son propre chemin, tout en partageant cette envie commune de s’affranchir de toute convention ou figures de styles : en associant par exemple des sections rythmiques de prime abord incompatibles (allant du rythme electro syncopé jusqu’au blast beat épileptique) ou encore en se permettant quelques grands écarts stylistiques au sein d’une même composition.
Le groupe ne se limite donc pas à un seul genre et se montre plutôt à l’aise quand il s’agit de bifurquer vers des ambiances plus contemplatives ("Redemption"), ou plus synthétiques (le final synth-pop de "Ocean"). Forcément, à trop vouloir se diversifier, OU se perd parfois dans des structures un peu trop alambiquées et dissonantes… Malgré tout, le quartette pékinois parvient à maintenir l’attention grâce à une certaine singularité prodiguée par un chant en chinois qui apporte une touche de folklore et de mysticisme (le chant à la limite de l’incantation sur "Purge").
Plus qu’une révélation, OU incarne finalement cette vague musicale venue de l’Est, marquée par une certaine audace créative (somme toute influencée par la scène occidentale) et une réelle volonté de briser les barrières culturelles. Devin Townsend ne s’est pas trompé en misant sur ce groupe et il nous tarde de découvrir ce que la scène metal chinoise nous réserve par la suite.
A écouter : "Frailty", "Ocean", "Spirit Broken"