Neil Young
A Letter Home
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1- A Letter Home Intro / 2- Changes / 3- Girl from the North Country / 4- Needle Of Death / 5- Early Morning Rain / 6- Crazy / 7- Reason to Believe / 8- On The Road Again / 9- If You Could Read My Mind / 10- Since I Met You Baby / 11- My Hometown / 12- I Wonder If I Care As Much
Quel bonheur de voir Neil Young revenir aux racines de sa musique, au folk ! Mais quel dommage que l'écoute ne suscite pas le même enthousiasme ! Pour limiter les déceptions, il convient de ne pas appréhender ce disque comme n'importe quel autre opus de maître Young. Cet album est une curiosité, une fantaisie surprenante née de la rencontre du Loner avec Jack White, l'influent producteur de cet album. Le concept est simple : tout d'abord, sélectionner une tracklist de onze chansons, onze standards tirés des univers folk ("Girl From The North Country" de Bob Dylan, "Reason To Believe" de Tim Hardin), rock ("My Hometown" de Bruce Springsteen), blues ("Early Morning Rain" et "If You Could Read My Mind" de Gordon Lightfoot) et country ("On The Road Again" de Willie Nelson). Ensuite, inviter Neil Young au studio Third Man de Jack White, à Nashville, et lui faire enregistrer ces titres en une seule prise, en le laissant seulement s'accompagner à la guitare acoustique, parfois à l'harmonica (White a apporté un discret accompagnement ici ou là, notamment sur "I Wonder If I Care As Much" des Everly Brothers). Et, détail essentiel qui donne toute sa substance et son originalité à cet album, utiliser pour l'enregistrement une cabine Voice-O-Graph de 1947 (!), une de ces vieilles boîtes de conserve où les apprentis artistes américains pouvaient enregistrer quelques pistes pour 35 cents.
Le cœur de cet album bat dans cette cabine, à ce point qu'elle occupe davantage de place que Young sur la couverture du disque et que son nom apparaît plus clairement que celui du chanteur... C'est elle qui donne à ce disque sa saveur, elle qui en fait autre chose qu'un simple album de reprises. C'est elle encore qui, à n'en pas douter, divisera les avis, car elle ne produit rien d'autre qu'un son à 35 cts, résonnant, chevrotant, métallique, en mono, craquant comme un vieux 78 tours poussiéreux... autrement dit, un son merdique (vous pardonnerez ma grossièreté, mais il n'y a pas d'autre mot possible). Ce choix artistique, qui tient plus de la posture, est d'autant plus déroutant que Neil Young mène depuis deux ans une bataille pour démocratiser une qualité de son digne des studios, luttant contre les lacunes du format MP3. La qualité de A Letter Home, qui crispera certainement les oreilles de plus d'un auditeur, tranche avec le combat de Young, à l'heure où son projet de Pono aboutit enfin. En effet, son lecteur de musique "révolutionnaire", "ultra-haute définition" voit enfin le jour, après une importante campagne menée tambour battant par le folkeux en personne. Alors, pourquoi ce choix de Voice-O-Graph ? Pour restituer l'esprit authentique du folk populaire des années quarante... Cet esprit habite effectivement quelques titres de cet album, livrant une émotion certaine, notamment sur "Needle Of Death", reprise de Bert Jansch dont voici le clip officiel (on notera que la vedette reste là encore, cette vieille cabine).
Mais, est-ce bien servir ce beau folk que de le renvoyer à ce que la technologie d'enregistrement des années quarante offrait de pire ? Non, bien sûr. Elle le ringardise et appuie sur le côté « grinçant » et vieillot que le style musical a traîné pendant des décennies et dont il a parfois eu un mal fou à se défaire. Oui, un vinyle craquant, légèrement rayé, peut apporter un certain charme à des titres, mais, à la vérité, il ne fait pas honneur à une chanson, quelle qu'elle soit. Un disque rayé et sautant reste un disque de mauvaise qualité. Depuis quand la mauvaise qualité du son renforce-t-elle la qualité d'une mélodie ? Servir et remettre à l'honneur cet ancien folk aurait été, à l'inverse, de lui offrir la meilleure technologie actuelle. La beauté et l'émotion émanent naturellement de la musique folk, comme de la voix de Young, quel besoin a-t-il eu d'utiliser de tels artifices, des ficelles grosses comme le bras, pour feindre la sensibilité ? A Letter Home est une curiosité, elle amusera les uns, agacera les autres, mais, je crois, décevra surtout les amoureux du Neil Young folk.