Magma
Kartëhl
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Alors qu’on s’apprête à célébrer les cinquante ans de Mekanïk Destruktïw Kommandöh, sans savoir ni quand, ni où, cette fête nationale aura lieu et si notre président décrétera un jour férié pour l’occasion, Magma reste une formation toujours active, sur scène comme en studio avec un nouveau venu au doux nom kobaïen de Kartëhl (pas évident de retenir la position de trémas et du "h"). Cette activité se double d’une véritable reconnaissance dans la postérité, car plus que tout autre groupe de l’âge d’or de la scène progressive française (au sens le plus large, Zeuhl comprise), Magma est parvenu à conquérir un nouveau public, notamment dans le monde du Metal qui comprend un certain nombre de musiciens fans du groupe (à l’international, de la Suède avec Opeth aux Etats-Unis avec Metallica – véridique) et une pléthore de jeunes mélomanes prêts à intégrer le cartel.
Pour autant, découvrir Magma reste une épreuve musicale exigeante, et sauf coup de foudre (possible mais peu probable), plusieurs écoutes seront nécessaires pour adopter la Zeuhl et vibrer à la grandiloquence d’un MDK (pour les intimes) et plus encore d’un Köhntarkösz (mon préféré, sans sectarisme). Mais l’expérience vaut la peine d’être vécue, car une fois aluné à la galaxie kobaïenne, l’auditeur en sort comme un mélomane nouveau – un neu-über-mêlömanh (dans un kobaïen approximatif). Alors, comme pour faciliter l’entrée dans leur univers, les membres de Magma ont décidé de composer collégialement (et non uniquement Vander) un album présenté comme "optimiste" et "lumineux", deux termes qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit quand il s’agit d’évoquer la musique du groupe … Il néen fallait pas moins pour susciter beaucoup de curiosité.
Dans son entreprise de publications d’archives retravaillées et de développement de son univers dans une chronologie complexe, Christian Vander propose deux pièces antiques, "Hakëhn Deïs" et "Dëhnde", qui sont d’ailleurs offertes en bonus dans leur version démo de 1978, à l’époque d’Attahk donc, qui n’était pas la période la plus inspirée du groupe. Ces deux morceaux s’inscrivent dans un registre jazz-rock léger et répétitif, à l’ambiance particulièrement tamisée et presque canterburyenne, dont on appréciera le jeu de batterie toujours aussi souple et impressionnant. Il est vrai que le groupe n’avait pas menti sur la marchandise en présentant cet album comme étant plus apaisé et accessible. D’ailleurs, "Irena Balladina" reprend avec encore plus d’entrain cette ambiance smooth-jazz piano-bar.
Néanmoins, Kartëhl sait également se montrer un peu plus aventureux, et ce dès "Do Rïn Ïliüss" qui, malgré sa longueur, dispose des lignes assez complexes au chant et à la batterie, avec un intermède typiquement zeuhlien, inquiétant et inattendu. L’amateur du genre sera encore plus comblé avec l’impressionnant "Wälömëhnd Ëm", un écrin de Zeuhl tous chœurs déployés sous forme de symphonie, sombre et insaisissable, aux circonvolutions jazzy venues des astres les plus proches de Kobaïa. Ou encore, il sera saisi par "Wïï Mëlëhn Tü", plus rock par la place accordée à la guitare électrique (avec des très belles interventions en fin de titre), parfois expérimental au chant, mais très progressif dans son développement. En définitive, même dans ses parties les plus magmaïennes, Kartëhl est en effet assez peu abrupte, du moins c’est ce que le connaisseur du groupe ressentira à coup sûr, le néophyte pouvant être dérouté par l’esthétique si particulière de la formation tout en y trouvant une porte d’entrée plus accessible.
En regardant dans le rétroviseur, il est évident que Kartëhl ne peut prétendre à égaler des grandes œuvres désormais cinquantenaires (ou presque), mais il n’en reste pas moins un bon album dont l’intérêt réside à la fois dans ses morceaux plus typiquement zeuhliens et ses titres plus classiquement jazz-rock. Un album optimiste qu’ils disaient … Optimiste pour ceux qui seront ravis de savoir cette institution toujours active, en studio et bien sûr sur scène : nous en sommes.
A écouter : "Do Rïn Ïliüss", "Wälömëhnd Ëm"