5 sur 5 - Episode 5 (Camille)
1965, 1975, 1985, 1995, 2005, 2015, 2025 : Rétrospective des albums qui ont marqué les membres de la rédaction.
Il est curieux de constater que la cinquième année d’une décennie rock marque souvent une césure. Il y a alors une première moitié de décennie, puis une année en cinq et, ensuite (ou enfin) une seconde moitié de décennie qui est différente de la première.
1965 - The Beatles - Help !

Souvent éclipsé par Rubber Soul, Help ! est un album des Beatles que je chéris pour diverses raisons. Outre mon affection particulière pour les quatre membres (un peu plus pour Paul McCartney), la genèse et les morceaux m'enthousiasment par leur volonté de rupture.
Bien que Help ! soit la bande originale du film éponyme (pas franchement terrible), on sent dans l'album les prémices d'une nouvelle direction artistique. L'écriture est plus introspective, peut-être même mature. Qu'importe, le ton change. La chanson titre n'est pas qu'un énième morceau pop, il exprime le sentiment personnel d'inconfort et d'angoisse de John Lennon quant à la célébrité. "You've Got to Hide Your Love Away" ou "Yesterday" explorent et expriment des émotions plus profondes que les chansons d'amour des débuts. Les sonorités sont en mutation, elles incorporent des éléments nouveaux, je pense aux cordes dans "Yesterday" ou les influences folk dans "I've Just Seen a Face" et la rythmique plus complexe de "Ticket to Ride" qui amorcent une approche plus réfléchie et diversifiée.
L'album répond certes aux exigences commerciales tout en mêlant des titres légers et des compositions ambitieuses. Les Beatles s'émancipent du statut d'idoles pour devenir des artistes plus complets et complexes, ce qui sera confirmé avec la sortie de Rubber Soul, cinq mois plus tard.
1975 - Lou Reed - Coney Island Baby

La sensibilité qui émane de cet album, sa mélodie et sa douceur se distinguent des précédents de Lou Reed, plus expérimentaux et abrasifs. J'aime Coney Island Baby pour son introspection personnelle, nostalgique et romantique. L'écriture est sincère, intime et profonde mais toujours ironique. L'amour y côtoie le désir, les souvenirs et les réflexions sur le monde et soi-même, entre humour et poésie."Crazy Feeling" charme, "A Gift" fait sourire, la reprise de "She's My Best Friend" ravit. Tandis que "Kicks" à l'énergie plus rock, provoque et "Coney Island Baby" émeut par sa quête d'identité et de sens. L'émotion est d'ailleurs renforcée par des arrangements sobres et lents, au service de la voix et des mots de Lou Reed. Les riffs agressifs sont mis de côté pour un effet plus chaleureux voire sensuel qui donne envie de tomber amoureux à chaque écoute.
Avec Coney Island Baby, Lou Reed délaisse sa posture radicale et expérimentale pour une vulnérabilité désarmante. La simplicité apparente des mélodie intensifie sa fragilité et son honnêteté. Tout en se livrant, Lou Reed ne renonce jamais à sa lucidité, ce qui donne à l'album toute son intensité.
1985 - Talking Heads - Little Creatures

Little Creatures est le sixième album de Talking Heads au son plus pop, au meilleur succès commercial et sans Brian Eno à la production. Un album qui divise à cause de son éloignement à l'expérimentation et par conséquent de ses mélodies plus accessibles.
Je ressens une profonde sympathie pour cet album, notamment pour les thèmes qu'il aborde et ses sonorités joyeuses à l'étrangeté fidèle de Talking Heads. La vie quotidienne, la normalité et la condition humaine sont chantées sur fond de synthé, d'éléments d'Americana et de touches de gospel. "And She Was", single presque psychédélique, raconte une femme flottant au-dessus de ce qui l'entoure. "Creatures of Love" évoque l'intensité des relations simples. "Television Man" reprend les préoccupations des premiers albums de façon plus subtile en critiquant l'obsession pour les médias et leur influence. Enfin, "Road to Nowhere" clôt l'album avec un humour existentiel qui célèbre l'absurdité de la vie (sujet qui me passionne particulièrement).
Le contraste entre ordinaire et extraordinaire, les portraits à la fois succincts et justes ainsi que l'optimisme et l'ironie dans l'écriture de David Byrne font de Little Creatures une œuvre gaie et poétique dont l'euphorie est contagieuse et accessible (ce qui n'est pas synonyme de mauvais).
1995 - Radiohead - The Bends

1995, superbe année pour la Britpop, à laquelle Radiohead ne prend pourtant pas part. J'avais d'abord pensé, comme souvent, à Blur et The Great Escape mais j'ai finalement choisi The Bends pour son intemporalité.
Deuxième album du groupe qui se résume encore trop à son single "Creep", The Bends est un album souvent mis de côté alors même qu'il annonce le tournant majeur que prendra Radiohead par la suite. L'album parle de pression, de malaise moderne, d'isolement et de rapport conflictuel au succès, sans élément électronique mais avec un jeu de guitares aux sonorités variées. Insistante ("Just"), nerveuse ("(Nice Dream)"), acoustique ("High and Dry"), fragile ("Fake Plastic Tree") et hypnotique ("Street Spirit (Fade Out)"), la guitare accompagne et sublime la voix de Thom Yorke. Le chant est vulnérable et pris dans l'urgence de ses propres mots.
The Bends est un album de transition et est toujours aussi pertinent tant par la qualité de ses textes, son instrumentation et sa performance vocale. En naissant du rejet de Pablo Honey, il pose les prémices du vertige à venir qu'est Ok Computer.
2005 - Gorillaz - Demon Days

Mon admiration pour le travail de Damon Albarn n'est pas un secret. Néanmoins, Demon Days trouve naturellement sa place ici parce qu'il est exceptionnel, outre ma subjectivité.
Gorillaz, groupe fictif, est un concept ingénieux de la fin des années 90. Un moyen pour Damon Albarn de rompre avec la Britpop et l'espoir de renouer avec l'anonymat en se cachant derrière les personnages de Jamie Hewlett. Bien sûr, il se fait reconnaître dès le premier album éponyme en 2001. Demon Days sort quatre ans plus tard accompagné de clips, de fausses interviews et d'un site internet interactif. Perçu comme un voyage à travers une nuit sans fin, il fait état d'une planète anxieuse menacée par la guerre, l'aliénation et la crise environnementale, ce qui lui donne une dimension politique évidente sur un fond musical à la diversité frôlant le génie aussi bien par son assemblage de genres que ses incroyables collaborateurs. Pour ne citer que les morceaux les plus connus : "Dirty Harry", critique de l'intervention américaine en Irak, combine chœurs d'enfants, synthés et rap de Bootie Brown. "Feel Good Inc.", évocation de la société consumériste et capitaliste, mélange cynisme et légèreté avec les couplets rap de De la Soul et les refrains pop et aériens de Damon Albarn.
La beauté de l'album réside dans son aspect cinématographique avec notamment mes favoris "Don't Get Lost in Heaven/Demon Days" comme fermeture contemplative, un épilogue méditatif qui clôt le parcours émotionnel avec un gospel angélique comme note d'espoir et invitation à l'introspection.
2015 - Cage the Elephant - Tell Me I'm Pretty

Produit par Dan Auerbach (The Black Keys), Tell Me I'm Pretty est mon album préféré du plus britannique des groupes américains, Cage the Elephant.
Album moins agressif ou encore expérimental que les trois précédents, ses sonorités rock garage et psychédéliques lui confèrent une énergie à la fois rétro et authentique. Avec une palette sonore aussi riche et référencée, des textes personnels et sensibles, l'album paraît sincère en étant parfois une montée d'adrénaline ou bien une redescente.
Je l'aime ainsi pour son dynamisme, sa variation d'ambiance et sa dualité. "Cry Baby", morceau lumineux influencé par les années 60/70, fait revivre à sa façon la British Invasion. "Mess Around", garage rock qui accroche par son riff entêtant. "Sweetie Little Jean" premier titre plus mélodique et nostalgique renforcé par "Too Late to Say Goodbye" où la production devient aérienne presque suspendue, retenue uniquement par la mélancolie. Puis, "Cold Cold Cold" avec la tension de sa rythmique répétitive, redonne un nouvelle impulsion pour la suite.
Un voyage entre des émotions contrastées et aux influences largement britanniques, un album parfait pour la femme de dix-neuf ans que j'étais en 2015.
2025 - Djo - The Crux

The Crux est sans doute l'album que j'ai le plus écouté cette année. Djo y affirme pleinement son identité musicale, il navigue habilement entre les années 60 et 80 en alternant pop/rock, synth-pop rétro et ballades folk introspectives.
Chaque morceau propose une ambiance distincte et des sonorités variées, à la fois nostalgiques et modernes, tout en formant un univers cohérent. L'ambiance est contemplative et introspective dès l'ouverture avec "Lonesome Is a State of Mind" qui plante parfaitement le décor d'un album qu'on écouterait volontiers un soir d'été; où on danserait sur "Basic Being Basic" et "Delete ya" puis regarderait les étoiles avec "Egg" ou "Golden Line" dans les oreilles. Une bande originale romanesque aux inspirations enthousiasmantes : Fleetwood Mac ("Potion"), Pink Floyd ("Fly"), The Beatles ("Charlie's Garden") et qui n'altèrent pas la brillante personnalité de Djo.
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