Certainement la sortie événement de cette nouvelle décennie,
Heligoland était devenu l’arlésienne des productions discographiques depuis deux ans. Deux années à nous annoncer, pour dans six mois, la sortie du successeur de
100th window, toujours repoussée. Des retards répétés dus aux différents problèmes relationnels et personnels des membres du groupe que l’on pensait fatals. On se souvient de la composition de
Massive Attack à ses débuts avec 3D, Daddy G, Mushroom et
Tricky pour que quelques années plus tard, 3D (alias Robert Del Naja) incarne un groupe à un seul membre, sur un album froid, décrié par le public et les critiques toujours hébétés par le charme transcendant de
Mezzanine. Et c’est pour ces raisons qu’
Heligoland, malgré l’EP
Splitting the atom annonciateur du meilleur, s’appréhende avec une impression de chaud et froid, entre craintes et espoirs…
Des espoirs motivés par le retour de Daddy G (alias Grant Marshall) et sa voix d’outre-tombe, que l’on croit assigné, par un jeu d’élimination, aux vertus les plus chaleureuses du trip-hop de Massive Attack, teinté à nouveau du groove et de la soul qui avaient fait le succès du groupe. Un retour vers le trip-hop originel ? Bien plus que ça. On retrouve bien sûr dans
Heligoland des sonorités connues dans l’histoire de
Massive Attack, mais aussi certaines plus nouvelles. Les percussions et les sonorités sont tribales, les basses et les batteries plus rock, et les guitares toujours présentes. Les trois premiers morceaux, "Pray for rain", "Babel" et "Splitting the atom" viennent ainsi séduire l’oreille d’un auditeur attentif, et curieux de ce qu’il va pouvoir écouter pour se rassurer :
Massive Attack est toujours capable du meilleur. C’est pourtant sur "Girl I love you" que l’on commence à voir poindre le spectre blanc
et glacé de
100th window, finalement vite chassé par le roots noir et chaud du rasta Horace Andy, et par les fanfares granguignolesques cacophoniques dignes de "A day in the life" des
Beatles. Et c’est ainsi pour la plupart des compositions de l’album. Robert Del Naja, en bidouilleur de génie, a retenu la leçon du succès commercial mitigé de son précédent opus, ne conservant que les expérimentations sonores les plus efficaces, les plus empreintes d’une certaine cohésion entre les deux têtes pensantes de
Massive Attack.
Les autres interventions, celles des voix, montrent les différentes inspirations d’un groupe devenu collectif, Damon Albarn en tête. L’ex-leader des
Blur et artiste touche-à-tout paraît comme le troisième membre, en participant à l’écriture de trois des dix titres, "Splitting the atom", "Flat of the blade", et "Saturday come slow" sur lequel il pose également sa voix. On notera aussi la présence dans les crédits de Guy Garvey d’
Elbow, Tunde Adebimpe de
TV on the radio, ainsi que Hope Sandoval, déjà présente sur certains albums des
Chemical Brothers ou
Death In Vegas , et Martina Topley-Bird, ex-compagne de
Tricky qui assurent à elles deux les interprétations féminine sur cet album, pour remplacer, en quelque sorte, Sinnead O'Connor sur
100th window ou Elisabeth Fraser sur
Mezzanine.
Dès lors que l'on a assimilé le squelette global de cette nouvelle fournée,
Heligoland s’ouvre un peu davantage, et l'on y découvre une multitude de sons. Plus ou moins rythmés, les morceaux s’enchaînent bien, en restant très accessibles, malgré quelques inégalités. Mais ce ne sont pas "Psyche" et "Flat of the blade", morceaux plus difficiles à ingérer par leur manque de relief, qui gâcheront un plaisir particulier qui croît à l’écoute de "Paradise Circus". Un moment agréable fait d’une rythmique saccadée, de claquements de mains à la manière de
Bat For Lashes, et d’un arpège synthétique, qui donnent à
Heligoland son "Teardrop", son titre phare.
Des comparaisons faciles, lorsqu’on s’attaque à une œuvre certainement majeure, issue d’une lignée qui ne l’est pas moins. Mais au-delà de tout ça,
Massive Attack, avec sa longue histoire mouvementée, continue de se remettre en question, de travailler pour trouver de nouveaux concepts, et pour mieux exploiter les anciens.
Heligoland conserve ainsi toute l’originalité de la nouveauté, pour nous prouver qu’après plus de 20 ans d’existence dans un mouvement récent, les anglais de
Massive Attack, une fois de plus et plus que jamais, arborent fièrement cette image de précurseurs et de concepteurs inventifs.