Kim Deal
Nobody Loves You More
Produit par Kim Deal
1- Nobody Loves You More / 2- Coast / 3- Crystal Breath / 4- Are You Mine ? / 5- Disobedience / 6- Whish I Was / 7- Big Ben Beat / 8- Bats in the Afternoon Sky / 9- Summerland / 10- Come Running / 11- A Good Time Pushed
Symbolique du flamant rose
Perché sur ses hautes pattes, Phoenicopterus roseus représente l'équilibre, notamment entre travail et amusement. Il nous apprend à prendre du recul sur nos émotions. Associé étymologiquement au phénix, il inspire également le renouveau et le courage.
Tout est dit.
Indie
Il n'y a aucune orthodoxie rock chez Kimberly Ann Deal. Pas de temple. Pas de psaumes. Pas de sermon. Pas de vérité absolue.
Et, comme le monde n'aime pas trop ni les (jolies) femmes libres ni les œuvres inclassables, Nobody Loves You More ne plaira pas à ceux qui recherchent et affectionnent un art formaté (bien carré et "raisonnable").
Mais on s’en fout. A la rigueur, on s’en réjouirait presque.
Parce que Kim Deal est de la race des Bjork Guðmundsdóttir (1), Catherine Kate Bush, Patricia Patty Smith, Debbie Harry, Joni Mitchell ou Polly Jean Harvey, … De la race de celles qui imposent leurs conditions (quitte à parfois se foirer) dans un milieu rock machiste. De celles qui tracent leur route en toute liberté sans se préoccuper ni de la foule, ni du commerce, ni du succès facile.
Les héritières de Willie Big Mama Thornton et de Sister Rosetta Tharpe. Par exemple.
Kim affirme ici son essentiel rock avec, pour seules fantaisies visuelles, un costume un peu cucul, une Stratocaster, un ampli, un haut tabouret rétrofuturiste et un flamant rose (probablement empaillé). A la rigueur, s’il n’était pas si beau danseur de salon (2), le flamant ferait déjà figure de bagage excédentaire.
Dans ce premier album solo de la dame de Dayton, il n’y a rien (ou pas grand-chose) qui rattache son extraordinaire art musical personnel aux Pixies (cliniquement morts depuis son second départ en 2013), à The Breeders ou à The Amps.
Kim fait du Kim.
"Fait des Kim" serait une expression plus pertinente. Parce que l’album est un patchwork artistique, un grenier foutraque, plein de ce joyeux bordel rock que nous cultivons tous avec amour et passion.
Un grenier où s’entassaient dix années de textes et de musiques.
"Nobody Loves You More" (le titre) est un monstre. Une chanson parfaite.
Je relis et j’assume.
Et j’écris "chanson" à dessein parce qu’il ne s’agit certainement pas d’un "titre rock". Non, c’est autre chose. Une mélodie riche et intrigante qui hésite entre sérénité et nostalgie, entre optimisme béat et pointe d’inquiétude. Le pont orchestral suranné – particulièrement déroutant à la première écoute – emmène ailleurs. Ivresse assurée.
Entre la légèreté de "Coast" (un pastiche acidulé de "Sunday Girl" de Blondie) et l’extrême gravité poétique de "Are You Mine" (2), entre les syncopes noisy de "Big Ben Beat", "Disobedience" ou de "Come Running" et les orchestrations proto-jazzy de la plage titulaire ou de "Summerland", entre le concept dadaïste de "Bats In The Afternoon Sky" (un instrumental dont le titre est l’unique prétexte) et la modernité indie de "Crystal Breath", "Wish I Was" ou "A Good Time Pushed", Kim Deal promène sa voix enjouée, fragile, malicieusement fausse et totalement immature pour son âge, sur le spectacle bigarré de son existence et de nos vies.
Nobody Loves You More est un album solo au sens sémantique du terme. Kim Deal a composé tous les titres ; elle a produit l’opus sur lequel elle joue de tous les instruments. Elle a bien convoqué quelques membres de sa famille musicale de même que son ingénieur du son préféré, Steve Albini (4), mais l’œuvre reste définitivement et extrêmement personnelle. Sans jamais tourner à l’étalage impudique des sentiments.
Les textes sont simples et bruts, parfois cryptiques. Comprenne qui comprendra. Ou qui voudra.
Je ferai ce que je veux / Tant que je serai sur cette planète…
Et tout est plié en onze titres et trente-cinq minutes. La durée idéale d’un album classieux.
Un coup de maîtresse !
Rock and Roll, Boys and Girls, Kings and Queens
Objectivement, le rock binaire, volontiers machiste, se connaît peu de vraies reines (5). Mais le rock indie, souvent plus ouvert à la diversité et à l’intelligence, s’est trouvé ici un album majeur, une petite impératrice et un emblématique flamant rose.
C’est la fête !
Je peux comprendre que Black Francis peste dans son coin. Lui qui, un jour à Stuttgart, a balancé une guitare sur Kim Deal parce qu’elle était arrivée avec une heure de retard à un concert. Charles Thompson IV aurait dû savoir que ce sont les dames qui dictent leur temps aux horloges et pas le contraire.
Et c’est ce que Kim Deal fait. Elle dicte nos tempos au rythme de ses caprices. C’est excitant comme un premier rendez-vous. Et c’est précisément un premier rendez-vous.
Pour ma part, je pense que je vais adopter un flamant rose. Pour qu’il m’apprenne la chorégraphie du pont de la plage titulaire...
(1) Je ne parle pas d’art mais de "caractère humain". Toutes ces dames remarquables participent en effet de courants artistiques aussi divers que variés.
(2) Le clip qui illustre la plage titulaire est absolument craquant. Absurde et craquant.
(3) Encore une immense "chanson".
(4) Par respect pour les artistes, le producteur indie préférait qu’on l’appelle plus modestement "ingénieur du son". Il est décédé prématurément – aux commandes de sa table de mixage – durant l’enregistrement de Nobody Loves You More. Il avait précédemment travaillé avec les Pixies, Nirvana, Page & Plant, The Breeders, P.J. Harvey, Dyonisos, Hugh Cornwell ou The Stooges, … Excusez du peu !
(5) Je parle ici de filles qui ont réellement le contrôle sur leur musique et leur image, pas de bimbos corsetées de skaï ou de résille et manipulées par le rock business.