Foo Fighters
Concrete and Gold
Produit par Greg Kurstin
1- T-Shirt / 2- Run / 3- Make It Right / 4- The Sky Is a Neighborhood / 5- La Dee Da / 6- Dirty Water / 7- Arrows / 8- Happy Ever After (Zero Hour) / 9- Sunday Rain / 10- The Line / 11- Concrete and Gold
Du Everything Now d’Arcade Fire au Villains des Queens of the Stone Age, la rentrée 2017 aura vu les gros pontes du rock des années 2000 tenter de raccrocher le wagon grand public en louant les services des producteurs les plus bankables du moment. Autant d’expériences qui se sont soldées, au mieux, par des demi réussites artistiques. Ce qui n’empêcha pas les Foo Fighters de se joindre à ce que le rédac chef avait justement qualifié en septembre dernier de war on pop. On ne s’étonnera guère de voir Dave Grohl se jeter dans cette mêlée, lui qui, du double album électrique/acoustique au projet studio-documentaire façon Let It Be 2.0 en passant par le disque 100% analogique, est en constante recherche de formules inédites pour ravauder son arena rock. Le high concept de cette neuvième réalisation : confier les manettes à Greg Kurstin (Adele, Sia, Pink) et s’entourer d’une pluie de guests (Alison Mosshart, Justin Timberlake, Paul McCartney à la batterie sur "Sunday Rain", il y a même un Boyz II Men égaré quelque part dans les chœurs) pour enregistrer un fucking big-one-again-america-fuck-yeah record, man ! aux guitares puissantes relevées par les arrangements du leader de The Bird and the Bee. En gros, "Sgt Peppers joué par Motörhead", dixit le patron. La formule et l’enthousiasme du barbu, plastronnés dans une amusante vidéo animée, a de quoi faire sourire, tant le bonhomme excelle à survendre à chaque fois une tambouille qui n’a fondamentalement pas beaucoup évoluée, aussi bien musicalement que qualitativement, depuis One by One, publié il y a quand même 15 ans maintenant.
Pourtant, première surprise : contrairement à la dernière livraison que le pote Josh Homme bouclait dans un studio voisin – et sur laquelle l’empreinte de Mark Ronson restait plutôt discrète – la patte de Kurstin se révèle ici on ne peut plus perceptible. Pour tout dire, lors des premiers tours de piste, on n’entend qu’elle, ces chœurs extatiques tartinés à grosses plâtrées dans tous les coins du spectre sonore, ces woo-oh-oh de montagne russe, ces wah-ah-ah sous Tranxene. A ce titre, l’entame "T-Shirt" fait peur. On croirait entendre des remugles fluo échappés du dernier Coldplay écrabouillés sur des gros murs de guitares adipeuses. Musicalement, c’est un peu dégueu, mais ça fera très joli au stade avec les bracelets connectés. Passés ces premiers tours de piste peu amènes, on commence à rentrer en profondeur dans le disque et on se rend compte que ces artifices de production dissimulent une tentative plutôt méritoire de sortir des sentiers balisés du rock FM dans lesquels les Foo s’étaient embourbés depuis tant d’années. Le single "Run", inversant la formule pixienne couplet chanté/refrain beuglé et l’atrabilaire "Make It Right" qui lui fait suite, sonnent plus grunge que l’intégralité de Wasting Lights, pourtant vanté comme un retour aux sources alternatives. Les riffs claquent et grésillent comme aux grandes heures des années 90 et le spectre de The Colour and the Shape (l’opus préféré des fans, et on est d’accord avec eux) se prend à planer sur les meilleures pistes de l’album, à l’image de "La Dee Da", alternant rugosité et brusques accélérations supersoniques, ou encore de "Dirty Water" qui se dresse progressivement comme une immense lame de fond menaçant un ban de surfeurs médusés. Clairement, ces morceaux se placent aisément dans le peloton des meilleurs titres écrits par le quintette ces dix dernières années, même si aucun ne semble d’envergure à s’incruster définitivement dans leurs futures setlists.
Le reste, en revanche, patauge en eaux basses, le groupe retrouvant ses vieilles mamelles flétries : linéarité et prévisibilité. "The Sky is a Neighborhood" se rêve comme un "Another Brick in the Wall" cru 2017, avec ses chœurs martiaux et son refrain martelé avec autorité, mais demeure désespérémment lourd et pataud. Le disque se désagrège ensuite totalement sur sa seconde moitié, entre rock de stade aux articulations grossières ("Arrows" et "The Line", avec leurs refrains qu’on voit arriver à quinze kilomètres, dans la lignée peu glorieuse de U2), la ballade lourdingue que le père Grohl se sent obligé de nous imposer à chaque livraison ("Happy Ever After"), le quart d’heure Ringo accordé au batteur ("Sunday Rain" qui sonne comme du Tom Petty éventé) et le final à la Pink Floyd totalement raté (l’insipide morceau titre). Bref, les Foo Fighters, comme à leur habitude, tentent de se réinventer et de repousser leurs limites du mieux qu’ils peuvent, et y parviennent mollement sur une bonne moitié d’album. C’est suffisant pour conforter leur statut de meilleur OK band de la planète (l’archétype même du groupe qu’on n’adore ni ne déteste et dont la musique ne charme ni n’agresse) et de valeur sûre du rock US contemporain. Malgré tout, Concrete And Gold, contrairement à ce que peuvent claironner les critiques américaines qui l’ont accueilli sous une pluie de dithyrambes, aura du mal à réenchanter un genre censé être populaire mais qui, ces dernières années, manque singulièrement de sang neuf et d’albums puissamment fédérateurs.