The Temperance Movement
White Bear
Produit par Sam Miller
1- Three Bulleits / 2- Get Yourself Free / 3- A Pleasant Peace I Feel / 4- Modern Massacre / 5- Battles Lines / 6- White Bear / 7- Oh Lorraine / 8- Magnify / 9- The Sun And Moon Roll Around Too Soon / 10- I Hope I'm Not Losing My Mind / 11- Centrefold
Les chocs ont beau être nombreux en ce début d'année, ils n'en demeurent pas moins tristes et déchirants. A peine entamée, 2016 se languissait déjà de l'absence de disques remarquables, esthétiques et pour une fois, réjouissants. Même si le Blackstar de Bowie a tout d'un chef d'oeuvre, il ne peut se détacher de sa douloureuse mélancolie qui rappelle à chaque instant la perte immense que la musique, et la culture à plus large spectre, viennent de subir. Quand débarque White Bear, deuxième effort des remarqués The Temperance Movement, les attentes se muent rapidement en gémissements plaintifs à la lecture du genre "Blues Hard Rock Revival" que semble proposer le quatuor. Sauf que le choc, cette fois, fut tout simplement jubilatoire.
Comme le disait très justement Erwan dans sa chronique du dernier album de Graveyard paru l'an dernier, on a dejà fait le tour de ce style blues rock réminiscent ô combien usé par des incessantes redites (Parlor Mob et j'en passe...). Rien que l'an dernier, entre les Gentleman's Pistols, Honeymoon Disease et Graveyard donc, on compte déjà pas moins de trois "nouvelles" formations s'adonnant à cette pratique, en soit pas désagréable, mais dénuée de toute originalité. Même les excellents Rival Sons ont eu du mal avec Great Western Walkyrie à réellement outrepasser les maîtres du genre alors que leurs premiers efforts laissaient présager le meilleur. Pourquoi alors plébisciter The Temperance Movement si celui-ci joue dans la même cour que ces médiocres camarades ? Parce que The Temperance Movement a trouvé un autre terrain de jeu bien plus propice aux éloges et critiques admiratives: le sien.
White Bear se révèle bien plus qu'un simple album de la confirmation. Déjà parce que Luka Potaschnick a quitté la bande l'automne dernier, ne supportant plus les tournées et préférant se plonger uniquement dans du travail en studio, loin du fourmillement des tour bus et des scènes du monde entier. Ce départ est loin d'être anodin car il est celui qui a co-signé l'ensemble des titres du premier album du groupe avec son acoltye Paul Sayer et le chanteur Phil Campbell (au passage, rien à voir avec le guitariste de Motörhead). Voilà de quoi considérer d'ores et déjà ce second disque comme un nouveau départ pour ce groupe à peine né des cendres de Ben's Brother, Jamiroquai et Feeder, mélange des genres et des influences hautement improbable et sans réelle similitude avec le blues gras et puissant pratiqué par la bande.
A l'instar de son titre animal, ce second album est d'une vigueur bestiale, d'une urgence électrique palpable au moindre éraflement de cordes, au moindre toucher de caisse claire, et l'on s'étonne que l'alliance de ces quatre musiciens aux univers si différents fonctionne si bien. L'excellent "Modern Massacre", accessoirement le meilleur titre du groupe, met tout son petit monde d'accord en moins de 2 minutes et 30 secondes et fait habilement cohabiter une batterie percutante et des choeurs explosifs pour un résultat tout bonnement grandiose. Alternant avec une aisance remarquable les accalmies propices à un déploiement vocal plus chaleureux et les impacts éclatants de décibels rageurs ("Magnify"), la mouvance temperée réjouit par son aspect direct, instinctif et travaillé, délivrant un blues décomplexé et moderne ("Battle Lines" et ses guitares sous tension permanente), aux antipodes des galettes prétentieuses d'un certain Gary Clark Jr.
Pour autant, White Bear étonne par une variété d'arrangements singulière et généralement trop absente des disques typés blues rock, souvent enclins à balancer un rythme binaire d'une consistance des plus classiques et quelques variations guitaristiques en guise de seuls assaisonnements. Sortant de son registre mixant l'intensité des Guess Who ou de Creedence Clearwater Revival, le lyrisme d'un Tyler ou d'un Stanley (des grands jours) et la gouaille rocailleuse des Black Crowes, Campbell délecte l'auditeur d'une douce et mélancolique voix pleine d'assurance dans un morceau titre lancinant, aux faux-airs de White Stripes sur ce solo suraïgu et strident autant qu'expéditif. Le groupe se joue même de nous en installant une ambiance pesante et oppressante tout le long d'un "Oh Lorraine" tout en retenue et vocalises diffuses soutenues par quelques notes de guitares noyées dans un paysage sonore brumeux. Le morceau est d'ailleurs symptomatique d'une deuxième partie d'album plus risquée, plus aventureuse, se détachant enfin des quelques références plombantes des débuts déséquilibrés de White Bear.
Car si The Temperance Movement excelle dans son genre, il peine a réellement s'émanciper de ses illustres aïeux le temps de sa courte entrée en matière qui souffre cruellement la comparaison avec Led Zeppelin et plus évidemment les Black Crowes. Les similtudes, tant dans l'orchestration des titres que dans les mélodies sont flagrantes notamment sur "Get Yourself Free", qui en soit reste un très bon titre, mais qu'on aurait bien du mal à attribuer à The Temperance Movement sans connaissance de cause. Idem pour "The Sun And Moon Roll Around Too Soon" qui fait outrageusement penser aux grandes anneés de Dan Auerbach et sa bande, ce qui malgré tout est l'occasion de nous rappeler la bonne époque où les Black Keys excellaient dans leur art. Et si "Three Bulleits" a le mérite d'ouvrir en beauté ce disque, la patte des Guess Who transpire dans les multiples "Hey" et "Come On" qui structurent ce qui est certainement le titre le plus simple de l'album. Que de références et de comparaisons (de qualité) pour un groupe présenté en préambule comme le vent de fraicheur dont le rock 'n roll avait besoin. Mais c'est là où la magique patte de The Temperance Movement insuffle un soupçon de modernisme ci et là via quelques arpèges souterrains, une pointe de surprise par endroits au travers d'une ligne de basse épique, et surtout une bonne dose de plaisir tout le long de l'écoute de White Bear. Il lui aura fallu un peu de temps, mais le groupe britannique se libère indéniablement de ces chaînes en fin de disque. Ouf, il était temps.
Car la bande à Campbell réussit un petit exploit en imposant son rock 'n roll binaire, simple et efficace, aux oreilles les plus récalcitrantes et lassées de toute cette vague contemporaine surfant sur les vestiges d'un genre qui a connu ses heures de gloire il y a bien longtemps. The Temperance Movement jouit d'une personnalité forte, trempée dans le patrimoine anglo-saxon en dépit de ses influences marquées, et replonge l'auditeur dans les eaux oubliées d'une musique troublante de sincérité et d'envie qui redore admirablement un blason bien terne. "Magnify" et son petit phrasé de guitare emprunté aux Eagles Of Death Metal n'est qu'un témoignage supplémentaire de la spontanéité du rock immédiat et captivant de The Temperance Movement.
Le choc White Bear est équivalent au Permission To Land de The Darkness en 2003 qui avait remis le hard rock sur pied après une longue période de doute. Dans un autre genre que le lubrique glam pratiqué par les frères Hawkins, The Temperance Movement creuse un nouveau sillon sur des terres ancestrales et chargées d'histoire, sur lesquelles il paraissait bien osé d'y semer encore quoi que ce soit. Pourtant, gare à la sécheresse qui pourrait s'abattre et réduire à néant la qualité des successeurs de ce White Bear réjouissant. Bien d'autres récoltes prometteuses ont précédemment viré au cataclysme (The Darkness et son affreux One Way Ticket pour ne citer que lui). L'écueil des facilités mélodiques et de composition incombant au style 60's pratiqué par le groupe est quasi-inévitable à long terme. Mais n'y pensons pas, et en ce début d'année mouvementé qui nous enlève nos légendes, tâchons de profiter de ce pur moment de rock 'n roll.
Keep on rockin' in the free world.
Chansons conseillées: "Modern Massacre", "Magnify" et "Oh Lorraine"