JPL
Sapiens Chapitre 2/3 : Deus Ex Machina
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S’il y a bien une formation – ou plutôt un artiste - à retenir de la scène progressive française actuelle, c’est JPL, alias Jean-Pierre Louveton, ex-Nemo. La remarque est volontairement exagérée : il y a de nombreux groupes et compositeurs talentueux dans notre bel Hexagone, mais au regard de sa carrière et de ses productions, on se trouve clairement dans le haut du panier. Evidemment, JPL, c’est l’héritage de Nemo, groupe regretté quoique, se faisant accompagner par une grande partie du personnel, et à l’écoute de sa musique, on pourrait hurler "Nemo est mort, vive JPL", tant les ponts esthétiques entre les deux sont nombreux. Ce nouvel opus ne nous fera pas dire le contraire.
Deuxième partie d’une trilogie dystopique et pessimiste, Sapiens 2/3 Deux Ex Machina revient sur la triste histoire et évolution de l’humanité, son avenir probable quoiqu’incertain, ses incuries, avec ici deux thèmes centraux : la cupidité et les machines. Deux leitmotivs qui nous font dire que, finalement, nous construisons pas-à-pas notre propre dystopie qui est moins, sous la plume de JPL, un avenir probable que notre condition actuelle. C’est donc l’inverse d’une utopie dans un sens inattendu : non pas en tant que situation potentielle mais non-avenue, mais en tant que dévoilement de l’ici et du maintenant par projection. Politique et mélancolie pessimiste étant deux traits récurrents de son œuvre, nous ne sommes guère surpris : c’était de toute façon le programme de son œuvre. Celle-ci, dans une fidélité au genre et aux anciens albums, nous ouvre ses portes avec une couverture tout simplement sublime.
Deus Ex Machina commence en fanfare avec "Le Flambeur", titre qui s’avère être le plus abouti de l’opus – et c’est peu dire tant l’ensemble est d’une qualité époustouflante. La guitare y est incisive dans une structure pleine de ruptures rythmiques digne des plus belles lignes de metal-progressif, puis s’enrobe d’un groove funky avec des débordements instrumentaux (aux claviers, à la guitare – évidemment – et même à la basse). JPL est en pleine forme, les périodes les plus fastes de Nemo viennent à l’esprit et ce nouvel opus semble être largement à la hauteur des espérances. Ecoutez ici les changements d’ambiance, notamment le moment d’accalmie particulièrement divin, où le sens de la mélodie est au plus haut, de même que le final où le clavier reprend le thème du chant pour être plus tard rejoint par la guitare avant de retrouver l’ambiance funky du départ et le riff saccadé. Une construction chiasmatique à l’architecture maîtrisée.
Une entrée en matière à laquelle les autres pistes répondent en offrant une actualisation aux promesses de celle-ci. Ainsi, "Deus Ex Machina" se décompose en deux parties musicalement distinctes. D’une part, "La Machine", ayant servi à la promotion de l’album, est un titre sombre et heavy qui invoque les mannes de Nemo en alternant moment calmes et plus énervés autour d’une ambiance assez angoissée sous fond de domination de machines. La seconde partie, "Une pièce pour les gouverner tous", est plus calme et introspective – un très beau clip l’accompagne d’ailleurs – entre son introduction à la Supertramp, la prédominance des claviers type piano et les lignes de guitare aériennes.
Cette deuxième partie du grand œuvre est donc un pur joyau de rock progressif, les pièces y sont longues et touffues (et si plus courtes, elles sont en fait les deux parties d’une suite). Ainsi, l’album se conclut par deux grandes pièces, sans longueurs superflues. "Terre Brûlée" est très symphonique (par ses claviers emphatiques) et heavy. Le chant est particulièrement réussi, et on notera la réelle évolution de JPL à ce niveau depuis le début de sa carrière. Plus impressionnant encore, le travail sur les phases instrumentales qui sont davantage que de simples phases solistes : très abouties et soignées, elles permettent de naviguer entre des thématiques tout autant que les paroles, la diégèse étant aussi bien portée par le récit autant que par la musique qui mène l’aventure. De son côté, "Encore Humain" possède un côté retro (claviers analogiques en intro, passages crimsoniens) et présente quelques audaces rythmiques ainsi qu’un solo magistral.
La seconde partie de Sapiens est dans la lignée du premier volet, voire même un peu au-dessus par une musique encore plus homogène qui fonde un univers propre sous fond d’anthropologie prospective pessimiste. Nous sommes ici face à un sommet du genre et une référence absolue du rock progressif français actuel.