The Black Keys
Magic Potion
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1- Just Got To Be / 2- Your Touch / 3- You're The One / 4- Just A Little Heat / 5- Give Your Heart Away / 6- Strange Desire / 7- Modern Times / 8- The Flame / 9- Goodbye Babylon / 10- Black Door / 11- Elevator
Le succès des White Stripes ne saurait occulter la horde de tricoteurs blues-rock qui, dans l’ombre, s’échinent à graver les noms d’Howlin’ Wolf ou de Robert Johnson au canif sur le tronc noueux du grand arbre généalogique du rock. Deux formations forment les têtes de pont de cette guérilla fomentée depuis les caves obscures de bleds perdus du Minnesota ou du Mississippi : Blues Explosion et The Black Keys. Déjà bien actifs depuis le fameux retour du rock amorcé au début des années 2000 (trois albums et une poignée de maxis au compteur), ces derniers n’avaient jamais véritablement percé dans l’hexagone. Ce quatrième album sorti chez V2 pourrait bien faire changer la donne. Impossible de chasser le spectre des bandes blanches pour présenter les touches noires puisqu’il s’agit d’un duo guitare-batterie formé par deux geeks originaires d’Akron (Ohio) initiés au blues suite à la découverte du méconnu Junior Kimbrough (auquel le groupe a rendu hommage le temps d’un EP sorti en début d’année) et s’employant depuis à malaxer le binaire des années 30 avec les sonorités garage et vintage des sixties-seventies en direct du fin fond de leur cave, "entre la machine à laver et l’évier" comme se plaisent à le répéter toutes les critiques.
Il est d’ailleurs fortement agaçant de constater que pour louer (avec raison) The Black Keys, on en vienne systématiquement à taper sur les White Stripes. Le groupe d’Akron serait donc le garant d’une musique "authentique", sans pause ni auto-satisfaction, alors que celui de Detroit ne serait qu’une escroquerie mercantile, se souciant uniquement de l’image et pervertissant le noble héritage blues. Voilà une bien piètre façon d‘encenser un groupe, surtout que les deux formations, bien que distinctes dans leur forme, se rejoignent sur de nombreux points et notamment sur le paradigme zeppelinien, lequel irrigue comme une source souterraine l’ensemble de cet album. Les premières écoutes de Magic Potion évoquent immédiatement les fantômes du Zep II. Ainsi, le titre liminaire ("Just Got To Be") sonne comme une répétition à laquelle John Paul Jones aurait oublié de se joindre. Les riffs blues atrabilaires, les ruades de la batterie, toute l’armature sonore plane sous l’ombre du dirigeable, comme le crie ce "Just A Little Heat" sur lequel on croirait entendre Jimmy Page façonner le riff balbutiant de "Heartbreaker".
La réussite de ce disque réside donc dans ce mélange entre les influences blues et cet espèce de hard rock primitif ourdi depuis une décharge par deux apprentis besogneux mais sans aucun complexes. Et ça marche ! Le son, bien charnu, retranscrit à merveille les ébats d’une guitare qui ne cesse de se cabrer, d’accélérer, de repartir, liée à la vie à la mort avec une batterie implacable dans sa rigueur rythmique et poisseuse dans ses déhanchements reptiliens. Le tout est chapeauté par la merveilleuse voix, profonde et habitée, de Dan Auerbach, qui marche ici véritablement sur les traces de Muddy Waters. Il suffit d’écouter le fiévreux "Your Touch" et le lascif "You’re The One" pour se convaincre de la haute teneur en soul de la musique de ces deux gaillards là. De nombreuses fois le duo atteint des pics de jouissance rockistique absolue : ce "Give Your Heart Away" magistral qui oscille entre prédications solennelles et instants éthérés ou ce "Goodbye Babylon" définitif, jeté avec froideur et lucidité. Pas un instant le blues n’est réduit à une somme de gimmicks (bottleneck et autres effets de manche sont ici proscrits), tout est soigneusement digéré et mêlé dans cette onctueuse pâte sonore que régurgitent les amplis Vox des deux compères.
La potion magique du duo, c’est donc ce son épais, à la fois rugueux et chaleureux que l’on boit religieusement, à petites gorgées, remède de grand-mère ou médicament d’appoint (selon l‘usage), remettant au goût du jour une recette ancestrale avec un je-ne-sais-quoi d‘inédit. Telle est cette nouvelle livraison des Black Keys, à la fois tout à fait mineure et rigoureusement indispensable.